Johnny Cash, un "homme en noir" au look pas si anodin

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Yvane Jacob, édité par Alexis Patri
Comme un garçon, il porte un blouson, un médaillon, un gros ceinturon… mais pas les cheveux longs. Le chanteur américain Johnny Cash, icône de la country et du rock, restera comme "l'homme en noir". Stéphane Bern décrypte dans "Historiquement vôtre" le message que cachait le look tout en noir de Johnny Cash.

Nous sommes à Nashville, en 1956. Comme chaque samedi soir, le Grand Ole Opry, mythique émission de radio en direct et en public, réunit les talents de la country music et du rock'n'roll naissant. Deux ans plus tôt, Elvis Presley en personne s'y est produit. Dans le public, les garçons en blue jeans se déhanchent et les filles font tourner leurs jupes, tandis qu'en coulisses un jeune homme attend nerveusement son tour. Il porte une chemise, un pantalon et une ceinture noire. Il s'appelle Johnny Cash.

Il a 24 ans, et il vient tout juste de sortir son premier disque chez Sun Records. Le même label que le King. Des débuts fantastiques pour ce petit gars de l'Arkansas. Johnny Cash est né en 1932 à Kingsland, et a grandi à Dyess. Dès l'âge de 8 ans, il travaille dans les champs de coton. La Grande Dépression rend les conditions de vie particulièrement difficiles dans cette région rurale. Enfant, Cash est appelé J.R, car ses parents ne s'entendent pas sur le prénom à lui donner. À 18 ans, alors qu'il entre dans l'armée de l'air, il adopte le nom de John Ray.

Un look mythique né par hasard

En Allemagne, où il est en poste, Cash commence à tâter de la guitare et compose des mélodies, marquées par les chants de son enfance. Il n'a pas de formation musicale, mais il a un don : sa voix. Sa mère le lui a répété toute son enfance : "la main de Dieu s'est posée sur toi". Dès son service fini, John Ray rentre au pays et, sans l'aide de Dieu, se fait passer la bague au doigt.

En 1954, sa femme et lui s'installent à Memphis, alors "the place to be". Le jour, Cash travaille comme vendeur. La nuit, il répète avec ses deux complices, le guitariste Luther Perkins et le bassiste Marshall Grant.

Le trio se produit pour la première fois dans une église, au nord de la ville. Aucun des musiciens n'a de quoi se payer une vraie tenue de gala. Mais ils ont tous au moins une chemise noire. Alors, avant de monter en scène, ils l'enfilent. Le concert est un succès, et Cash décide par superstition de garder ce look. C'est aussi à cette époque qu'il choisit son nom de scène, Johnny. 

Peu de temps après, le chanteur ose aborder Sam Phillips, le "père du rock'n'roll" comme beaucoup l'ont adoubé. Johnny lui chante ses reprises habituelles, des titres gospel et country. Mais ce sont ses propres chansons, celles qu'il a écrites lui-même, qui séduisent le producteur. Le premier disque se vend correctement. Les titres Hey Porter et Cry cry cry tournent à la radio et prennent la tête des classements… La carrière de Johnny Cash est lancée.

Femmes, drogues et rock'n'roll

En 1956, sort I walk the line. Un nouveau tube. Chez Sun Records, Johnny enregistre par hasard une session improvisée autour du piano avec Elvis Presley, Jerry Lee Lewis et Carl Perkins. La séance est baptisée dès le lendemain "million dollar quartet" par un journaliste, en référence aux succès commerciaux des quatre musiciens. Johnny Cash entre déjà dans la légende. Il enchaîne ensuite les succès, et les tournées. Son bus devient sa maison. June Carter, chanteuse née d'une grande famille de musiciens country, l'accompagne. Ils se connaissent depuis ce soir de 1956 au Grand Ole Opry, ce soir où June a plongé son regard dans les yeux noirs de Johnny.

Ils sont tous les deux mariés, chacun de leur côté, ils ont des enfants, quatre petites filles pour Johnny. Mais au fil des jours, sa complicité artistique avec la chanteuse se mue en une attirance amoureuse. Il lui fait la cour. Cette fois, pourtant, sa voix profonde de baryton ne suffit pas. June ne cède pas. Elle est trop témoin des excès en tous genres auxquels s'adonne le chanteur : drogues, alcools et femmes. Pourtant, elle n'est pas insensible à son charme et se sent prise dans un anneau de feu. Un "ring of fire" qui inspire à Johnny Cash une chanson, en 1963. 

À mesure que son mariage périclite, Johnny se noie toujours davantage dans la drogue. En 1965, il est arrêté à Juarez au Mexique. On trouve 1.000 tablettes d'amphétamines dans son étui de guitare. Il divorce l'année suivante, a quelques démêlées avec la police et se voit contraint d'annuler des concerts. Mais il peut compter sur June, qui l'aide à se désintoxiquer. Trois ans plus tard, Johnny est clean. Il peut remonter sur scène et, en février 1968, il demande la main de sa bien-aimée, en plein concert.

Johnny Cash, un Man in black

Dans les années 1970, Johnny Cash collabore avec Bob Dylan, Louis Armstrong, Ray Charles et Eric Clapton, ouvrant son univers musical à d'autres horizons. Son style aussi, toujours intégralement noir, le distingue des chemises à frange et chapeaux de cow-boys des groupes de country de l'époque. Le noir, Johnny le chante aussi, avec Man in black, l'homme en noir.

Et si, aux journalistes qui lui demandent encore pourquoi il porte toujours du noir, le guitariste ne répond pas toujours, il livre dans ce texte une nouvelle explication de son look. Il y explique qu'il porte du noir "pour le prisonnier qui a depuis longtemps payé pour son crime, mais reste la victime de son époque", "pour ces pauvres et ces vaincus, ceux des rues de la faim et du désespoir", "pour les vieux malades et solitaires" et aussi "en signe de deuil pour ceux qui auraient dû vivre". Un hommage à tous les jeunes soldats morts dans la guerre du Vietnam.

"Loin du public, je mets ce qui me chante", confie le guitariste dans son autobiographie. Mais, quand il est en représentation et dans ses chansons, Cash a besoin de rappeler que le monde va mal : "Bon, il y a des choses qui n'iront jamais bien, je sais/ Et partout, elles ont besoin d'être changées/ Mais jusqu'à ce qu'on commence à agir pour en redresser deux ou trois/ Vous ne me verrez jamais porter de costume blanc", chante-t-il.

Et les mots de Johnny Cash continuent ainsi : "Oh, j'adorerais m'habiller chaque jour d'un arc-en-ciel/ Et annoncer au monde que tout est parfait/ Mais je vais essayer d'emporter un peu de ténèbres au loin sur mon dos/ Jusqu'à ce que ce soit plus brillant, je suis l'homme en noir".

En 1992, Johnny Cash intègre le "Rock and Roll Hall of Fame", douze ans après avoir été élu au "Country Hall of Fame". Il est, avec Elvis, le seul à figurer dans ces deux panthéons de la musique américaine. En juillet 2003, deux mois avant sa mort, la star de 71 ans était encore sur scène, guitare à la main, tout de noir vêtu, éloignant pour ses fans, les ténèbres.

 

Bibliographie :

  • Johnny Cash, avec Patrick Carr, L'Autobiographie, Le Castor Astral, réédition 2022.
  • Reinhard Kleist, Cash, I see a darkness, Casterman, 2018.