Hugo, 36 ans, professeur : "On met beaucoup de choses sur nos épaules, parfois trop"

Hugo confie avoir vécu une première "extrêmement difficile" en tant qu'enseignant (image d'illustration).
Hugo confie avoir vécu une première "extrêmement difficile" en tant qu'enseignant (image d'illustration). © FRANCOIS GUILLOT / AFP
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Grégoire Duhourcau
Hugo est professeur de français en réseau d'éducation prioritaire. "On n'est pas seulement enseignants. On est psychologues, on est conseillers d'orientation...", explique-t-il à Olivier Delacroix sur Europe 1.
VOS EXPÉRIENCES DE VIE

Hugo, 36 ans, est professeur de français depuis 11 ans. Il enseigne à Grigny dans l'Essonne en réseau d'éducation prioritaire et confie avoir été témoin de violences scolaires. "Je pense que l'état de l'école est extrêmement symptomatique de l'état de la société en général", analyse-t-il au micro d'Olivier Delacroix sur Europe 1.

"Au début, mon histoire est tristement banale. Je me suis retrouvé projeté dans un établissement en me rendant compte comme quasiment tous les collègues, que la formation que j'avais eue jusque là était extrêmement théorique et qu'il était très difficile d'appréhender ce qui m'attendait vraiment dans le métier lorsque je suis arrivé. A savoir, des classes qui ne sont pas toujours bien disposées devant un professeur qui, forcément, va commettre des impairs et n'aura pas forcément les réflexes qu'il faut pour gérer une classe.

Ça a été une première année qui a été extrêmement difficile, tant au niveau du comportement des élèves que de son estime de soi. Lorsque l'on sort d'un cours et que ça a été le bazar pendant une heure, on se demande si on est vraiment fait pour ce métier. Il y a ce problème de [savoir quoi faire]. On peut en parler aux collègues, c'est d'ailleurs ce qui est recommandé. Mais finalement, réussir à se créer sa propre personnalité, son propre masque de professeur, c'est quelque chose qui est extrêmement difficile et dans lequel on est très peu accompagné.

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"Le fait d'être un nouvel arrivant vous étiquette tout de suite comme quelqu'un que l'on va tester"

Dans la plupart des établissements, le fait d'être un nouvel arrivant, vous étiquette tout de suite comme quelqu'un que l'on va tester. Les élèves vont souvent voir ce qui vous fait réagir, ce sur quoi ils peuvent transiger. En fait, il y a toujours une période de test, qui est quelque chose d'assez normal pour des adolescents, mais que l'on vit plus ou moins bien lorsque l'on est jeune enseignant et que l'on a envie de bien faire. Ça pouvait aller relativement loin. Ça pouvait être s'amuser à balancer des projectiles relativement volumineux dès que j'avais le dos tourné, ça pouvait être des insultes qui fusent et qui bien sûr, ne sont adressées à absolument personne, ça pouvait être des menaces parfois. Ce sont des choses qui peuvent aller très loin.

[Il y a huit ans, suite à un conseil de discipline au cours duquel sa fille a été renvoyée, j'ai été séquestré par le père d'une élève.] Une fois que le verdict a été rendu, il s'est énormément énervé. Il a fermé l'unique porte qui permettait de sortir de la salle et a dit que personne ne sortirait tant qu'il n'y aurait pas eu une révision de ce conseil de discipline. Il y a eu presque une confrontation physique, il a failli en venir aux mains avec la principale de l'époque. On a dû s'interposer pour éviter que les choses deviennent violentes et il a fallu que la police finisse par intervenir.

"L'état de l'école est extrêmement symptomatique de l'état de la société"

Pour qu'on en arrive là, il faut qu'il y ait un désarroi immense de la part de parents qui, parfois, ne comprennent tout simplement pas ce que l'on fait à l'école. Les élèves qui ne comprennent pas forcément non plus pourquoi ils sont là. Je pense que l'état de l'école est extrêmement symptomatique de l'état de la société en général. Finalement, il est extrêmement difficile pour des élèves parfois de comprendre à quoi sert l'école parce qu'ils ont beaucoup de mal à se projeter dans l'avenir. Ils ne voient pas quel avenir cette société leur réserve. Donc pourquoi bien travailler à l'école, pourquoi venir, pourquoi apprendre, si finalement, ce qui nous attend, c'est un avenir qui n'est pas spécialement radieux.

