"Il me met une tarte et me dit, 'bon match'" : Bernard Tapie raconté par ceux qui l'ont connu

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Réactions compilées par Colin Abgrall , modifié à
Ces derniers jours sur l'antenne d’Europe 1, de nombreux anciennes vedettes de l’Olympique de Marseille ainsi que de grands acteurs du football français ont partagé leurs visions et leurs souvenirs de Bernard Tapie, mythique président de l’OM, inhumé ce vendredi au cimetière de Mazargues, non loin du Stade Vélodrome.

Pour eux, il était "le Boss", celui qui a présidé aux destins de l’Olympique de Marseille entre 1986 et 1994, de l’équipe cycliste La Vie Claire de 1984 à 1988, du voilier Le Phocéa dans les années 80 pour un record du Tour de l’Atlantique. Un homme fou de sport et de défis, au management vertical mais subtil, à l’ambition dévorante, quitte à tutoyer voire dépasser les limites. Ils ont été ses joueurs, ses adversaires, ses compagnons de route. Ils ne l’oublieront jamais. Ils racontent "leur" Bernard Tapie pour Europe 1.

Eric Di Meco (défenseur de 1980 à 1994, formé au club) :

"Il a rendu ce club grand, unique et surtout, il a changé ma vie. J’ai évolué avec ce club. Il avançait en sprintant et si nous on trainait on était éliminé. Je sais que son épouse Dominique m’a sauvé la tête car elle m'aimait beaucoup. Bernard me l'a avoué un jour. Elle est arrivée à l'entraînement en 93 et il me dit : "Tu me fais chier 'Di Mec', ma femme elle me parle toujours de toi, tu me fais chier (rires). Même ses détracteurs ont finalement eu beaucoup d’admiration dans son combat contre le cancer. Moi, Il m’a scotché."

Basil Boli (défenseur de 1990 à 1994) sur la finale de 1993 :

"Ça faisait dix jours que je ne m'entrainais pas, j’avais mal au genou. Pendant 10 minutes ça allait et après je ne me sentais pas bien. Jacques Bailly, le kiné, me dit : 'Le boss ne veut pas que tu sortes.' Je me dis que ce n’est pas possible, qu’il veut me tuer… Deux minutes après, je marque. À la mi-temps, il vient me voir et me dit : 'Alors tu veux sortir maintenant ?' C’était le seul président qui parlait plus que le coach. Il pouvait nous parler jusqu'à 45 minutes. C'était un grand meneur d’hommes"

Pascal Olmeta (gardien de but de 1990 à 1993) :

"Il arrive dans le vestiaire. Nous on écoutait Raymond Goethals (l'entraîneur de l’époque). Et puis Bernard Tapie arrive, le bouscule gentiment, et il dit : 'Laisse-moi faire, c’est moi qui vais faire l’équipe'. C’était le boss."

Marc Libbra (attaquant de 1992 à 1998)  :

"Il reste qu’un jeune joueur, en l'occurrence moi. Je dois jouer et tous les joueurs m'avaient charrié en me disant tu verras, le boss va s’occuper de toi. À la sortie de la collation, il m’attrape, il m’écrase l’épaule et il m’explique clairement que je n’existe pas, que je ne suis personne. Si ça se passe bien, je vais exister sinon je retourne au centre de formation. Il me met une tape derrière la tête : 'Zéro stress, tu n’existes pas aujourd’hui. Tu te rappelles d'Alain Boghossian ?' Je lui ai dit oui. 'Et il joue où maintenant ?' Je lui réponds qu’il joue à Naples. 'Alors peut-être que tu sais ce que tu dois faire' et il me met une tarte et me dit : "Allez bon match."

Jean-Marc Ferreri (milieu de terrain de 1992 à 1993 et de 1994 à 1996) :

"J’étais un peu son chouchou. Il pouvait être dans l’euphorie totale. Après avoir fait un grand match, il m'appelait Roberto Baggio (mythique joueur Italien). Et 15 jours après, il me disait : 'Écoute Jean-Marc, ce soir tu m’as plus fait penser à Roberto qu’à Baggio'. Il pouvait être extrêmement dur, mais c’était un homme passionné et exceptionnel. Il avait toujours les mots justes pour nous parler."

Jocelyn Angloma (défenseur de 1991 à 1994) :

"Moi il me reprenait de volée surtout. On gagne 3 à 0 contre Prague, et on finit à 3-2 avec un but qui vient de mon côté. Il m’a fait comprendre très tôt qu’on était plus au PSG, qu’on était passé à un autre niveau. Il m’a dit que si je voulais grandir, il fallait que je me mette au diapason."

