Tennis masculin français : la nouvelle génération "manque de maturité"

Comme Mathias Bourgue dimanche, Laurent Lokoli a été éliminé dès le premier tour de Roland-Garros, lundi.
Comme Mathias Bourgue dimanche, Laurent Lokoli a été éliminé dès le premier tour de Roland-Garros, lundi. © Eric FEFERBERG / AFP
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Anaïs HUET , modifié à
Derrière les "Mousquetaires" Tsonga, Monfils, Gasquet et Simon, la nouvelle génération de tennismen français commence à poindre. Mais saura-t-elle aller encore plus haut ?
INTERVIEW

À 35 ans, Paul-Henri Mathieu a disputé lundi son dernier Roland-Garros. Et avec lui, c'est toute une génération qui se prépare à quitter le circuit, tôt ou tard. Jo-Wilfried Tsonga a 32 ans, Gaël Monfils et Richard Gasquet ont eux atteint la barre des 30 ans cette année. Les meilleurs tennismen français vieillissent, et en dehors Lucas Pouille, 23 ans et actuellement 17ème au classement ATP, la nouvelle garde se fait attendre… Tout comme les résultats. 

Pourtant, à en croire les spécialistes du tennis français, cette nouvelle génération - incarnée par Lucas Pouille, mais aussi Laurent Lokoli, 22 ans, ou encore Mathias Bourgue, 23 ans - ne manque pas de panache. Patrice Hagelauer, ancien directeur technique national à la Fédération française de tennis, et artisan de la victoire de Yannick Noah en 1983 à Roland-Garros, a suivi les premiers pas de ces nouveaux joueurs, à l'époque où ils évoluaient encore en junior. Il nous livre son analyse.

Qu'est-ce qu'il manque aux jeunes joueurs français pour entrer dans la cour des grands ?
Je pensais alors - et je pense toujours - que ce sont des joueurs qui ont beaucoup d'atouts. Mais je me demande s'ils ont vraiment bien compris l'investissement personnel qu'il est nécessaire d'avoir pour, au quotidien, aller au bout d'eux-mêmes. Ils ont plein de qualités, mais ça ne fait pas tout. Tous les jours, il faut donner le maximum. Même quand on n'a pas très envie de s'entraîner, il faut y aller. Avant les matches, après les matches, tout le temps. Tous ne souffrent pas de ce manque de maturité, à l'image de Lucas Pouille (vainqueur en cinq manches de son compatriote Julien Benneteau, dimanche au premier tour de Roland-Garros, ndlr). Il s'investit vraiment, il est formidable.

Je vois la différence entre les joueurs qui ont ça en eux, et ceux qui comptent seulement sur leur talent, ce mot terrible. C'est très bien quand on en a, mais c'est un danger terrible quand on ne l'exploite pas. Ça ne sert à rien de dire 'Je veux être dans les 100, 50, 10 premiers'. Les objectifs doivent être des objectifs d'efforts, de se secouer les puces constamment. J’ai vu tellement de joueurs se gâcher, et d'autres réussir. Il n'y a pas de miracle. Si des joueurs comme Laurent Lokoli (éliminé lundi par Martin Klizan) ou Mathias Bourgue (éliminé dimanche par Borna Coric) s'investissaient davantage dans leur carrière, ils seraient bien meilleurs. Il faut que ça bosse. 

La concurrence exacerbée au plus haut niveau mondial peut-elle les empêcher de percer ?
Oui, la concurrence est plus dure aujourd'hui. Nadal, Federer, Djokovic, Wawrinka, tous sont de véritables machines de guerre. Ça joue plus vite qu'avant, c'est plus physique. Mais il n'y a pas de secret, de recette. C'est un choix de vie. Depuis des années où ils règnent en maîtres sur le classement ATP, ils vivent au fil de leurs entraînements intensifs quotidiens. C'est ce qui devrait booster les plus jeunes, les inspirer. Il faut faire plus que les autres, mieux que les autres, même si la concurrence est forte. Vous les voyez bosser, aller à la limite, être vigilant sur leur récupération, leur alimentation, leur sommeil, leur hygiène de vie. Ils doivent s'en servir comme des exemples. 

Quel rôle peut jouer la génération des Tsonga, Monfils et consorts dans cette quête de performances ?
Rien n'est perdu, il faut juste un déclic. Et cela peut naître du désir de faire comme leurs aînés. La génération Tsonga peut jouer un vrai rôle dans l'élévation du niveau de jeu des jeunes Français, et dans leur acquisition d'une culture du travail et de la réussite. 

Cette transmission de savoirs et d'expériences, même les joueurs les plus aguerris en ont besoin. La preuve avec Novak Djokovic, un temps entraîné par la légende allemande Boris Becker, et désormais coaché par l'Américain Andre Agassi. Ensemble, ils parlent de choses déterminantes, de ce qui se passe sur le terrain, de la façon d'appréhender les matches, du dépassement de soi-même dans les moments difficiles.

Je suis content de voir Yannick Noah, Guy Forget ou Arnaud Clément intervenir auprès des tennismen français. Ils ne disent pas des choses scientifiques et inabordables. Ils conseillent, avec leur force de conviction, leur exemplarité, leur vécu. C'est ça qui fait que vous ne vous laissez pas aller à ne donner que 50 ou 80% à l'entraînement. Pour cette nouvelle génération qui arrive, moi, j'y crois très fort.