J'ai l'impression que [le regard qui est porté sur les professeurs] est très ambivalent. On met à la fois beaucoup d'espoirs sur nous, on espère qu'on va réussir à créer une société qui sera meilleure de par l'éducation. Et d'un autre côté, j'ai l'impression que nous sommes également le couvercle qui cache des problèmes qui existent depuis toujours, dont ces problèmes de comportement ne sont que les symptômes. Finalement, l'éducation d'un enfant, et ça c'est une conviction ferme, c'est une éducation qui se fait à plusieurs. Les parents bien entendu, tous les personnels d'éducation qui font souvent un travail extraordinaire mais dont on réduit drastiquement les postes. Je pense aux infirmières, aux CPE (conseillers principaux d'éducation), aux surveillants... On met beaucoup de choses sur nos épaules, parfois trop, ce qui fait que l'on craque. On n'est pas seulement enseignants. On est psychologues, on est conseillers d'orientation parce que l'on pourvoit aux manquements de la société.

"Parfois, j'ai peur de faire plus de mal que de bien"

On n'est absolument pas formés pour ça, on passe notre temps à se former. La formation est une de nos obligations mais très souvent on se retrouve bien démunis parce qu'on ne sait pas où se tourner. Par exemple, je suis professeur principal de 3ème cette année donc je m'occupe d'orientation. Finalement, on doit se mobiliser pour se former comme on peut sur le tas, parfois avec des profils d'élèves qui sont très spécifiques. Et le fait que l'on supprime tous ces postes qui tournent autour de l'éducation rend notre mission très mal-aisée et parfois, j'ai peur de faire plus de mal que de bien.

Chez les élèves, il peut y avoir beaucoup de violence mais je pense qu'elle est à la hauteur des attentes qu'ils posent sur nous. Parfois, même sans s'en rendre compte, certains attendent de nous un modèle qui peut être presque de l'ordre du familial, de l'affectif. Certains attendent de nous un plan pour l'avenir. On est au croisement de multiples attentes, avec des effectifs qui augmentent toujours un peu plus, des profils qui deviennent toujours un peu plus compliqués. On passe notre temps à accueillir des élèves dyslexiques, des élèves qui ne sont pas francophones et on nous demande de les inclure mais nous on se demande comment apporter à chacun ce dont il a besoin.

"Des policiers à l'école ? Quel aveu d'échec !"

[L'annonce de la possible présence de policiers dans les établissements scolaires] me fait bondir. Pour moi, l'école c'est sanctuarisé. C'est un endroit où l'élève apprend à connaître le monde, il en est d'une certaine façon protégé. Et puis quel aveu d'échec ! Si on fait rentrer des policiers ça veut dire que, clairement, on reconnaît que c'est un endroit dans lequel il y a des délits, dans lequel il faut surveiller des élèves qui sont potentiellement dangereux alors qu'il y a tout un tas de mesures à mettre en place en amont, qui sont peut-être beaucoup moins spectaculaires, peut-être beaucoup plus techniques et moins intéressantes, mais qui sont, à mon avis, tout aussi efficaces. Et je trouve que c'est un peu le problème de ce gouvernement depuis son arrivée au pouvoir. C'est-à-dire de multiplier des mesures qui sont très spectaculaires de l'extérieur, mais qui en fait n'ont absolument aucun effet. Je pense en particulier à l'interdiction du portable qui est un mensonge éhonté."

>> Retrouvez l'intégralité du témoignage d'Hugo

L'avis de François Jarraud, ancien enseignant et rédacteur en chef du Café pédagogique :

"Je ne sais pas si on peut [parler d'une escalade de la violence à l'école]. En tout cas, il y a sûrement des nouvelles formes de violences scolaires. On trouve maintenant des élèves qui sont vraiment en refus de l'institution scolaire. Il y a sûrement des raisons à cela mais c'est un phénomène assez nouveau.

Il y a la question du sens de l'école qui se pose pour beaucoup d'élèves, ne serait-ce que parce que l'école est extrêmement injuste. Quand l'injustice globale du système éducatif est redoublée d'injustice locale, par exemple dans les punitions, ça pose effectivement des problèmes.

Les établissements qui fonctionnent bien sont des établissements où les gens fonctionnent ensemble. Ça suppose que la hiérarchie ait une posture qui ne soit pas trop hiérarchique. C'est ce que l'on trouve plus souvent à l'école primaire où il n'y a pas de hiérarchie locale, en dehors de l'inspecteur qui n'est pas dans l'école, et plus rarement dans des établissements secondaires où là, il y a un supérieur hiérarchique qui est sur place.

Derrière cela, il y a un mouvement de fond que l'on voit monter depuis des années qui est la perte de la confiance dans la hiérarchie. Dans une grande enquête qui est faite chaque année par l'un des syndicats qui porte sur des dizaines de milliers de professeurs qui ne sont pas forcément adhérents du syndicat, on voit vraiment la coupure très nette entre les enseignants et leur hiérarchie."