Traçabilité des viandes : à quand un meilleur étiquetage ?

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Si le consommateur sait désormais d'où vient la viande qu'il achète, c'est en revanche le grand flou lorsqu'il s'agit d'un produit transformé ou d'un plat préparé. © CHARLY TRIBALLEAU / AFP
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DECRYPTAGE - La France va tenter d’obtenir l’aval de l’UE pour rendre obligatoire l’origine de la viande dans les plats préparés.

Les responsables politiques ont été nombreux à défiler au Salon de l’Agriculture pour apporter leur soutien à un secteur en pleine crise. Un autre responsable s’est en revanche montré très discret mercredi : le commissaire européen à l'Agriculture Phil Hogan. Ce dernier dispose pourtant d’un pouvoir certain dans ce dossier : c’est lui qui gère le dossier de l’étiquetage de la viande utilisée dans les plats préparés. Poussée par ses agriculteurs, la France milite pour rendre cet étiquetage obligatoire, au moins dans l’Hexagone. Mais le gouvernement ne peut rien faire sans l’aval de la Commission européenne et du conseil européen des ministres de l'agriculture, qui se réunira le 14 mars. Mais même si la France parvient à se faire entendre, ce dossier est loin d’aboutir.

Mise à jour du 14 mars 2016 : "La Commission a donné un accord de principe à la France pour expérimenter l'étiquetage de l'origine des viandes et du lait dans les produits transformés", a annoncé Stéphane Le Foll a l'issue du sommet européen. 

 

Une demande de traçabilité de plus en plus forte. Les agriculteurs souhaitent que l'origine de la viande ou du lait utilisés dans un plat préparé figure sur l'étiquette ? Pour une fois, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll est largement soutenu en France sur ce dossier : la plupart des politiques en visite porte de Versailles se sont prononcés pour un étiquetage obligatoire. Et le consommateur est également très demandeur d’une meilleure information.

Fin février, l'association de consommateurs Familles rurales publiait une étude menée auprès de 700 familles qui montre que, deux ans après l’affaire des lasagnes à la viande de cheval, 41% des consommateurs ne se sentent toujours pas mieux informés sur l'origine de la viande qu'ils consomment. Or ce critère est pour eux de plus en plus important : la même étude indique que l’origine de la viande est devenue le premier critère d’achat, devant le prix ou la présence d'une marque ou d'un label.

L’association demande donc aux autorités françaises de s’activer au niveau européen pour rendre l’étiquetage européen. Et elle n’est pas seule : la veille de l’ouverture du Salon, les principaux syndicats agricoles associés à l’UFC Que Choisir ont lancé une pétition réclamant d’"accroître la pression sur l'Union européenne". "C'est une information loyale que nous devons donner aux consommateurs", soulignent les auteurs de la pétition, espérant que cela contribue à relancer les ventes de viande française.

Marie, Findus, Fleury Michon : les industriels s’y mettent. Du côté du secteur agroalimentaire, la transparence sur la viande transformée est encore limitée car non obligatoire. 54% des produits transformés font l'impasse sur l'origine de la viande, selon une étude publiée le 8 février par l'association de consommateurs UFC Que choisir. Une origine non identifiée qui concerne même les trois quarts des produits à base de poulet et plus de la moitié de ceux à base de porc.

Mais après avoir longtemps refusé un tel étiquetage, le secteur agroalimentaire commence doucement à changer de position. Suite à l’étude de l’UFC-Que Choisir, le groupe Fleury Michon, premier fabricant de plats préparés au rayon frais, a annoncé qu’il allait indiquer l’origine des viandes utilisées sur tous ses produits. Et d’autres s’y sont déjà convertis : le groupe Marie, Le Gaulois, Charal, Marie, Findus et Zapetti. Ce mouvement de groupe pourrait entrainer les réfractaires que sont Dalinat, Père dodu, Sodebo et, de manière très variable, les marques distributeurs. Sans oublier les producteurs de charcuterie industrielle, qui y sont radicalement opposés.

L’obligation d’obtenir un feu vert de Bruxelles. Des consommateurs intéressés, des politiques sensibilisés, des entreprises de moins en moins sourdes et même un avis favorable du Parlement européen : sur le papier, tous les ingrédients sont réunis pour améliorer la traçabilité des produits alimentaires. Pourtant, le décret de la France risque de ne pas obtenir l’autorisation des institutions européennes.

En effet, la Commission européenne n’a jamais caché son scepticisme, alimenté par le travail de lobbying du secteur agroalimentaire. A ses yeux, un tel étiquetage peut devenir trop complexe, trop coûteux. De plus, certains pays qui exportent une bonne partie leur production redoutent d’être les perdants de cette réforme, à l’image de l’Allemagne et de l’Espagne dans la filière porcine : or le droit européen se méfie des mesures qui peuvent permettre de discriminer un produit selon son  pays d’origine. Dans tous les cas, cette réforme est loin d’être acquise et demandera du temps, beaucoup de temps : pour "renégocier une directive européenne, il faut compter un an, un an et demi", a prévenu le ministre Stéphane Le Foll.

Un étiquetage oui, mais pour y indiquer quoi ? Quand bien même un consensus serait trouvé pour mieux informer le consommateur sur le contenu de son assiette, un tel étiquetage pourrait passer à côté de son objectif. Car le diable se cache dans les détails, surtout en matière de réglementation sanitaire. Le projet de décret français prévoit d’indiquer l’origine de la viande dès que celle-ci représente plus de 50% du poids d’un produit transformé. Mais en mettant la barre à 50%, de très nombreux plats préparés ne seraient pas concernés.

Et les exemples sont nombreux : une quiche contient par exemple entre 12 et 30% de viande, des raviolis au bœuf entre 15 et 20%, un plat de chili con carne entre 12 et 15% et un colombo environ 25%. Tous ces produits ne seraient donc pas concernés, mais aussi un plat devenu emblématique : les lasagnes, qui ne contiennent en moyenne que 10% de viande. Et même certains produits que le consommateur considère comme de la viande pourraient aussi y échapper : les boulettes de viandes, qui contiennent chez certains fabricants à peine 51% de viande, et les cordons bleus, dans lesquels la part de vraie viande est parfois en-dessous de 50%.

 

Étiquetage : ce qui est obligatoire et ce qui pourrait le devenir

La législation européenne en matière d’alimentation et de traçabilité s’est construite au fur et à mesure des crises sanitaires. Ainsi, le pays d’élevage et d’abattage est devenu obligatoire pour la viande bovine depuis la crise de la vache folle. Et depuis 2015, cette obligation d’information a été élargie à toutes les viandes. Mais seulement pour les pièces de viande brute : malgré le scandale de la viande de cheval travestie en viande de bœuf, l’Europe a refusé de rendre obligatoire l’étiquetage pour la viande transformée ou utilisée dans les plats préparés. A ses yeux, une telle réforme serait trop complexe et coûteuse.

Puisque l’Europe ne fait rien, la France souhaite adopter un décret rendant cet étiquetage obligatoire : dans toute l'Union européenne dans l'idéal, pour tout produit vendu dans l’Hexagone a minima. Le texte a été envoyé à la Commission mi-février et devrait être au cœur des discussions le 14 mars, date du prochain conseil européen des ministres de l'Agriculture.