Séries françaises : la recette d'un succès récent sur le petit écran

La première série française est Plus Belle La Vie.
La première série française est Plus Belle La Vie. © GERARD JULIEN / AFP
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Maxime Asseo
Plus qualitatives au fil des années, les séries françaises s’imposent désormais dans le classement des meilleures audiences de fiction du petit écran, devant les séries anglo-saxonnes. Un phénomène télévisuel qui reste toutefois à nuancer lorsqu'on le prend en compte l'impact immense des plateformes. 

"On est passé du simple au double", se félicite Anne Holmes, directrice de la fiction française à France Télévisions, qui a vu l’audience des séries produites par le groupe grimper en flèche pendant le confinement. Un audimat toujours élevé à ce jour : Vortex, Piste Noire ou encore l’Île prisonnière ont atteint les cinq millions de téléspectateurs en prime time récemment. "Depuis la rentrée, les séries de France Tv ont été 82 fois leaders".

 

Une tendance confirmée par Cécile Lacoue, directrice des études, des statistiques et de la prospective au CNC. En 2021, pour la première fois, les 100 meilleures audiences de fictions étaient des fictions françaises. Et ça se confirme en 2022. "Il y a encore dix ans, les séries qui marchaient le mieux étaient anglo-saxonnes. Mais depuis 2014/2015 la tendance s’est inversée", explique Cécile Lacoue.

La recette du succès : qualité et proximité

Même si les séries françaises, notamment celles diffusées sur les chaînes gratuites, sont davantage regardées par des catégories plus âgées et vieillissantes - "le profil sur le linéaire est de 61 ans", souligne Anne Holmes -, certaines d’entre elle sont devenues "des références, très ancrées auprès du public", assure Albin Lewi, directeur artistique du Festival Cannes Séries.

Par ailleurs, les replays disponibles sur la plateforme France.tv permettent tout de même de toucher un public plus jeune : "Certaines séries qu’on met sur les plateformes une semaine avant la diffusion à l’antenne font un million d’audience. On peut imaginer que ce ne sont pas uniquement des personnes de 80 ans", indique Anne Holmes. Sans parler des créations de France Tv Slash à destination des jeunes adultes ou des productions comme Le Bureau des Légendes ou Engrenages qui "vont aussi toucher un public plus jeune", ajoute Hervé Glévarec, sociologue de la culture et des médias et directeur de recherche au CNRS.

 

Un succès télévisuel qui s’explique par l’importance accordée à la qualité. "La production française est montée en gamme et s'est renouvelée ces dernières années. On voit des séries plus ambitieuses, plus fortes, plus originales, avec des efforts apportés sur les scénarios, les décors, les costumes comme pour Les Combattantes ou Le Bazar de la Charité. Ça explique leur succès", détaille Cécile Lacoue. Des budgets toujours plus importants – 288 millions d’euros de budget global dédié la fiction par France Télévisions – et une grande variété dans l’offre, permettent aux séries télévisées françaises de se démarquer face à des fictions outre-Atlantique plus formatées.

À travers les différentes caractéristiques qui les composent, la plupart des fictions françaises créent un lien de proximité avec le téléspectateur, qui retrouve "la vie de tous les jours". Malgré son arrêt récent, le meilleur exemple reste celui de Plus Belle La Vie. "Des paysages français, une langue française, tout ça contribue à leur ancrage. La série Dix pour cent par exemple, fait apparaître des acteurs que les Français connaissent. Tout ça joue contribue à notre lien affectif", explique Hervé Glévarec.

Un succès à mettre en perspective

Aborder le thème des séries en 2023, ne peut sans la prise en compte des plateformes de streaming (Netflix, Amazon Prime ou encore Disney+). Remise dans une perspective plus large, qui prend en compte l’ensemble de la population française et ces géants américains, l’audience des séries hexagonales est à relativiser. Leur place au cœur de l’écosystème des séries n’est pas à remettre en cause.

Elles sont bien présentes et malgré l’augmentation de la concurrence, "elles ne se font pas étouffer", assure Albin Lewi. La part de la fiction française sur les plateformes a même tendance à s’accroître d’après Cécile Lacoue, mais cette hausse "est encore modérée, comparée à la croissance de l’offre de séries en général", qui ne se limite plus à des séries anglo-saxonnes. "Aujourd’hui, les séries viennent de partout, comme Squid Game de Corée ou la Casa de Papel d’Espagne", ajoute Hervé Glévarec. Une concurrence très élargie qui participe à l’hyper individualisation des séries où chacun peut trouver ce qui lui correspond.

 

"Il faut sortir de cette idée que tout le monde regarde une seule série. Aujourd’hui, il y en a énormément, à l’image du secteur musical. Donc pour chacune d’entre elles, on a une proportion limitée de personne qui va la regarder. Certaines auront une plus grande audience, mais les séries françaises sont moins concernées", explique le sociologue, chiffres à l’appui. Dans son enquête sortie en 2017 - réalisée sur un panel de 18 ans et plus -, Grey’s Anatomy et Games of Thrones sont les séries les plus visionnées. "La première série française c’est Plus Belle La Vie, et elle n’est citée que par 6,2 % des spectateurs". La même enquête, réalisée sur les trois dernières années et qui sortira prochainement montre la même tendance : "En 2022, Game of Thrones est la série la plus regardée, pourtant elle n’est citée que par 12 % des personnes interrogées. Alex Hugo est la première série française avec seulement 4,9 %".

À l’échelle d’une chaîne de télévision, les séries françaises font des records d’audience mais restent relatifs quand on prend l’ensemble de la population française. Ajouté à cela les plateformes de streaming, les séries françaises arrivent dans un deuxième temps par rapport aux séries étrangères, qui font elles plus d’audience sur les plateformes qu’à la télévision.

Jamais en concurrence

Anne Holmes tient cependant à nuancer ce constat, en précisant que la comparaison entre les chaînes de télévision et les plateformes n’a pas lieu d’être : "On ne travaille pas de la même façon, on ne traite pas de la même chose et on n’a pas les mêmes budgets". À la télévision, "on vous propose la série que vous allez regarder, sur les plateformes, c’est vous qui choisissez".