DOCUMENT EUROPE 1 - Violée et maltraitée pendant toute son enfance, elle attaque l'État pour faute lourde

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Salomé Legrand et , modifié à
Pendant 12 ans, Karine a été délaissée par ses parents violents et violée par un homme qu'ils hébergeaient, multirécidiviste. Malgré une quinzaine de signalements, sa garde ne leur a jamais été retirée.

"C'est son histoire, c'est son passé. Il faut qu'elle puisse se reconstruire", témoigne sobrement Laurence Brunet. Lundi, elle soutiendra sa nièce, Karine, qui attaque l'État pour faute lourde : celle de ne pas l'avoir protégée lorsqu'elle était enfant. Pendant douze ans, l'enfant a été délaissée par des parents violents, puis violée par un délinquant sexuel qu'ils hébergeaient. Malgré une quinzaine de signalements à la justice, sa garde ne leur a jamais été retirée. Aujourd'hui âgée de 20 ans, la jeune femme espère se reconstruire en faisant reconnaître la suite de défaillances qui émaillent sa terrible histoire.

DOCUMENT EUROPE 1 - Violée et maltraitée pendant toute son enfance, elle attaque l'État pour faute lourde

Une mère infanticide et désintéressée. Les premiers signalements remontent à quelques jours seulement après la naissance de Karine, en juillet 1997, à Rennes. La maternité et la tante du bébé font le même constat : la mère, inerte, est totalement désintéressée de son enfant. La situation leur semble particulièrement alarmante : en 1988, cette dernière a déjà été condamnée à huit ans de prison pour le meurtre de sa première fille, dont elle dit qu’elle est née d'un viol. En septembre 1998, un premier jugement impose une assistance éducative au domicile des parents, qui conservent la garde de leur fille. Une expertise psychiatrique conclut que la relation de la mère à l'enfant "est bien sûr marquée par l'existence de ce qu'elle a vécu antérieurement", mais qu'elle "doit pouvoir dépasser" ses difficultés "grâce à une prise en charge de type psychotérapeuthique".

Pendant les premières années de Karine, les rapports des services sociaux au juge des enfants se suivent et se ressemblent. Les travailleuses familiales qui passent quelques heures par semaine ne notent "aucune évolution positive". Le père est décrit comme "ombrageux", la mère ne parvient pas à "gérer son intimité" avec sa fille et refuse tout suivi thérapeutique. Pourtant, en mai 2000, un juge estime qu'une intervention éducative judiciaire n'est "pas nécessaire", autrement dit qu'il n'y a pas lieu de placer la fillette.

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Plus elle grandissait, plus Karine avait des stigmates d'enfant maltraité. Elle ne jouait pas. Ca m'a toujours beaucoup interpellée

"Elle ne jouait pas". Les signalements se font de plus en plus inquiétants. En octobre 2003, les services sociaux informent le procureur du comportement sexué de Karine avec les autres enfants. L'enfant est âgée de 5 ans. La même année, sa tante alerte la justice. La fillette vient de passer quelques jours de vacances chez elle. "Elle avait une très grosse infection urinaire", se souvient-elle. "Donc le médecin a fait des examens et lui a posé quelques questions. Et avec ses mots à elle, elle a dit que son papa l'allongeait souvent dans la baignoire et qu'il l'a touchait beaucoup." Laurence Brunet écrit au juge des enfants, joignant le nom du médecin et les résultats de l'examen de laboratoire, qui font état "d'une très grosse infection gynécologique". "Je n'ai jamais été convoquée, je n'ai jamais été reçue", glisse-t-elle.

"Plus elle grandissait, plus Karine avait des stigmates d'enfant maltraité. Elle ne jouait pas. Ça m'a toujours beaucoup interpellée." Lors d'un repas de famille, la tante surprend la fillette en train de se masturber sous la table. "Je me suis dit : 'il se passe quelque chose dans cette famille'." Dans un premier temps, Laurence Brunet pense que Karine est agressée par son père. "Je n'imaginais pas que des parents puissent accueillir un pédophile", explique-t-elle. Une première enquête dure quelques mois. Elle est classée sans suite en février 2004.

La commission départementale d'aide sociale rapporte alors au parquet la teneur d'un appel anonyme, reçu sur le 119, le numéro d'urgence pour l'enfance maltraitée. Karine y est décrite comme amaigrie, se plaignant de maux de ventre et souvent livrée à elle-même. Elle serait tombée dans un plan d'eau. À nouveau, une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert est mise en place. Avec maintien à domicile.

Un délinquant pédophile et multirécidiviste. Début janvier 2005, un nouvel élément est rapporté à la justice : par téléphone, les services sociaux ont été prévenus du fait que le domicile des parents de Karine est "fréquenté" par un homme déjà condamné pour viol sur enfants et pédophilie. Une nouvelle enquête est menée et… classée sans suite. "Parce que les parents sont arrivés avec un certificat médical, qu'ils avaient fait faire la veille chez le médecin traitant. Il n'y a pas eu d'investigation plus poussée, il n'y a même pas eu une séance avec un psychologue. Et elle était accompagnée par ses parents. Comment peut-on interroger un enfant sur ces faits en présence de ses parents ?" Après la clôture de l'enquête, la tante est poursuivie pour dénonciation calomnieuse. Elle écope d'un rappel à la loi et se voit contrainte d'écrire "une lettre d'excuses à la justice, pour les perturbations à Karine et à ses parents".

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C'était une petite fille transparente pour tout le monde. Quand on ne veut pas voir, on ne voit pas

"C'était une petite fille transparente". Ce n'est qu'en 2009, à l'âge de 12 ans, que la fillette parvient à formuler ce qui lui est arrivé. Deux autres signalements ont été effectués et l'enfant passe alors beaucoup de temps chez sa tante. Une nouvelle enquête de police est ouverte. Des examens médicaux confirment des lésions correspondant aux faits décrits par Karine. Elle raconte que ses parents savaient et l'ont laissée seule avec son bourreau, l'apercevant parfois nue avec lui. Et confie qu'elle avait été menacée par les trois adultes avant son audition quelques années plus tôt.

"Ils ont toujours vu que c'était des parents défaillants", estime Laurence Brunet à propos des service de l'État. "Je pense qu'ils les prenaient pour des gens simples. (...) Tout le monde remarquait que monsieur avait la main légère, que le comportement de madame était sexualisé, que Karine n'avait pas de câlins, que l'on pouvait quitter leur domicile le vendredi soir en voyant Karine dans une tenue et le lundi matin la revoir dans les mêmes vêtements et la même couche. Trois jours ! Personne ne s'inquiétait de ça." La tante a recensé "autour de 14 signalements" à la justice, réalisés par les psychiatres, les services sociaux, les voisins et elle-même. "C'était une petite fille transparente pour tout le monde. Quand on ne veut pas voir, on ne voit pas."

L'ombre de la prescription. "J'aimerais qu'on lui demande pardon, de l'avoir oubliée, de l'avoir laissée se faire massacrer", souffle Laurence Brunet. Les parents de Karine reconnaissent aujourd'hui lui avoir demandé de mentir à la police "pour éviter les ennuis" mais expliquent n'avoir pas cru leur fille sur ce qu’elle subissait. Ils ne seront pas poursuivis pour complicité au procès de son violeur, qui doit s'ouvrir cette semaine devant une cour d’Assises, à Rennes. Concernant la plainte pour faute lourde de l’Etat, les faits, vieux de plus dix ans, risquent d'être prescrits.