"Snowden" : ces lanceurs d'alerte dont raffole Hollywood

Joseph Gordon-Levitt incarne Edward Snowden à l'écran.
Joseph Gordon-Levitt incarne Edward Snowden à l'écran. © Open Road
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Clément Lesaffre
La sortie de "Snowden" d'Oliver Stone s'inscrit dans une dynamique de renouveau des films sur les lanceurs d'alerte, aussi bien à Hollywood qu'en France, dans les années 2010.

L'homme ne paye pas de mine. Plutôt mince, pas franchement musclé, un visage pâle aux traits doux et barré par de grosses lunettes. Edward Snowden n'a physiquement rien d'impressionnant. Pourtant, c'est bien en héros qu'il apparaît dans le film qui porte son nom, réalisé par Oliver Stone (en salles depuis mardi). Dans Snowden, le jeune informaticien employé par la NSA et la CIA (joué par Joseph Grodon-Levitt) est clairement dépeint comme un justicier qui n'a pas hésité à sacrifier son confort de vie pour dénoncer la surveillance de masse des citoyens américains et devenir ainsi l'ennemi public numéro 1 aux États-Unis.

1999, année de naissance. Ce parti pris choisi par le réalisateur Oliver Stone - fin observateur des failles de son pays à qui l'on doit entre autres Platoon, Wall Street et W. : l'improbable président - finit d'imposer les lanceurs d'alerte comme un nouveau prototype de héros des années 2010. Pour autant, la figure n'est pas nouvelle. En 1999, deux films majeurs ont érigé des lanceurs d'alerte comme des chevaliers blancs, seuls contre des multinationales qui font passer le profit avant la santé des consommateurs : Révélations, de Michael Mann, sur l'industrie du tabac ; et Erin Brokovich, seule contre tous, de Steven Soderbergh, sur la pollution de l'eau potable en Californie.

Retour discret. Puis, écran noir pendant plus de dix ans. Aussi vite qu'ils sont apparus, les lanceurs d'alerte disparaissent des salles de cinéma. Au début du siècle, les (super)héros s’appellent Wolverine, Batman et Iron Man. Il faut attendre 2010 pour assister à un retour en catimini des lanceurs d’alerte, avec Seule contre tous. Ce film germano-canadien (même pas sorti en salles chez nous) retrace les révélations de la policière américaine Kathryn Bolkovac, incarnée par Rachel Weisz. A la fin des années 1990, elle a divulgué des documents prouvant l'implication d'employés de DynCorp, société militaire privée où elle a travaillé, dans un réseau de prostitution et d'un trafic d'êtres humains dans la Bosnie-Herzégovine d'après-guerre.

Epoque à scandales. Le film s'inscrit alors dans un contexte de médiatisation et de reconnaissance du travail des lanceurs d'alerte. Les citoyens réclament de la transparence et les journaux font leur unes sur les scandales financiers (Swissleaks, Offshore Leaks, Panama Papers...), sanitaires (Mediator) et militaires (les vidéos de bavures de l'armée américaine publiées par WikiLeaks). Les lanceurs d'alerte, bien que peu protégés par les législations de leurs pays, commencent à être considérés comme des porte-étendards de la transparence et de la démocratie citoyenne.

Les lanceurs d'alerte au cinéma

Renouveau hésitant. Résultat, en 2013 sort inévitablement un film sur l’histoire de WikiLeaks, le site rencontrant un écho important dans les médias et la société. Malgré un joli casting (Benedict Cumberbatch dans le rôle de Julian Assange), Le Cinquième Pouvoir ne connaît pas un grand succès public et critique. Mais il fait parler de lui quand le fondateur du site Julian Assange le qualifie "d'attaque propagandiste" contre son travail. En effet, il n’est pas présenté comme un véritable "chevalier blanc", plutôt comme un homme aux motivations ambiguës.

Documentaire et thrillers. Malgré l'échec du Cinquième Pouvoir, Hollywood décide de persévérer dans l'exploration de ces personnages qui semblent eux-mêmes tout droit sortis de films d'espionnage. Mais désormais, il faut des œuvres moins critiques, calibrées comme des thrillers. En 2015, Citizenfour, récit haletant de la rencontre secrète entre Edward Snowden et des journalistes pour diffuser les preuves d'une surveillance de masse de la part de la NSA, reçoit l'Oscar du meilleur documentaire.

Un modèle avec de belles références. Il n'a fallu qu'un an pour que l’histoire de l’informaticien devenu lanceur d’alerte soit adaptée en film. Preuve que Hollywood a trouvé son modèle du "film de lanceur d’alerte", à mi-chemin entre Les Hommes du Président - pour le côté investigation, découverte d’un secret d’État – et Jason Bourne – pour le héros seul contre un système surpuissant prêt à tout pour conserver ses zones d’ombre. Des références solides qui promettent de futurs succès en salles et, pourquoi pas, aux Oscars.

La France n'est pas en reste

Les lanceurs d'alerte ne sont pas un phénomène uniquement américain et il n'a pas fallu attendre longtemps pour la France s'empare du sujet. Ainsi sort en 2014 L'enquête, dans lequel Gilles Lellouche est Denis Robert, le journaliste d'investigation qui a dénoncé l'affaire Clearstream en 2001. Le cinéaste Vincent Garencq dresse le portrait d'un homme jusqu'au-boutiste, prêt à quitter son job pour faire éclater ce scandale d'évasion fiscale.

Affaire du Médiator. Snowden ne sera pas le seul film sur un lanceur d'alerte à sortir en ce mois de novembre. La Fille de Brest, en salles mercredi 23, est une adaptation de l'affaire du Médiator, ce médicament pour le diabète du laboratoire Servier qui aurait conduit à la mort de plus de 500 malades. Emmanuelle Bercot s'intéresse au rôle d'Irène Frachon (incarnée par Sidse Babett Knudsen), pneumologue au CHU de Brest qui a découvert des cas d'atteintes cardiaques chez des patients traités avec le Mediator et a dénoncé la dangerosité du médicament et s'est battue pour le faire interdire.