NFL : l'amour du maillot

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NFL - Dans les grandes Ligues, les maillots sont dépourvus de sponsor. Explications.

Jeudi soir, les Baltimore Ravens, champions NFL en titre, se sont inclinés (49-27) face aux Denver Broncos lors du match d'ouverture de la saison du championnat professionnel de football américain. Sur les maillots des deux équipes, il ne figurait aucun sponsor. Alors que les stades portent quasiment tous le nom d'une entreprise, que le moindre espace télévisuel (avant-match, temps morts, analyses, etc.) est sponsorisé, le maillot reste vierge de toute publicité, comme dans les trois autres grandes Ligues : la NBA (basket), la MLB (baseball) et la NHL (hockey). Pour nous, il s'agit d'une incongruité alors que dans notre vieille Europe, même le Barça vend maintenant ses couleurs blaugrana au plus offrant. D'ailleurs, outre-Atlantique, plus que de maillot, on parle plus facilement d'uniforme. Tout un symbole ?

Des supporters réticents

De fait, les tenues des joueurs pros aux Etats-Unis, vérifiées avant chaque coup d'envoi sur un mode quasi-militaire, font dans la sobriété : logo de la franchise, nom et numéro du joueur. Vous n'y trouverez rien d'autre. Quant aux couleurs, elles ne varient pas (ou très peu) d'une année sur l'autre et répondent à un code précis domicile/extérieur. Ici, pas de maillots "third" tendance fluo ou en relief. Impossible pour les fans d'imaginer les Green Bay Packers autrement qu'en vert et or dans leur stade de Lambeau Field, les Chicago Bulls dépourvus de rouge ou encore les New York Yankees sans leur tenue rayée à domicile.

Maillots de sports US (930x620)

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A peine les Ligues autorisent-elles le port de maillots spéciaux, collectors, au design vintage, l'espace de certains matches. Et, la saison prochaine, certaines franchises NBA vont carrément évoluer en tee-shirts plutôt qu'en débardeurs (l'absence de publicité n'interdit pas le marketing). Mais la présence d'un seul équipementier pour l'ensemble des franchises (Nike en NFL) assure l'harmonie des couleurs, particulièrement dans le football américain et le baseball, et donne aux affrontements sur le terrain une dimension cinématographique que Hollywood ne se lasse pas d'exploiter (voir L'Enfer du dimanche d'Oliver Stone ou Le Stratège avec Brad Pitt). 

Roger Goodell (930x620)

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Les supporters, qui portent le maillot de leur équipe (beaucoup) plus facilement qu'en Europe, sont évidemment très attachés aux teintes historiques et à la "virginité" de leur maillot. Et le font régulièrement savoir. En 2004, la Major League Baseball avait fait machine arrière après avoir voulu placer un logo du film Spider-man 2 sur les uniformes. L'an dernier, quand la NBA a révélé son envie de permettre aux franchises de mettre des logos publicitaires sur les maillots, les fans sont montés au créneau sur Twitter avec un hashtag de circonstance : #NoUniAds (No to uniform ads). L'an dernier, le grand patron de la NFL, Roger Goodell (photo), est allé dans leur sens dans un entretien au Detroit Free Press : "les publicités sur les maillots ne sont pas d'actualité (en NFL). Nous aimons le look des équipes sur la pelouse. Nous avons en général un nombre limité de partenaires dans le stade, beaucoup moins encore sur l'uniforme et nous estimons que c'est ce qu'il y a de mieux pour la NFL." 

