Dons des sociétés pour la reconstruction de Notre-Dame : les déductions fiscales font polémique

© LUDOVIC MARIN / AFP
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Alors que le seuil du milliard de dons devrait être dépassée mercredi, la question de la défiscalisation des dons des sociétés se pose. Certains réclament qu’elle soit élargie, d’autres la dénoncent, notamment pour les plus riches.
ON DÉCRYPTE

C’est un chiffre symbolique et impressionnant qui était sur le point d'être atteint mercredi, moins de 48 heures après le sinistre qui a fortement endommagé Notre-Dame de Paris. Entre les dons des grands groupes, ceux des institutions publiques et ceux enfin des particuliers, c’est plus d’un milliard d’euros qui sera à coup sûr collecté pour rebâtir la cathédrale meurtrie par les flammes. Au minimum, car ce chiffre pourrait largement grimper dans les jours, les semaines et les mois à venir.

Mais le paradoxe, c’est que plus ce chiffre augmente, plus la charge pour l’Etat, et donc in fine pour les contribuables, augmente elle aussi. Car le régime fiscal sur les dons est très favorable en France. "C’est la collectivité publique qui va prendre l’essentiel [des frais de reconstruction] en charge !", prévenait Gillez Carrez, député LR, rapporteur spécial du programme patrimoine pour la commission des finances de l’Assemblée nationale, dès mardi soir dans Le Monde. L’élu du Val-de-Marne n’a pas tort. Et certains s’agacent d’ailleurs que les grands groupes français profitent ainsi potentiellement de cette ristourne fiscale. Quand d’autres réclament son extension.

Pourquoi y a-t-il des polémiques ?

L’empressement à sortir le carnet de chèques des grands groupes français, parfois volontiers enclins à l’optimisation fiscale, a fait grincer quelques dents, à gauche notamment. "On ne peut pas faire de la préservation de notre patrimoine une grande opération de communication comme certains sont en train de faire", a ainsi accusé la tête de liste La France insoumise pour les Européennes Manon Aubry mercredi matin sur LCI, dénonçant "une espèce de course à l'échalote de l'entreprise qui donnerait le plus tout en revendiquant l'exonération d'impôt. Le plus simple, ce serait déjà qu'ils commencent par payer leurs impôts, ils ne peuvent pas se payer une opération de communication en mettant leur nom potentiellement sur une pierre de Notre-Dame et de l'autre côté, ne pas payer leurs impôts", a-t-elle critiqué.

Pour couper court à cette polémique, la famille Pinault, qui a promis 100 millions d'euros, a annoncé mercredi matin qu’elle renoncerait au crédit d’impôt, comme Europe 1 le révélait dans la matinée. "La donation pour Notre-Dame de Paris ne fera l'objet d'aucune déduction fiscale. La famille Pinault considère en effet qu'il n'est pas question d'en faire porter la charge aux contribuables français", indique dans un communiqué, François-Henri Pinault, président de la holding familiale et PDG du groupe de luxe Kering.

Mais c’est aussi la facilité avec laquelle les grands groupes français ont pu débloquer d’énormes de somme d’argent qui a fait tiquer. "S'ils sont capables de donner des dizaines de millions pour reconstruire Notre-Dame, qu'ils arrêtent de nous dire qu'il n'y a pas d'argent pour satisfaire l'urgence sociale", a dénoncé le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez mercredi sur France Info. Polémique "minable", a rétorqué le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux. L’unité nationale qui a saisi les politiques et les acteurs sociaux après l’incendie de la cathédrale semble bel et bien avoir vécu.

Que prévoit la loi pour les particuliers et pour les entreprises ?

Le régime fiscal des dons à des associations ou des fondations est régi par la loi du 1er août 2003 dite loi Aillagon, du nom du ministre de la Culture de l’époque, (et dont nous reparlerons un peu plus loin). Ce texte définit les remboursements dont peuvent bénéficier particuliers et entreprises, à condition de donner à des organismes d’intérêt général reconnus par l’Etat. Ce qui exclut du champ du crédit d’impôt toute participation à une cagnotte en ligne.

