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William Molinié / Crédits photo : BERTRAND GUAY / AFP
Les prisons françaises sont-elles devenues des clubs de vacances ? En soulevant le capot pénitentiaire, on s'aperçoit que les trafiquants peuvent, en toute impunité, poursuivre leurs activités criminelles derrière les barreaux, à l'image de Mohamed Amra.

Club de vacances et télétravail pour les caïds en prison. Des écoutes enregistrées dans la cellule de Mohamed Amra, détenu qui s'est évadé il y a une dizaine de jours à l'aide d'un commando armé, ont révélé jeudi la personnalité hautement dangereuse de l'homme. On apprend aussi qu'il poursuivait ses activités criminelles depuis la prison de la Santé à Paris où il était incarcéré.

La case prison, un passage quasi-obligé

La prison est devenue le lieu de tous les trafics et même un accélérateur de carrière parce que c’est dans ce lieu que les alliances avec les autres réseaux se font et se défont. C’est aussi en détention que sont fomentés les projets criminels, les assassinats ciblés...

La case prison est considérée par les trafiquants comme un passage quasi-obligé, assumé, pris en compte dans leur plan de carrière de voyou. Ils savent qu’un jour, ils devront nécessairement poursuivre leur business derrière les barreaux, une sorte de télétravail imposé. Ils mettent donc en place très tôt un système qui leur permet de survivre, d’où les téléphones portables qui rentrent, les contacts avec leurs complices à l’extérieur, le cash mis de côté aussi pour améliorer leurs conditions de détention. Une sorte de cagnotte, prélevée sur le butin de guerre de leurs crimes, une assurance-vie pour traverser ce qu’ils considèrent comme un accident de parcours.

Comment les téléphones rentrent-ils en prison ?

La prison est le lieu par excellence du bricolage où une fourchette en plastique peut être brûlée pour en faire une arme artisanale très tranchante. Tout, finalement, peut traverser les murs, cela dépend de la taille de l’objet à faire passer.

Le parloir, la grande porte d’entrée principale peut être la solution puisque les fouilles ne sont pas systématiques. Une carte SIM cachée sous la langue passe inaperçue. Pour faire rentrer un téléphone ou de la drogue, cela se passe sur la coursive. 

On appelle cela des "parachutages" : des complices qui appartiennent au réseau lancent depuis l’extérieur des murs de la prison des paquets vers la cour de promenade. Ils seront ensuite récupérés par les détenus quelques heures après. Et si des policiers ou des gendarmes patrouillent à côté, ce sont des drones, pilotés à distance qui déposent directement les colis sous les fenêtres des détenus. Enfin, pour les objets les plus sensibles comme les armes ou les grosses quantités de drogue, cela passe par les surveillants pénitentiaires eux-mêmes. Certains, tombent dans la corruption. D’autres, peuvent aussi être menacés, eux ou leur famille, et contraints de collaborer avec un réseau criminel.

Pourtant, dans le cas Mohamed Amra, sa cellule était sur écoute...

Alors que la cellule de Mohamed Amra était mise sur écoute, la justice n'a pas agi. Pourquoi ? Deux hypothèses : soit la stratégie d’enquête était de le laisser poursuivre son activité criminelle pour pouvoir remonter à plus haut que lui. Une technique assez classique des enquêteurs. Soit, et c’est quand même l’option la plus probable, la justice a considéré Amra comme un délinquant de milieu de tableau alors que c’est clairement un caïd du niveau d’un grossiste. Il a une surface financière de sans doute plusieurs millions d’euros, plusieurs réseaux de soutien en dessous de lui.

Répondre à cette question est primordial parce que si l’analyse de dangerosité de Mohamed Amra a failli, l’État a une part de responsabilité dans la mort des deux agents pénitentiaires tués par le commando au péage d’Incarville.

Les autorités laissent-elles faire ?

Il faut comprendre que pendant des années l’administration pénitentiaire s’est attachée à trouver un équilibre entre impératif de sécurité et paix sociale. La paix sociale parce que la priorité d’un directeur de prison est que la détention se passe bien. Concrètement, qu’il n’y ait pas d’émeute, pas de mutinerie, pas de surveillant agressé. 

Et donc, de façon un peu parallèle, l’étau s’est desserré autour des détenus à l’intérieur des prisons. La télévision, le téléphone fixe, les connexions internet ont fait leur apparition... Jusqu’à des objets récréatifs ou d’agrément : la console de jeux, la chicha ou encore la drogue. Les UVF par exemple, les unités de visites familiales, sont aujourd’hui surnommées par les surveillants les "bébés parloirs". C’est ici, sous couvert d’avoir le droit de voir leur famille, que des détenus font parfois venir des prostituées pour assouvir une activité sexuelle qui leur est interdite derrière les barreaux.