Crise : quel rôle doit jouer la BCE ?

Mario Draghi, le nouveau patron de la BCE
Mario Draghi, le nouveau patron de la BCE
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Jean-Louis Dell'oro , modifié à
La Banque centrale européenne ne sera pas concernée par les modifications des traités.

Le statut de la BCE ne changera pas. C'est ce qu'ont fini par décider Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et Mario Monti lors du mini-sommet qui s'est tenu jeudi à Strasbourg. Les dirigeants des trois premières économies de la zone euro ont notamment tenté de trouver un terrain d'entente sur les solutions à apporter pour sortir l'Europe de l'ornière des marchés. Le rôle de la Banque centrale européenne (BCE) a été au cœur des discussions de ce nouveau "triumvirat". Mais quel rôle joue cette institution et pourquoi les positions divergent sur la politique monétaire qu'elle doit mener ? Europe1.fr fait le tour de la question.

La BCE peut-elle encore agir sur son taux directeur ? La Banque centrale européenne peut décider d'augmenter ou de baisser son principal taux directeur. Il s'agit d'un moyen d'action fondamental. Ce taux dit de refinancement correspond au taux auquel la BCE prête de l'argent aux banques commerciales, ce qu'on appelle aussi des liquidités.

Lorsque le taux directeur baisse, le coût de l'argent est moindre pour les banques. Celles-ci sont alors incitées à ouvrir les vannes du crédit pour les particuliers et les entreprises afin de relancer la croissance. De cette façon, le taux directeur a par exemple une incidence indirecte sur le taux d'intérêt que vous payez pour un emprunt immobilier.

Ce taux a récemment été ramené à 1,25%. La marge pour le baisser est donc d'autant plus faible aujourd'hui. Une éventuelle nouvelle diminution du taux directeur serait vraisemblablement insuffisante pour relancer la croissance.

Pourquoi racheter des obligations souveraines ? Afin de financer ses déficits, chaque Etat émet des parts de dettes qu'il vend ensuite à des investisseurs : ce sont des obligations. Quand les investisseurs perdent confiance dans la capacité d'un pays à régler ses dettes, les taux auxquels empruntent cet Etat explosent. Le pays a alors les plus grandes difficultés à refinancer sa dette et peut même ne plus être en mesure de payer ses traites.

Autre conséquence : plus les taux d'emprunt des Etats montent, plus la valeur des obligations déjà émises sur le marché baisse. Les banques et les autres établissements qui possèdent beaucoup d'obligations voient alors leur bilan fondre comme neige au soleil. En outre, certains spéculateurs gagnent de l'argent en pariant sur la défaillance des Etats.

Afin de contrer ce phénomène, la BCE intervient épisodiquement pour racheter les obligations  des pays membres de la zone euro sur le marché secondaire (le marché de l'occasion des obligations). Après avoir arrêté un temps son programme de rachat, elle l'a repris en août dernier. Elle a ainsi racheté pour 183 milliards d'euros de dettes des pays en difficulté comme la Grèce, le Portugal ou encore l'Italie. En les rachetant, elle soutient leur niveau de prix sur les marchés et donc fait baisser les taux d'emprunt des Etats. C'est une façon détournée de "monétiser la dette", autrement dit de faire tourner la planche à billets.  

Que propose la France ? Nicolas Sarkozy veut renforcer l'interventionnisme de la BCE sur les marchés obligataires. Les Français souhaitent que le rachat d'obligations par la BCE devienne massif et ce, autant de temps qu'il le sera nécessaire. Avantage : cela réduirait la pression sur les Etats fragiles pour financer leur endettement.

Pourquoi l'Allemagne s'y oppose ? Berlin, traumatisé par l'épisode d'hyperinflation qu'a connu l'Allemagne dans les années 20, a peur que l'inflation reparte en flèche. En monétisant la dette, c'est comme si on créait de l'argent à partir de rien. En théorie, plus on fait tourner la planche à billets, plus la valeur de la monnaie (le nombre de biens que l'on peut acheter avec) diminue et plus l'inflation augmente.

Seulement aujourd'hui, il existe de nombreux facteurs déflationnistes qui contrebalancent la hausse des prix généralisée. On peut citer par exemple la concurrence accrue avec la mondialisation ou le chômage de masse qui provoque l'austérité dans les revendications salariales.

Dans la zone euro, l'inflation s'établissait à 3% en octobre, alors que l'objectif de la BCE est de maintenir une inflation en dessous de 2%.

L'Allemagne est-elle contre par principe ? Non. D'ailleurs, la dernière émission allemande à 10 ans lancée mercredi est éclairante. Sur les 6 milliards d'euros proposés sur les marchés, seuls 3,6 milliards d'euros ont trouvé preneurs. Face à cet échec, la Bundesbank a été contrainte d'intervenir pour boucler l'opération en achetant une partie des obligations allemandes. Si le procédé est habituel, les montants débloqués par la banque centrale allemande le sont beaucoup moins. L'Allemagne a donc fait pour son cas particulier ce qu'elle déconseille à l'échelle de la zone euro.

Que veut l'Allemagne ? En réalité, Berlin ne semble pas complètement fermé à une augmentation des rachats de dettes par la BCE. Mais en contrepartie, l'Allemagne veut que les Etats adoptent une discipline budgétaire rigoureuse.

Le risque n'est en effet pas mince de voir des Etats qui ont dépensé beaucoup trop par rapport à leurs moyens se voir finalement confortés dans leurs choix.

Elle souhaite aussi que la BCE reste indépendante pour qu'elle ne prenne pas trop de place dans la politique économique des pays alors qu'aucun de ses membres n'est élu par le peuple. "Nous avons tous trois indiqué que, dans le respect de l'indépendance de cette institution, il fallait s'abstenir de demandes positives ou négatives" à la BCE, a finalement annoncé Nicolas Sarkozy après la réunion tripartite jeudi entre l'Italie, l'Allemagne et la France.

Le rachat d'obligations est-il une solution définitive à la crise ? Sur le long terme, non. La France pousse l'Europe à se doter d'une banque centrale à l'américaine, qui intervient pour maîtriser les prix mais également pour relancer l'économie. Or, la Fed a montré ses limites. Elle a injecté massivement des liquidités dans le système américain. En tout, cela représente plus de 2.000 milliards de dollars depuis la crise. Le résultat n'est pas probant : l'argent n'a pas stimulé l'économie réelle, le taux de chômage est resté très haut et l'endettement de l'Etat fédéral pose de plus en plus de problèmes budgétaires.

En revanche, à court et à moyen terme, cela permet de mieux maîtriser les réactions des marchés et de contrôler les taux d'intérêt auxquels empruntent les Etats.