Aux origines du gaz lacrymogène, une création made in France

Le gaz lacrymogène est devenu un passage obligatoire en fin de manifestation
Le gaz lacrymogène est devenu un passage obligatoire en fin de manifestation © Alain JOCARD / AFP
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David Castello-Lopes
Dans l'émission "Historiquement vôtre" sur Europe 1, le journaliste David Castello-Lopes est revenu jeudi sur l'origine du gaz lacrymogène. Une invention made in France qui donne l'impression que l'on va devenir aveugle et qui est de plus en plus utilisée dans l'encadrement des manifestations dans notre pays.

Le journaliste David Castello-Lopes revient tous les jours, dans l'émission Historiquement vôtre sur Europe 1, sur les origines d'un objet ou d'un concept. Jeudi, il s'intéresse au gaz lacrymogène, cette fumée qui brûle la gorge et les yeux, et que l'on retrouve de plus en plus souvent en manifestations. 

"Vous ne le savez peut-être pas, mais avant d'être un journaliste qui fait des blagues, j'ai été un journaliste normal. C'est-à-dire juste un type qui donne des infos. Et j'ai commencé ma carrière à la radio TSF Jazz. Pour ceux qui ne connaissent pas TSF Jazz, sachez que toutes les heures, on coupe Miles Davis ou Ibrahim Maalouf et il y a un monsieur ou une dame qui fait un flash ou un journal d'information.

En 2006 je faisais donc des reportages sur ce qui se passait à Paris, à l'époque notamment des manifestations anti-CPE. Et j’ai été pris, comme tant de journalistes avant et tant de journalistes après moi, dans une charge de CRS. J'y ai goûté pour la première fois de ma vie au gaz lacrymogène.

Une invention française d'avant-guerre

Jusque-là, je dois dire que lorsque je voyais des images à la télé de gens dans des manifs qui se prenaient du gaz lacrymogène, je me disais "bof ça doit picoter". Mais ce jour-là, je me suis rendu compte que non : le gaz lacrymogène fait infiniment plus que "picoter". Ça vous défonce complètement la face, on ne peut plus ouvrir les yeux, on a l'impression que l'on va devenir aveugle. La gorge brûle, on tousse sans pouvoir s'arrêter… C'est horrible.

Alors mettre des trucs qui piquent dans les yeux de ses ennemis pour qu'ils arrêtent de vous embêter, c'est une pratique assez ancienne. On le faisait déjà au Japon au Moyen-Âge avec du piment en poudre. Mais le gaz lacrymogène moderne est français et date de juste avant la Première Guerre mondiale. La police française a alors fait des essais.

Mais c'est pendant la Première Guerre mondiale qu'il a été utilisé à grande échelle. Et il est fort possible (même si ce n’est pas complètement avéré) que ce soit une attaque française au gaz lacrymogène qui ait déclenché la guerre chimique entre l'Allemagne et la France, avec cette surenchère qui a amené à l'utilisation de gaz qui ne faisaient pas que pleurer mais qui vous tuaient, tout simplement.

Succès aux Etats-Unis

En France, après la Première Guerre, le gaz était devenu un peu tabou à cause des dégâts qu'il avait fait dans les tranchées. Il a donc cessé temporairement d'être utilisé par la police. En revanche, un général américain qui avait géré les affaires de gaz de combat pour les Etats-Unis pendant la Guerre a commencé, une fois revenu chez lui, à être une sorte d'ambassadeur du gaz lacrymogène.

Et il a convaincu plusieurs services de police américains de commencer à l'utiliser, ce qui a très bien marché. Pourquoi ? Parce que c'est un peu l'arme parfaite pour disperser les foules. Amos Fries, un journaliste américain a écrit dans les années 1930 que "le gaz lacrymogène semble être admirablement adapté au but d'extraire l'individu de la foule. Le gaz fait en sorte que l'individu ne puisse plus penser à rien d'autre qu'au fait de soulager sa propre détresse. Dans ces conditions, la foule cesse d'exister. Ne subsiste plus qu'une fuite destinée à s'éloigner de la source de la torture."

Et Amos Fries ajoutait : "Il est plus facile pour un homme de garder le moral face à des balles de fusil que face à du gaz lacrymogène." Assez vite, toute la police américaine puis toutes les polices du monde ont commencé à l’utiliser.

Reste quand même un truc étonnant, c'est que le droit international interdit le fait d'utiliser le gaz lacrymogène sur le champs de bataille. En revanche, pour disperser les gilets jaunes, ça ne semble pas poser de problème. Pourquoi ? Sûrement parce que, un peu comme pendant la Première Guerre mondiale, il y a un risque d'escalade sur le champ de bataille, avec le retour des gaz léthaux.

Pour moi, pendant les manifs anti-CPE, ça ne s'est pas si mal terminé. J'avais beau être un petit parisien bobo avec un micro TSF jazz, j’ai été quand même secouru par de jeunes révolutionnaires qui parlaient avec ce qu’on appelle quelques fois "l'accent lascar". Et ça m’a touché parce que ça voulait dire qu’il y avait une sorte de front social commun devant l'adversité des larmes et de la toux. Ils m'ont mis du collyre, ils m'ont donné une serviette et ça s’est très bien passé. Finalement, c'est presque un bon souvenir.