"L'équipe en elle-même est une marque"

Arizona Cardinals (930x620)

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Mais si les Ligues s'interdisent (pour le moment) cette manne financière immense, ce n'est pas seulement pour faire plaisir aux supporters... Philippe Gardent, l'un des quatre joueurs français à avoir évolué dans une franchise NFL (lors la pré-saison 2007, avec les Carolina Panthers), raconte : "en bon Européen que je suis, en arrivant là-bas, je me suis fait la réflexion qu'il n'y avait pas de sponsor maillot, alors même que dans notre championnat de France, on essaie de vendre le petit espace qui va bien à 2.000 euros. Cela tient au fonctionnement par franchises. Les gens sont attachés à un nom plus qu'à une ville. Par exemple, les Cardinals, qui étaient à Chicago à l'origine avant de s'installer dans l'Arizona (en passant par Saint-Louis et Phoenix), ont conservé des supporters dans la région. Il y a moins d'identification que chez nous aux villes. En France, l'OM ne pourrait pas s'appeler OM ailleurs qu'à Marseille. L'identité est là et c'est pour cette raison que les maillots sont si importants dans la mise en valeur du nom de l'équipe. L'équipe en elle-même est une marque. La Ligue en elle-même est une marque."

Peyton Manning, des Denver Broncos (930x620)

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C'est ainsi que sur le col du maillot (ici Peyton Manning) vous verrez apparaître le petit logo NFL... "Il y a tellement de business fait autour de tout le reste que le dernier élément qui a été protégé depuis près de 100 ans en NFL, ce sont les espaces publicitaires sur les maillots", insiste celui qui est aujourd'hui consultant pour BeIn Sport, diffuseur de la NFL. "Les responsables des grandes Ligues jouent sur du velours en déclarant : tout le monde dit qu'on veut faire du business, mais pourtant, on protège un espace de toute publicité". L'absence de grands annonceurs évite de facto toute contre-publicité à des franchises qui se pensent avant tout comme des marques... CQFD.

Des annonceurs à l'entraînement

Et pourtant, il y a bien des publicités sur des maillots NFL...

Tim Tebow (930x620)

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Pour cela, il faut aller lors des sessions d'entraînement (ici Tim Tebow, avec les New England Patriots). Là, les franchises peuvent négocier elles-mêmes des contrats avec des annonceurs. Pour quelle exposition, me direz-vous ? Plus grande qu'il n'y paraît. Car les chaînes locales qui ne possèdent pas les droits de diffusion des matches de la NFL (propriété de mastodontes comme NBC, CBS, Fox et ESPN) passent ces images d'entraînement pour évoquer l'actualité des clubs... Finement réfléchi.

L'amour du maillot s'arrête donc là où commence la rationalité économique. Car si les monstres que sont la NFL et la MLB ont de quoi se passer de sponsors maillots, ce n'est pas le cas des Ligues mineures ou des Ligues féminines. Persona non grata sur les maillots des grandes franchises NFL ou MLB, les géants américains s'invitent ailleurs. Microsoft et son moteur de recherche Bing sont ainsi sponsors maillots de l'équipe WNBA (basket féminin) du Seattle Storm.

La NBA en stand-by

Jusqu'à quand les grandes Ligues vont-elles résister à cet appel de l'argent ? En 2011, une analyse avait chiffré à 230 millions de dollars (174 millions d'euros) les revenus annuels que la NFL pourrait toucher grâce aux publicités sur les maillots. Les annonceurs prestigieux, déjà présents à l'entraînement (Gillette, AT&T, etc.) n'attendent que l'ouverture de la boîte de Pandore, alors que les moyens de diffusion et les nouveaux modes de consommation des matches (via Internet, notamment) réduisent leur champ d'action et leur visibilité pendant la rencontre. La NBA, Ligue moins puissante que la NFL ou la MLB (et donc plus encline à accepter de nouvelles entrées d'argent), pense à franchir le Rubicon. Les Charlotte Bobcats porteront dès cette saison le logo d'une mutuelle sur leur tenue d'entraînement. Mais, la présence de publicités sur les maillots de match, un temps annoncée pour la saison prochaine, a finalement été repoussée.

Le souci ? L'argent, évidemment. Les propriétaires s'inquiètent notamment de la redistribution des revenus entre les différentes franchises, le risque étant que les équipes des gros marchés, comme Los Angeles ou New York, ne s'enrichissent encore un peu plus aux dépens des autres avec des contrats de sponsoring plus importants. L'"anomalie" américaine va donc durer encore un peu...