Marcel Dib (milieu de terrain de 1994 à 1996) :

"J’étais en vacances en Guadeloupe. Je venais d’arriver mais j’avais déjà un message du boss à la réception. Il me dit : "Marcel, où es- tu ?" Je lui dis que je suis en Guadeloupe. "Viens tout de suite. Qu’est-ce que tu fais, viens tout de suite et viens signer." Et je suis parti. Je suis resté 24h en Guadeloupe et je suis reparti signer le contrat pour être le capitaine et réussir cette remontée en première division."

Guy Roux (entraîneur de l’AJ Auxerre de 1961 à 2005) : Sur le recrutement de Eric Cantona en 1988 :

"Il me téléphone et il me dit : 'Ton Cantona, il s’en va vraiment ?' Je lui ai dit oui. 'Il est demandé ?' Je lui dis qu’il y a beaucoup de monde, qu’il était chez monsieur Lagardère (alors propriétaire du Matra Racing) la veille à Paris. Il me dit : 'Bon, j’arrive dans une heure.' Il prend son avion et arrive à l’aérodrome d’Auxerre. Je vais le chercher et on va chez Eric Cantona à Poilly-sur-Tholon. Il était en train de peindre, c’était le soir. Il lui dit : 'Eric, tu es né où ?' Il répond : 'À Marseille.' 'Alors tu viens jouer chez nous, c’est d’accord, il n’y a pas de problèmes. Pour le salaire ce sera le plus haut salaire qu’on te proposera, plus un franc. Bernard Tapie un jour m’a téléphoné. C’était le lendemain de la fin du championnat. Il me dit : 'J’essaye un Falcon. Je suis à Marseille. On vous prend à Auxerre, on va acheter du chocolat en Suisse, puis on revient à Marseille en vous déposant au retour.' Et on l’a fait. C’est un homme que j’aimais et je peux vous dire, il n’y en a pas eu beaucoup."

Laurent Nicollin (président du club de Montpellier, fils de Louis Nicollin, fondateur du club) :

"Un samedi soir où je dormais, le téléphone a sonné vers 1h ou 1h30 du matin. Je me suis demandé ce qu’il se passait, je réponds et c’est Bernard Tapie qui me dit : 'Mais il est où ton père ?' je lui réponds que je ne sais pas, qu’il est allé manger avec des amis, qu’il ne devrait pas tarder.

'Tu lui diras qu’il faut qu’il me rappelle.'

Je lui ai dit : 'Oui pas de soucis monsieur Tapie.'"

Waldemar Kita (président du FC Nantes) :

"Une belle statue, ce serait sympa pour ce genre de personnage".

Mourad Boudjellal (président RC Toulon de 2006 à 2020) :

"Je voulais monter ma boîte. Il venait à Toulon pour son émission Ambitions et j’avais réussi à me faire inviter. J’étais jeune. Je suis allé le voir en lui disant : 'Je monte ma boîte, passez-moi un peu de votre chance.' Il s’est arrêté, s’est retourné et m'a serré la main avec un large sourire."

Luc Sonor (joueur de Monaco de 1986 à 1995) sur sa rencontre avec Tapie :

"J’avais dit que je ne mettrai jamais le maillot de l’OM. Mais Bernard Tapie aimait ça, les gens têtus, les battants. Il m’appelait toujours 'le guerrier'. Il m’avait fait comprendre que le maillot de l'OM était pour moi. Je suis allé à un de ses rendez-vous. En partant, je savais que je ne signerais pas. Mais il m’avait dit que j’étais fait pour Marseille et j’ai eu le culot de lui dire que non, je ne porterai pas ce maillot. Il m’a dit : 'Tu sais à qui tu parles, tu sais ce que tu es en train de faire ?' Je suis content de lui avoir tenu tête parce que peu de personnes l’ont fait."

Christophe Bouchet (journaliste et président OM de 2002 à 2004)  :

"Quand il est arrivé à l’OM, il a dit : 'Le cyclisme c’est bien mais c’est une fois par an. Le football c’est 38 fois par an.' Il savait que le foot était un vecteur extraordinaire pour bâtir sa notoriété."

Jocelyn Gourvennec (Entraîneur de Lille, ancien milieu de terrain de 1998 à 1999) :

"J’ai comme souvenir un coup de téléphone quand je suis jeune joueur à Rennes et il voulait me faire jouer à l’OM. J’étais très surpris, il m’a fait plein de compliments. C'était incroyable mais je suis resté à Rennes. J’y suis allé plus tard finalement. Mais je garde l’image d’un vrai leader."