Décision du Conseil constitutionnel sur les pesticides : "Ne pas raisonner avec des frontières, mais penser planète Terre"

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Séverine Mermilliod
Dans une décision rendue vendredi, le Conseil Constitutionnel estime que la protection de l’environnement peut justifier des "atteintes à la liberté d’entreprendre". Arnaud Gossement, avocat et spécialiste du Droit de l'environnement, était l'invité d'Europe 1 pour détailler les enjeux de cette décision. 
INTERVIEW

Le Conseil Constitutionnel reconnaît depuis vendredi que la protection de l’environnement peut justifier "des atteintes à la liberté d’entreprendre", dans un arbitrage rendu après que des industriels de l’agrochimie ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité contre l’interdiction qui leur est faite de commercialiser certains produits à l’étranger, alors qu’ils sont interdits chez nous. Arnaud Gossement,​ avocat, spécialiste du droit de l'environnement, présente sur Europe 1 les enjeux de cette décision inédite. 

"Dans l'un des plateaux de la balance, on a la liberté d’entreprendre, qui a valeur constitutionnelle, qui doit être protégée. Mais dans l’autre plateau, on a la protection de l’environnement. Ce plateau là devient beaucoup plus lourd depuis la décision du Conseil constitutionnel, qui en fait un objectif de valeur constitutionnel", explique l'avocat. "Donc le premier intérêt de la décision : renforcer le poids de la charte de l'environnement". 

"Penser planète Terre"

Le Conseil constitutionnel a en effet rejeté la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de l'Union de l'industrie de la protection des plantes (UIPP), qui regroupe des fabricants de produits phytosanitaires, à l'encontre de l'article 83 de la loi sur l'alimentation. Dans un communiqué, il a jugé que "il découle du préambule de la Charte de l'environnement que la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle". 

Jusqu'à présent l’Etat français considérait, d'après Arnaud Gossement, "que lorsqu'on interdisait la commercialisation sur notre sol d'une substance chimique, on n'avait pas à décider à la place des autres, et donc on autorisait les exportations vers d'autres Etats - ce qui est un peu cynique". Depuis cette décision, le législateur est au contraire encouragé à ne pas raisonner "avec des frontières, mais globalement, et à penser 'planète terre'". 

Repenser le droit de propriété

Selon l'avocat, l’idée de patrimoine commun introduite par la décision et qui existe déjà dans d’autres domaines, comme les monuments historiques, "nous amènera à repenser notre droit de propriété. Quand vous êtes propriétaire d’un château, vous êtes propriétaire mais dans le même temps vous avez un certain nombre d’obligations - vous ne pouvez pas brûler un monument classé par exemple. Je pense que l’on commence à avoir le même type de raisonnement pour la protection de l’environnement et c’est une grande avancée". 

Faire le tri entre les entreprises engagées et les autres

En outre, il ne s'agit pas du tout selon lui de réduire la liberté d'entreprendre. "Ce que demande le conseil constitutionnel, c’est de toujours veiller à concilier protection de l’environnement et liberté d’entreprendre. Mais avec une nuance : quand il est difficile de les concilier, c’est la protection de l’environnement et notre santé qui doit être prééminente".

"Il y a une liberté d’entreprendre qui peut porter atteinte à notre environnement, et à la liberté d’entreprendre d’autres entreprises qui, elles, sont vertueuses et font des efforts", ajoute aussi Arnaud Gossement. "Cette décision peut aussi permettre à mon sens de faire le tri entre des entreprises qui ont un véritable engagement pour l’environnement et celles qui font de la publicité."