Maisons de retraite : l’intenable situation des Ehpad

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Aides-soignants, directeurs d’établissements et même retraités organisent mardi une mobilisation unitaire inédite contre les conditions de travail et de vie dans les Ehpad.

A situation intenable, mobilisation inédite. Pour la première fois, les syndicats CGT, CFDT, FO, Unsa, CFTC, CFE-CGC et SUD, soutenus par l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) et des associations de retraités, appellent à la grève mardi dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Cible de leur colère : le manque de moyens chronique qui empêche la bonne tenue des soins autant que d’accorder la nécessaire attention aux personnes âgées.

"À la limite du point de rupture". "C'est l'ensemble du secteur qui dit aujourd'hui que la situation n'est plus tenable", explique Romain Gizolme, directeur de l’AD-PA, interrogé par Europe 1. Les 7.000 établissements privés et publics mais aussi les "services à domicile" sont face à une situation "particulièrement tendue, voire à la limite du point de rupture", constate-t-il, ajoutant que "ce n'est pas tant d'argent dont le secteur a besoin que de moyens humains". Ces derniers mois, les avertissements se sont multipliés.

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Lui laver les dents ? Les cheveux ? On n'a pas le temps, il faut choisir.

Entre avril et juillet, une dizaine d’aides-soignantes de la maison de retraite médicalisée des Opalines, dans le Jura, ont fait grève pendant 117 jours, dénonçant le manque de personnel. "Le matin quand je rentre dans une chambre, je sais que j’ai quinze minutes. Je regarde mon résident. Lui laver les dents ? Les cheveux ? On n'a pas le temps, il faut choisir. Quelqu'un qui a besoin d'aller aux toilettes, on met une heure pour arriver. Il ne peut pas y aller seul, donc il se souille, il fait sur lui. On a toutes versé des larmes, on n’en dormait plus la nuit", racontait alors l'une des aides-soignantes à Europe 1. En pleine période électorale, cette grève avait attiré la lumière sur la situation des Ehpad, engendrant moult promesses des candidats.

"Je suis stressée donc stressante et maltraitante". Mais passé l’été, toujours rien à l’horizon. Fin décembre, Mathilde Basset, une jeune infirmière, a relancé le débat en publiant sur Facebook une lettre à la ministre de la Santé et des Solidarités Agnès Buzyn. Le message, partagé plus de 20.000 fois, décrit sans fard son quotidien en Ehpad. "Ce matin, j'étais seule pour 99 résidents, 30 pansements, un œdème aigu du poumon, plusieurs surveillances de chutes récentes et j'en passe. (…) Ce matin, j'ai craqué. Comme les 20 jours précédents. Je m'arrache les cheveux, au propre comme au figuré. Je presse les résidents pour finir péniblement ma distribution de médicaments à 10h15 (débutée à 7h15), je suis stressée donc stressante et à mon sens, maltraitante", raconte-t-elle.

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Ce qui manque, c'est la seule volonté politique.

Sous pression, Agnès Buzyn a finalement annoncé une rallonge budgétaire pour le fonctionnement des Ehpad. "En plus des 100 millions inscrits au budget 2018 de la Sécurité sociale", "50 millions d'euros vont être donnés aux Agences régionales de santé pour qu'elles puissent accompagner au cas par cas, en fonction des difficultés, les Ehpad qui souffrent aujourd'hui d'un manque de moyens", a-t-elle annoncé sur RTL jeudi. "Même si cette annonce est tardive et pour le moins hâtive, l'État semble enfin prendre conscience que le secteur va mal", reconnaît Romain Gizolme, avec toutefois un bémol : "annoncer 50 millions d'euros, c'est montrer que l'Etat n'a toujours pas pris la mesure de l'enjeu qui est celui de l'aide aux personnes âgées dans les années à venir."

Une situation qui empire. En effet, la pression sur les Ehpad va en s’accentuant avec le vieillissement de la population. Selon un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), il y avait 728.000 résidents dans les établissements pour personnes âgées fin 2015, 4,5% de plus qu’en 2011. Dans les seuls Ephad (585.000 résidents), l’augmentation est de 6,2%. Dans le même temps, l’âge des résidents s’est aussi accru. La moitié a plus de 87 ans et cinq mois, un an de plus qu’en 2011. Une situation qui implique des soins plus fréquents, plus intenses, plus suivis. Or, les millions alloués dans le budget ne sont pas toujours effectivement dédiés à l'embauche de personnel.

Ainsi, dans le même temps, les moyens humains n’ont pas suivi. Depuis plus de dix ans, les professionnels du secteur réclament l'application d'un ratio d'"un agent pour un résident". Un chiffre qui semble bien loin actuellement puisque la moyenne est à six soignants pour dix soignés. À moyen terme, Romain Gizolme souhaite donc une réforme d'ampleur pour arriver au moins au nombre de "huit pour dix soignés". "Ce qui manque, c'est la seule volonté politique."

Une réforme controversée

Outre les moyens humains, la réforme du financement des maisons de retraite médicalisées est l'une des principales causes de la mobilisation organisée mardi. Votée sous le précédent quinquennat et poursuivie par l'actuelle majorité, la réforme vise à faire converger progressivement, de 2017 à 2023, les budgets des Ehpad publics (43% des établissements) avec ceux du privé sur les enveloppes "soins" et "dépendance".

10% de perdants. Présenté comme équitable car basé sur le degré de dépendance des résidents, le nouveau mode de calcul doit, selon la Caisse nationale de Solidarité pour l'autonomie (CNSA), faire gagner globalement en sept ans près de 400 millions d'euros aux établissements. Les trois quarts de ces gains concernent le secteur privé (commercial ou associatif). Selon le ministère, la réforme ferait, sans mesures de compensation, quelque 80% de gagnants et 10% de perdants, "la majorité dans le secteur public". Elle serait à peu près neutre pour les autres.

Les opposants dénoncent un nivellement par le bas. "Il est inacceptable qu'on prenne à des établissements pour donner à d'autres, dans un secteur notoirement sous-doté", estime Pascal Champvert, président de l’AD-PA. La Fédération hospitalière de France estime que le nouveau mode de calcul des budgets "dépendance" va faire perdre 200 millions d'euros en sept ans aux établissements publics et obliger de nombreuses structures en difficultés à réduire leur personnel.