Daniel Day-Lewis, acteur éperdument dévoué

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Guillaume Perrodeau
Le Britannique, trois fois Oscar du meilleur acteur, est à l'affiche de Phantom Thread mercredi. Une fois de plus, Daniel Day-Lewis s'est investi à fond dans son personnage, au point d'avoir annoncé qu'il s'agissait de son dernier rôle en tant que comédien.

C'est sa porte-parole, Leslee Dart, qui avait annoncé la nouvelle au magazine Variety en juin 2017 : "Daniel Day-Lewis ne travaillera plus en tant qu'acteur". Pour la dernière fois mercredi, le visage anguleux du comédien britannique devrait donc se projeter sur les écrans de cinéma, à l'occasion de la sortie de Phantom Thread, de Paul Thomas Anderson. Une ultime oeuvre, en guise d'adieu, où il incarne un couturier londonien de renom, à l'âme torturée. On y lit presque l'histoire de son propre rapport avec le cinéma.

L'épreuve du personnage. Daniel Day-Lewis qui arrête sa carrière d'acteur, c'est un pan de l'Histoire du cinéma qui prend fin. Seul acteur masculin à avoir remporté trois fois l'Oscar du meilleur acteur (1990, 2008 et 2013), il était aussi l'un des derniers pratiquants - à l'extrême - de la Méthode, technique d'interprétation de l'Actors Studio, célèbre école pour comédiens qui a vu passer les plus grands professionnels du septième art.

Pour l'acteur, le geste du personnage et son attitude ne doivent pas être feints ou joués, mais plutôt vécus. Comme si un maniement du fusil, à la manière de certaines scènes dans Le dernier des Mohicans (1992), devait communiquer avec lui le poids d'un héritage et d'un naturel. Le prix de la vérité face caméra, selon le comédien. Un prix qui vire à l'obsession.

C'est en effet peu dire que Daniel Day-Lewis s'implique dans ses rôles. Internet et les coupures de presse regorgent ainsi d'anecdotes de tournages. À l'occasion de My Left Foot (1989), il ne quitte pas le fauteuil roulant qui accompagne son personnage atteint d'une paralysie spasmodique entre les prises, il est nourri à la petite cuillère. Pour Le dernier des Mohicans, où il interprète un Européen au sein d'une tribu amérindienne, il part s'isoler plusieurs mois pour vivre dans les conditions de vie de l'époque. Avec Lincoln (2012), dans lequel Daniel Day-Lewis joue l'illustre président américain, il réclame un an de préparation à Steven Spielberg, le temps de se documenter, de lire sur l'homme et de s'entraîner à parler et se comporter comme lui.

" Ce métier me demande trop d'énergie. À la fin d'un film, je ressemble à un sol sur lequel il faut remettre de l'engrais. Je suis sec. "

Le miroir Reynolds Woodcock. Daniel Day-Lewis n'est évidemment pas le seul à préparer ses rôles avec un tel attachement. Mais l'intensité de cette rigueur méthodologique, tenue tout au long de sa carrière, est sans doute unique. "C'est un investissement spirituel si profond, inconfortable par ailleurs, qu'il devient difficile de laisser un personnage derrière soi. Le deuil est tel qu'il me faut des années pour m'en remettre", confiait-il à nos confrères du Monde, le 9 février dernier. "Ce métier me demande trop d'énergie. À la fin d'un film, je ressemble à un sol sur lequel il faut remettre de l'engrais. Je suis sec. Désespérément sec".

Rien d'étonnant donc, à ce que le schéma se soit répété à l'occasion de Phantom Thread. Pour le film, il a de nouveau passé des mois à se fondre dans le corps de métier de son personnage - la couture - côtoyant Marc Happel, le directeur des costumes du New York City Ballet's. Après la préparation du rôle, il y eut le tournage, pendant lequel la mélancolie et la perspective de l'adieu à son personnage ont ressurgi. Mais là, plus d'engrais. Un point de non-retour a été atteint. "Je ne sais pas pourquoi c’est différent cette fois-ci, mais l'impulsion d’arrêter s’était enracinée en moi, et c’est devenu une obsession. C’était quelque chose que je devais faire", a-t-il confié en décembre dernier à W magazine.

Il faut dire que le personnage de Reynolds Woodcock a tout du parfait miroir pour l'acteur. Ce couturier, assidu à la tâche, dévoré par son métier, enfermé dans un monde où sa routine ne peut être déréglée, est un double de fiction sidérant. Tour à tour sublime et tragique. Un adieu de trop, sans doute, comme à lui-même, à effectuer. "Je ne suis pas du genre à me répandre dans la presse, mais je voulais me donner la possibilité d'arrêter (le métier d'acteur, ndlr). Au moins le dire, l'énoncer. Pour revenir, plus tard. Enfin, revenir peut-être", annonce-t-il au Monde. Et s'il s'agissait seulement d'un deuil de soi-même un peu plus long que les précédents ?