#Pour les particuliers
La loi prévoit pour les personnes physiques une réduction de l’impôt sur le revenu de 66% du montant du don, dans la limite de 20% du revenu imposable. Concrètement, si un contribuable donne 10.000 euros pour la reconstruction, il recevra un crédit d’impôt d’un montant de 6.600 euros, à condition que son revenu imposable dépasse les 33.000 euros. Si ce revenu imposable est par exemple de 30.000 euros, alors ce contribuable ne pourra toucher que 6.000 euros.

Autre mesure : si le crédit d’impôt dépasse le montant dû par le contribuable, ce dernier peut décider de conserver tout ou partie la somme pour alléger son impôt pendant les cinq ans à venir, jusqu’à épuisement de son crédit.

Pour les contribuables les plus aisés, éligibles à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) - qui remplace feu l’ISF -, la réduction grimpe jusqu’à 75% du montant du don, dans la limite de 50.000 euros, une limite atteinte quand le don s’élève à 66.666 euros. Donc si une personne devant s’acquitter de l’IFI donne 30.000 euros pour la reconstruction de Notre-Dame, elle pourra récupérer 22.500 euros pour alléger le poids de son IFI.

#Pour les entreprises 
Pour les entreprises, c’est l’impôt sur les sociétés qui peut être allégé par un crédit d’impôt suite à un don. Cette fois, le montant du crédit d’impôt est de 60% du don, contre 66% pour les particuliers. Là encore, la loi prévoit un plafond, correspondant à 0,5% du chiffre d’affaires de l’entreprise déclaré en France. Concrètement, la famille Arnault, qui a promis de donner 200 millions d’euros via son fonds d’investissement, peut donc espérer 120 millions d’euros du fisc, si son chiffre d’affaires déclaré dépasse les 24 milliards d’euros.

Comme les particuliers, les entreprises peuvent décider, si le montant du crédit d’impôt dépasse le montant de l’impôt sur les sociétés à acquitter, d’utiliser le surplus dans les cinq années à venir.

Le dispositif est donc au final loin d’être indolore pour les caisses de l’Etat. Selon le rapport de la Cour des comptes de 2018, le dispositif Aillagon a coûté, concernant les seules entreprises, 930 millions en 2016, contre 90 millions en 2004. Avec l’incendie de Notre-Dame, le chiffre pourrait exploser dans le Budget 2020. "C'est tout le problème de ce genre de dispositif : ça peut poser un problème budgétaire", expliquait Gilles Carrez dans Le Monde.

La loi va-t-elle changer ?

Certains souhaitent faire évoluer le dispositif pour permettre au plus grand monde de participer à l’effort de reconstruction. Des sénateurs les Républicains ont ainsi annoncé avoir déposé une proposition de loi pour porter à 90% du montant du don le crédit fiscal pour les particuliers, dans la limite de 1.000 euros. Le gouvernement ne devrait pas aller aussi loin. Le Premier ministre Edouard Philippe a en effet annoncé mercredi, à la sortie d'un Conseil des ministres consacré à ce seul sujet, la présentation "dès la semaine prochaine" d'un projet de loi pour donner un "cadre légal" aux dons versés pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Ce projet de loi prévoira notamment une réduction fiscale dérogatoire de 75% pour les dons des particuliers jusqu'à 1.000 euros

Quant à l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, actuellement directeur général de la collection Pinault, il a réclamé, avant de se rétracter, que soit étendu à Notre-Dame  le régime de Trésor national, afin que la réduction d’impôt grimpe à 90% du don.

Mais concernant les entreprises, la loi ne devrait pas évoluer. "Les entreprises bénéficieront des réductions d'impôts, dite de mécénat, dans les conditions actuelles", a en effet précisé le Premier ministre.