Grasse : les leçons d'une fusillade inédite

Le lycée Tocqueville de Grasse a été la cible d'une fusillade inédite, jeudi.
Le lycée Tocqueville de Grasse a été la cible d'une fusillade inédite, jeudi. © Valery HACHE / AFP
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avec AFP , modifié à
"L'acte fou d'un jeune homme fragile" qui a tiré sur son proviseur et ses camarades, jeudi, a permis de tester les mesures de sécurité instaurées après les attentats. Et relance le débat sur l'état d'urgence.

Un lycéen lourdement armé, "fasciné par les armes à feu" et entretenant de "mauvaises relations avec les autres élèves"... En retraçant le scénario de la fusillade qui a fait plusieurs blessés jeudi à Grasse, dans les Alpes-Maritimes, difficile de ne pas penser aux "school shootings" américaines, comme celle de Columbine ou de l'école primaire de Sandy Hook. Tristement fréquentes outre-Atlantique, les attaques de ce type avaient pour l'instant épargné la France : depuis 10 ans, seule une dizaine d'agressions armées en milieu scolaire ont été recensées sur le territoire, le plus souvent commises avec des armes blanches. Jeudi, l'intervention des forces de police a pourtant été "instantanée" et le lycée "très vite" sécurisé, selon les termes de la ministre de l'Éducation, Najat Vallaud-Belkacem. Notamment grâce aux mesures mises en place pour faire face au risque terroriste.

  • L'utilité de la préparation à l'éventualité d'un attentat démontrée

Entré dans l'établissement avec ses armes aux alentours de 12h30, le suspect a été interpellé vers 13h05, après avoir légèrement blessé quatre personnes par plombs. "Nous sommes passés à côté du pire", a estimé Najat Vallaud-Belkacem, jeudi. Les forces de police dépêchées sur place, ont par ailleurs rapidement reçu le concours du Raid, qui a sécurisé les lieux. Pendant ce temps, plusieurs professeurs s'étaient barricadés dans leurs salles de classe, utilisant des meubles pour bloquer les portes. Les élèves s'étaient cachés sous les tables.

Ces réflexes, acquis depuis 2015 et la vague d'attentats djihadistes qui a frappé la France, appartiennent à une culture de "gestion des risques" efficacement développée. Ces dernières années, des cadres et du personnel de l'Éducation nationale ont notamment participé à des formations dans des centres d'entraînement des forces de gendarmerie. Dans tous les établissements scolaires, trois exercices annuels dont un simulant une intrusion en vue d'un attentat sont désormais obligatoires, et les élèves de troisième formés aux premiers secours.

"Il est clair que la préparation aux risques d'attentats prépare mieux les établissements" à des événements exceptionnels de ce type, souligne Philippe Tournier, secrétaire général du principal syndicat des chefs d'établissement (SNPDEN). "C'est ce qu'on a vu à Grasse." La fusillade a également été l'occasion d'un nouveau test de l'application pour smartphone Système d'alerte et d'information des populations (SAIP), mise en place par le gouvernement pour l'Euro 2016. Vivement critiquée en raison de son déclenchement tardif lors de l'attentat de Nice, elle a cette fois rapidement fonctionné. "Intervention en cours des forces de l'ordre", "Abritez-vous", "Ne vous exposez pas", enjoignait-elle dès 13 heures.

  • La sécurité des établissements scolaires en question

Malgré cette réaction rapide, la fusillade de Grasse suscite des critiques quant à l'anticipation de ce type d'attaque. Comment un lycéen a-t-il pu entrer dans son établissement armé d'un fusil, de deux armes de poing et de deux grenades ? "Je demanderai à la ministre de l'Éducation nationale et au préfet que nous puissions nous voir très rapidement pour déterminer comment ils envisagent de mettre les moyens humains pour garantir la sécurité des élèves dans chacun de nos établissements", a rapidement réagi le président (LR) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Christian Estrosi. "Il n'y a pas de portiques, il n'y a rien, ils rentraient comme dans un moulin", a également déploré le père d'un élève. Plusieurs responsables politiques, comme Laurent Wauquiez, président de la région Rhône-Alpes-Auvergne, se sont déjà prononcés en faveur de tels dispositifs de contrôle.

Mais ces mesures sont jugées peu réalistes par les professionnels du secteur de l'éducation. Invité d'Europe 1 vendredi, le secrétaire général du syndicat général des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN), Michel Ricard, a jugé "totalement impossible et irréaliste" de placer des portiques de sécurité à l'entrée des lycées. "Ce n'est ni un établissement militaire, ni un établissement pénitentiaire", a-t-il estimé. "Il est extrêmement difficile d'avoir un contrôle très strict des entrées, à moins d'obliger les élèves à venir une heure ou une heure et demi avant les contrôles." Pour améliorer la sécurité des établissements scolaires, le syndicat plaide plutôt pour une augmentation des moyens humains. "Aujourd'hui, nous avons des agents d'accueil, des assistants d'éducation, mais nous n'avons pas de personnel dédié à la sécurité", estime Michel Ricard.

  • Le débat sur l'état d'urgence relancé

L'attaque de Grasse intervient par ailleurs en plein débat sur "l'accoutumance" de la France au régime de l'état d'urgence, en vigueur depuis novembre 2015. Mercredi, le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, jugeait que le gouvernement avait créé "les conditions qui rendent possible une sortie de l'état d'urgence", notamment en durcissant la législation antiterroriste et en renforçant les pouvoirs de la police et des procureurs. Simple avis personnel, ou volonté de tâter le terrain ? Après la fusillade du lycée Tocqueville et l'explosion d'un colis piégé au siège parisien du Fonds monétaire international (FMI), François Hollande a tranché, jugeant que ces deux évènements conduisaient à "justifier l'état d'urgence". "Et dire qu'hier le ministre de la Justice envisageait la fin de l'état d'urgence… Quel angélisme !", a pour sa part estimé François Fillon, candidat LR à l'élection présidentielle.

Force est pourtant de constater que le régime d'exception, prolongé jusqu'au 15 juillet, produit de moins en moins d'effets concrets : entre le 22 décembre dernier et le 14 mars, seulement 18 perquisitions administratives ont été menées. Le nombre d'assignés à résidence est lui passé de 271 en janvier 2016 à 68 aujourd'hui. Pour lutter contre le terrorisme, des mesure spécifiques ont parallèlement été prises : augmentation des moyens humains et financiers alloués aux services de renseignement, possibilité pour un procureur d'ordonner des écoutes téléphoniques ou des perquisitions de nuit, révision des contours du "plan vigipirate".... Ce dernier, réformé en décembre 2016, place la France en état de "sécurité renforcée". Un niveau qui permet, entre autres, de restreindre l'accès aux établissements scolaires.