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Tiffany Fillon , modifié à
Décédé jeudi, l'humoriste Guy Bedos a marqué le public grâce à ses sketchs politiques détonants. L'un d'entre eux, "Vacances à Marrakech" d'inspiration anti-raciste et profondément ironique, avait suscité une vive polémique dans les années 70, dans un contexte de violences à l'égard des immigrés. Sur Europe 1 samedi, Yvan Gastaut, historien, a expliqué pourquoi ce sketch est "une sorte d’illustration par l'humour de ces tensions". 
INTERVIEW

Il a été l'un des créateurs de l'humour politique en France. Grand talent de la comédie, Guy Bedos, décédé jeudi, avait fustigé l’hypocrisie et la bêtise dans ses sketchs de plus en plus politiques. Dans les années 70, un texte notamment a marqué par sa drôlerie et par le malentendu qu'il a suscité parmi les anti-racistes : il s'intitule "Vacances à Marrakech". Au micro d'Europe 1, Yvan Gastaut, historien spécialiste de l'immigration, est revenu samedi sur la polémique autour de ce sketch, présenté dans une époque en proie aux violences racistes. 

"Marrakech ? Ça nous a déçu. C'est plein d'Arabes. À Marrakech, il n'y a que ça", disait Guy Bedos en donnant la réplique à la comédienne Sophie Daumier dans le sketch "Vacances à Marrakech". Et à l'époque, ces paroles ironiques n'ont pas été interprétées comme telles par tous les spectateurs.

Pourtant, rappelle Yvan Gastaut, Guy Bedos était un homme engagé à gauche. "Il était dans cette mouvance qui était de dénoncer le racisme ordinaire qui avait largement cours dans les début des années 70", explique-t-il.

Racistes et anti-racistes "côte à côte"

Malgré cette volonté, Guy Bedos a aussi fait rire un autre public, qu'il n'avait pas visé à l'origine. "Le sketch est tellement bien réalisé que les rires ont fusé dans deux dimensions. Racistes et anti-racistes se retrouvent côte à côte pour rire derrière ce sketch, à différents degrés. C'est l'un des ressors ambigus de l'humour", analyse Yvan Gastaut, également maître de conférences à l'université de Nice Sophia Antipolis. 

À la suite de ce sketch, une polémique s'est ainsi créée, divisant racistes et anti-racistes. Guy Bedos avait du réagir. "Il avait du longuement s'expliquer à plusieurs reprises sur ses intentions qui parfois ont blessé les Maghrébins", indique l'historien, qui rappelle le contexte sombre de cette époque. "On sent dans le sketch des relents de la guerre d'Algérie et d'un passé colonial. Le sketch s'empare de cette frange de la population française", poursuit-il. 

Les immigrés lynchés dans les années 70

Les années 70 sont en effet celles des ratonnades, des violences dirigées vers la population maghrébine. "C'est une période qui va s'amorcer pendant laquelle ont lieu des menées racistes contre des travailleurs immigrés, principalement des hommes venus d'Algérie, du Maroc et de Tunisie, pour travailler en France", rappelle Yvan Gastaut. "Il se retrouve victimes d'un racisme violent, d'attaques et expéditions punitives." Pour le spécialiste de l'immigration, ce sketch reflète cette époque. "'Vacances à Marrakech' est une sorte d'illustration par l'humour de ces tensions. Il a touché très juste", estime-t-il. 

Dans ce contexte, Guy Bedos s'est senti incompris avec son sketch, écrit en 1969. Selon Yvan Gastaut, il "s'est retrouvé malgré lui épinglé pour ce qu'il n'a pas voulu développer, c'est-à-dire des comportements et attitudes racistes". L'historien affirme même que cet épisode a profondément marqué le comédien. "Le fait d'avoir été taxé de raciste et d'avoir été interdit des ondes ou de représentations avec ce sketch l'a fait beaucoup souffrir. Il restait comme une plaie ouverte dans son répertoire", précise Yves Gastaut.