Théâtre : dans une pièce, Robert Badinter imagine une rencontre entre Laval et Bousquet

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Mathilde Durand , modifié à
L'ancien garde des Sceaux Robert Badinter s'attaque au théâtre avec un recueil de trois pièces "Théâtre I", mêlant justice, fiction et Histoire. Sur Europe 1, il revient sur l'une d'entre elles qui imagine une rencontre entre Pierre Laval et René Bousquet, deux figures de la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale.
INTERVIEW

Une rencontre entre deux destins. L'ancien garde des Sceaux Robert Badinter publie pour la première fois un recueil de trois pièces de théâtre baptisé Théâtre I aux éditions Fayard, mêlant histoire, justice et fiction. Dans une des pièces, il imagine la rencontre entre les deux principaux responsables de la déportation des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale : Pierre Laval et René Bousquet, dans le décor de la cellule 107 de la prison de Fresnes, en octobre 1945. L'un sera fusillé, l'autre acquitté et reconnu comme résistant. Sur Europe 1, l'ancien garde des Sceaux revient sur ces deux destins historiques. 

Laval, fusillé

Si les dialogues sont imaginés par l'ancien avocat, la rencontre entre ces deux figures de la collaboration a vraiment eu lieu. "Cela a été une surprise pour moi. J'ai fait beaucoup de recherches sur le procès Bousquet et je me suis aperçu à ce moment-là que Bousquet avait été la dernière personne à s'entretenir avec Laval avant sa tentative d'empoisonnement et son exécution. Je me suis demandé ce qu'ils avaient pu se dire", confie Robert Badinter. Pour imaginer leur discussion, l'ancien ministre s'est aidé de son expérience des condamnés à mort mais aussi des discours de Pierre Laval lors du procès de Pétain ou de sa propre comparution. Le dramaturge utilise d'ailleurs comme un fil conducteur la haine portée par Pierre Laval au maréchal Pétain.

Au cœur du dialogue entre les des deux hommes, le sort des Juifs de France dont ils ont précipité la déportation. L'élu et le fonctionnaire sont deux ambitieux, aux destins opposés à la fin de la guerre. Pierre Laval sera condamné à mort par la Haute Cour de justice pour "haute trahison" et "complot contre la sûreté intérieure de l'État". "Il s'était fait lui-même", raconte Robert Badinter, évoquant la carrière de ce fils d'aubergiste auvergnat devenu treize fois ministres et trois fois président du Conseil.

" Bousquet a été l'un des hommes avec le plus de responsabilités dans le génocide des Juifs de France "

"Pétain était, par son milieu d'origine, l'armée et la carrière miliaire, antisémite. Il a rajouté d'ailleurs des interdictions aux Juifs en ce qui concerne la fonction publique. Mais Laval s'en fichait, cela ne l'intéressait pas. Cela intéressait les nazis au premier chef et il a pris des décisions conformes à la volonté de ceux qu'ils considéraient comme les vainqueurs certains et les alliés potentiels", analyse l'ancien garde des Sceaux. "Que Laval soit un salaud, une canaille politique, je le crois volontiers. Mais lui prêter un antisémitisme couleur de sang et de cendre aujourd'hui, c'est aller trop loin dans la vérité historique." Il rappelle néanmoins que Laval a livré des "enfants aux Nazis", un "crime contre l'humanité impardonnable" dont l'élu feignait "de ne pas s'en rendre compte".

"Il a dit deux fois en public quand il a comparu : 'Je voudrai n'être jugé que par des israélites français car ils savent tout ce qu'ils me doivent'. Je mesure l'inconscience, l'audace du personnage", décrypte Robert Badinter.

Bousquet, acquitté

En face de Pierre Laval, René Bousquet, pourtant chef de la police de Vichy, sera acquitté après son passage à la Haute Cour de justice, trois ans après la fin de la guerre, mais surtout relevé de "l'indignité nationale aux motifs des services rendus à la Résistance". Un "scandale judiciaire" qui a souvent hanté Robert Badinter, pour qui les raisons de cet acquittement restent encore inconnues, malgré ses recherches. 

"Il était le chef de la police de Vichy, il a été l'un des hommes avec le plus de responsabilités dans le génocide des Juifs de France, dans la livraison aux Nazis des Juifs", commente-t-il. "Il est le seul de son espèce à ma connaissance qui soit sorti de la Cour de Justice avec un brevet de résistant." Acquitté avec les honneurs, René Bousquet fera carrière dans le privé. "Il s'est beaucoup montré dans Paris, pas que dans Paris", ironise l'ancien avocat.

"J'aurais tant voulu trouver qui était responsable de cet acquittement", confie-t-il. "Pourquoi ? Comment ? J'ai cherché partout." Dans les années 1980, une interview dans L'Express de Darquier de Pellepoix, antisémite avéré, commissaire aux Affaires juives sous Vichy et réfugié en Espagne, pointe directement la responsabilité de Bousquet dans l'organisation de la rafle du Vel d'Hiv de 1942. "C'est uniquement grâce à ça qu'on a, d'un seul coup, déchiré le masque et le voile qui entouraient l'affaire Bousquet", assure Robert Badinter, qui revient également sur les liens entre ce dernier et François Mitterrand, dont il a été le ministre de la Justice.

"Je n'ai jamais vu Bouquet de ma vie. Je sais que Bousquet et Mitterrand ne se connaissaient pas à Vichy, puis il a été en prison. Le Bousquet qu'a fréquenté Mitterrand, c'est le Bousquet avec le certificat de résistance de la Haute Cour", clarifie-t-il.