DOCUMENT EUROPE 1 - Fillette maltraitée et violée : le cri d'alarme du président du tribunal de Rennes

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Salomé Legrand et , modifié à
Dans une lettre au Défenseur des droits, Ollivier Joulin évoque le cas de Karine J., maltraitée et violée pendant toute son enfance malgré une quinzaine de signalements. Il estime que les juges des enfants, débordés, ne peuvent éviter que de telles situations "se reproduisent".

L'État a-t-il commis une faute grave dans l'affaire Karine J., élevée par des parents maltraitants qui ont hébergé un pédophile récidiviste pendant des années, sans intervention des services sociaux, pourtant maintes fois alertés ? La justice doit se prononcer sur la question, lundi après-midi. Le Défenseur des droits lui-même s'est saisi du dossier de la jeune femme, aujourd'hui majeure. Il a interrogé les principaux acteurs du dossiers, parmi lesquels le président du tribunal de grande instance (TGI) de Rennes, dont Europe 1 a pu consulter le courrier. Une lettre accablante, qui reconnaît une défaillance et craint surtout qu'elle ne se reproduise, faute de moyens. 

Quatre juges des enfants successifs. Dans ce document de trois pages, Ollivier Joulin revient, étape par étape, sur les failles du suivi de Karine J., laissée à la garde de ses parents en dépit des signalements de sa tante, de voisins et de travailleurs sociaux. Dès 1998, un premier jugement a imposé une assistance éducative à la mère et au père de la fillette, âgée de seulement un an.

"Il est justement noté l'importante rotation des effectifs, puisque quatre juges des enfants sont successivement intervenus durant les périodes 1998-2000 puis 2004-2006", écrit le président du TGI. "Il s’agit là d’un problème structurel puisque la fonction de juge des enfants est une fonction spécialisée qu’un magistrat ne peut exercer dans la même juridiction plus de dix ans."

" Je croise mes collègues juges des enfants dès l'ouverture de la Cité Judiciaire, et je les croise également à la fermeture "

"Une charge de travail insupportable". Mais Ollivier Joulin note surtout que la juridiction de Rennes "se caractérise par un déficit important" de ces juges : quatre seulement, pour plus de 900.000 habitants, soit "un taux parmi les plus faibles de France". Les magistrats doivent selon lui "faire face à une charge de travail insupportable", avec une moyenne de 650 dossiers d'assistance éducative chacun, contre 350 à l'échelle nationale. Le nombre de greffiers censés assister les juges, insuffisant, est également pointé par le président du TGI, dont les demandes d'effectifs supplémentaires sont, selon lui, restées lettre morte. 

"Monsieur le Défenseur des Droits, je croise régulièrement mes collègues juges des enfants dès l’ouverture de la Cité Judiciaire (7h30) et je les croise également à la fermeture (21h)", écrit Ollivier Joulin à titre d'exemple. "Ils travaillent sans relâche, presque toujours dans l’urgence absolue, parfois  sans assistance de leur greffier, ils sont totalement investis dans leur profession. Le médecin de prévention me signale régulièrement leur situation de 'burn-out' et les risques qui y sont liés. Ils ont parfaitement conscience qu’ils ne peuvent, malgré l’intensité de leur engagement, éviter que des situations telles que celle qu’a connue Karine J. se reproduisent."

"L’institution que je représente ne peut que reconnaître qu’elle n’est pas en mesure de concourir au respect des droits que vous défendez avec la qualité que vous en attendez", conclut le président du tribunal de grande instance. 

Un deuxième signal d'alarme. La lettre d'Ollivier Joulin constitue le deuxième signal d'alarme quant au fonctionnement de la justice tiré par un magistrat dans cette affaire. Avant ses réquisitions aux assises, au procès du violeur de Karine, l'avocat général avait en effet évoqué les "questions" que l'institution devait se poser quant à ses "responsabilités professionnelles", en juillet dernier. "Je pense que la justice a manqué de clairvoyance", avait-il déjà estimé.