Et si on donnait une "raison d’être" aux entreprises ?

Nicole Notat et Jean-Dominique Senard ont présenté leur rapport vendredi.
Nicole Notat et Jean-Dominique Senard ont présenté leur rapport vendredi. © ERIC PIERMONT / AFP
  • Copié
avec AFP
En lieu et place des seuls profits, le gouvernement envisage de donner aux entreprises une raison d’être élargie aux responsabilités sociétales et environnementales.

"L'entreprise ne se résume pas à la réalisation de profits." C’est une petite phrase aux grandes conséquences qu’a prononcé Bruno Le Maire vendredi. Le ministre de l’Économie recevait un rapport commandé par le gouvernement sur le rôle des sociétés. Ce document, rédigé par l'ancienne dirigeante de la CFDT Nicole Notat et le PDG de Michelin Jean-Dominique Senard, propose d'instaurer une "raison d’être" pour les entreprises, ce qui impliquerait se s'engager sur des enjeux sociaux et environnementaux.

"L'entreprise change". "L'entreprise occupe désormais une place essentielle dans la société, elle a une dimension environnementale, elle a une dimension sociale, et elle ne se résume pas à la réalisation de profits", a déclaré Bruno Le Maire, lors de la cérémonie de remise du document organisée à Bercy. "L'entreprise change", a complété la ministre du Travail Muriel Pénicaud, soulignant que "de plus en plus de sociétés" cherchaient à "définir leur impacts environnementaux" tandis que de plus en plus de citoyens considéraient que l'entreprise était "partie prenante" de l'intérêt collectif.

Mandatés début janvier pour plancher sur "l'entreprise et l'intérêt général", Nicole Notat, fondatrice de l'agence de notation sociale Vigeo Eiris, et Jean-Dominique Senard ont auditionné pendant trois mois plus de 200 acteurs (patrons, juristes, organisations professionnelles et associations). Leur rapport, intitulé "L'entreprise, objet d'intérêt collectif", formule une quinzaine de propositions pour faire évoluer cette entité et redorer son blason au sein de la société.

" La raison d'être de l'entreprise est son ADN, son étoile polaire "

Une "raison d’être" des entreprises. Les auteurs préconisent notamment d'amender l'article 1833 du code civil, rédigé à l'époque napoléonienne, et d'y ajouter les "enjeux sociaux et environnementaux" et l'"intérêt propre" de la société (aujourd’hui, le seul objet de mentionné est "l’intérêt commun des associés"). Ils préconisent aussi de faire aussi évoluer le code du commerce pour y introduire la "raison d'être" de l'entreprise, son "ADN" et "son étoile polaire", selon les mots du patron de Michelin. De tels changements obligeraient toutes les sociétés à modifier leurs statuts en ajoutant de nouveaux objectifs, et surtout à rendre des comptes sur leur réalisation.

Pas de statut d'"entreprise à mission". Nicole Notat et Jean-Dominique Senard proposent en outre, dans l'idée de prendre en compte le "temps long", de renforcer la présence des salariés dans les conseils d'administration et souhaitent voir les critères sociaux et environnementaux entrer dans le calcul de la part variable de la rémunération des dirigeants d'entreprise. Le rapport ne préconise pas en revanche la création d'un nouveau statut d'"entreprise à mission", comme cela existe dans plusieurs pays comme aux États-Unis avec les "benefit corporations". Ces entreprises se dotent de missions d'intérêt collectif ayant un impact positif sur la société et l'environnement, en plus de la traditionnelle recherche de bénéfices.

"Il suffit en réalité que la direction de l'entreprise (…) fasse voter par l'assemblée générale de ses associés ou actionnaires le fait d'inscrire une mission dans les statuts", a expliqué Jean-Dominique Senard, en évaluant l'évolution de cette mission. En France, quelques entreprises se dont déjà dotées d’elles-mêmes d’un tel objet, notamment la Camif. A cet effet, les statuts de la société stipulent à présent qu’en plus de "proposer des produits et services pour la maison", comme c’est le cas depuis 1947, cette activité doit être effectuée "au bénéfice de l’homme et de la planète".

Arbitrages à venir. Le gouvernement dira "prochainement" son avis sur les propositions, a indiqué Bruno Le Maire, sans doute dès la semaine du 12 mars. La ministre du Travail Muriel Pénicaud a toutefois montré un certain enthousiasme en jugeant que la "connaissance opérationnelle et l'engagement de longue durée" de Nicole Notat et l’implication de Jean-Dominique Senard, chantre d'un "capitalisme empreint d'humanisme", donnaient "beaucoup de crédibilité" à leurs propositions.

Les patrons dubitatifs, les salariés attentifs

Les propositions du rapport ont été accueillies avec prudence par l'Afep, l’Association française des entreprises privées qui regroupe les plus grands groupes tricolores. Prenant "acte" dans un communiqué "du souci qui a animé les rédacteurs du rapport dans la recherche d'un juste équilibre", l'Afep souligne qu'il faudra "examiner la portée de notions nouvelles telles que celle de raison d'être". De son côté, le Medef donne un bon point au rapport pour avoir rappelé "qu’une entreprise doit nécessairement s’inscrire dans la durée et tenir compte des dimensions sociales, sociétales et environnementales de ses activités" mais regrette que "les auteurs aient toutefois tenu à inscrire ces principes dans le code civil", un "choix contraignant qui s’applique indifféremment à toutes les entreprises".

En revanche, la CFDT s’est réjouie de voir plusieurs de ses propositions reprises dans le rapport final : "reconnaissance des travailleurs comme partie constituante de l’entreprise", "réécriture sécurisée de l’article 1833 du code civil", "gouvernance enrichie avec l’augmentation du nombre d’administrateurs salariés"… Le syndicat attend désormais du gouvernement "qu’il reprenne sans les affaiblir l’ensemble des propositions du rapport" et fasse "preuve d’audace".