"Toni Erdmann", le film qui se rit du capitalisme

De gauche à droite : Sandra Hüller et Peter Simonischek
De gauche à droite : Sandra Hüller et Peter Simonischek © Komplizen Film
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Guillaume Perrodeau , modifié à
Le film allemand, réalisé par Maren Ade, fut l'un des plus appréciés par la critique lors du dernier Festival de Cannes. Il sort mercredi en salles.

Ines (Sandra Hüller) est une brillante femme d'affaire allemande. Installée à Bucarest, elle travaille pour un cabinet d'audit qui la mandate auprès d'entreprises locales afin "d'externaliser" une partie de leur production  - comprenez licencier, pour gagner encore plus d'argent. Ines a une vie bien remplie, bien rangée, jusqu'au jour où son père, Winfried Conradi (Peter Simonischek), vient passer quelques jours chez elle.

En tant que père, le constat qu'il fait est difficile. Sa fille semble malheureuse, un peu sans le savoir. Winfried décide alors de prendre les traits de Toni Erdmann, un personnage qu'il invente de toutes pièces, pour transformer le quotidien d'Ines et la faire sourire à nouveau.

Présenté en compétition lors du dernier Festival de Cannes, le film avait été largement plébiscité par la critique, mais était reparti bredouille.

Un bon sketch plutôt qu'une leçon de morale. Dès les premières scènes du film, Ines est un symbole. En quelques plans, Maren Ade, réalisatrice d'Everyone Else, plante son décor. D'un côté il y aura la fille qui a réussi professionnellement et se consacre trop à son travail consistant à accroître encore un peu plus les marges des entreprises. De l'autre, un père qui se plaît à ne rien prendre au sérieux et s'invente une nouvelle vie grâce à un simple dentier. Deux vies qui n'ont rien à voir, mais reliées par les liens du sang. Ines accepte, quelque peu à reculons, la venue de son père chez elle pendant plusieurs jours. Une courte période, qui lui suffit pour se décider à passer à l'acte.

À cet instant, où le père décide d'endosser le rôle de Toni Erdmann pour bousculer la vie de sa fille, le film pourrait prendre la mauvaise direction. Le second long-métrage de Maren Ade aurait pu être un pamphlet un peu lourd contre les dérives du libéralisme, en opposant aussi ouvertement deux figures contraires. Comment Maren Ade évite ce piège ? En convoquant le rire, tout simplement, là où d'autres films se condamnent au sérieux sous prétexte d'aborder des sujets graves. Tout comme Winfried, la réalisatrice préfère un bon sketch à une leçon de morale. Le rire devient une arme pointée vers deux cibles : le sérieux d'Ines et le rigorisme du capitalisme financier et mondial.

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La lutte à une petite échelle. Winfried fait fi des conventions, s'invite au travail de sa fille, blague avec un important client d'Ines. Le film est rempli de ces petites scènes où la situation tourne à la farce, grâce au père, rendant ridicule ce petit monde truffé de règles implicites. Winfried, alias Toni Erdmann, prouve qu'avec un dentier et une perruque, beaucoup de choses sont possibles et que finalement, le sérieux des mondanités d'affaires ne tient pas à grand-chose. Une lutte contre le système à une petite échelle - sa fille et ses collègues - mais si Toni Erdmann peut remporter cette bataille, il aura déjà réussi une petite révolution.

Il y a aussi beaucoup de poésie dans ce rapport compliqué entre un père et sa fille. La quête de Winfried pour recréer la relation perdue avec Ines est émouvante, emprunte de mélancolie. Les deux acteurs excellent dans cette interprétation où un lourd passif semble peser sur les liens familiaux. Sandra Hüller et Peter Simonischek réussissent à donner l'illusion d'une complicité, de la gêne aussi parfois. Toni Erdmann aurait sans doute mérité mieux à Cannes. Au public maintenant, de lui donner sa chance.