Attentat de Nice : ce que révèlent les derniers éléments de l'enquête

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Les dernières investigations établissent "le caractère prémédité" de l'attentat et permettent d'en savoir un peu plus sur le profil trouble de Mohamed Lahouaiej Bouhlel

C'était le deuxième point sur l'enquête depuis l'attentat de Nice sur la Promenade des Anglais, jeudi soir, à l’issue du feu d'artifice donné pour la fête nationale. Lundi après-midi, François Molins, le procureur de la République de Paris a donné de nouveaux éléments sur l'avancée des investigations. Des éléments qui permettent clairement d'"établir le caractère prémédité" de l'attaque ayant fait 84 morts, mais aussi de cerner un peu plus le profil singulier du tueur, Mohamed Lahouaiej Bouhlel.

 

  • "Un intérêt certain et récent" pour l'islamisme radical

Il portait une barbe "religieuse" depuis huit jours. Le procureur de la République de Paris a confirmé que les témoignages recueillis par les enquêteurs font état d'un individu loin d'être religieux, "mangeant du porc, buvant de l'alcool et ayant une vie sexuelle débridée". Mais François Molins a aussi confirmé un changement de comportement récent : un témoin indiquant que, depuis huit jours, le suspect portait la barbe, "expliquant que la signification de cette barbe était religieuse". Mohamed Lahouaiej Bouhlel aurait également dit à cette personne qu'il ne "comprenait pas pourquoi Daech ne pouvait pas prétendre à un territoire".

Des recherches informatiques sur Orlando et Magnanville... Même si aucun lien n'a encore été établi à ce stade de l'enquête entre Mohamed Lahouaiej Bouhlel et l'organisation Etat islamique, les résultats de l'exploitation de l'ordinateur de ce Tunisien de 31 ans viennent étayer la thèse d'un individu s'étant radicalisé "très rapidement", selon les termes de Bernard Cazeneuve. L'expertise du matériel informatique démontre en effet que, depuis le 1er juillet 2016 et jusqu'à la veille des faits, le tueur de Nice a fait des recherches "quasi-quotidiennes" sur "des vidéos de sourate du Coran" et "des nasheed" (des chants religieux, utilisés comme outil de propagande par l'Etat islamique ; ndlr). 

Alors qu'il buvait régulièrement, Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait subitement arrêté de consommer de l'alcool, selon les informations d'Europe 1. Durant ces dix derniers jours, il s'était aussi documenté sur les récentes tueries d'Orlando et de Dallas, ainsi que sur l'assassinat, revendiqué par l'EI, d'un couple de policiers à Magnanville. Dans son ordinateur, les policiers ont également mis la main sur des photos "de cadavres" et "en lien avec l'islam radical", et des clichés "du journal Charlie Hebdo", de Ben Laden et de Mokhtar El Mokhtar un djihadiste algérien, a détaillé François Molins. 

Et sur les accidents de circulation. Toujours depuis le 1er juillet 2016, Mohamed Lahouaiej Bouhlel a effectué des recherches à la fois sur les festivités organisées à Nice pour la fête nationale, sur la location de poids lourd, et l'adresse d'une armurerie. Le suspect a également précisément tapé dans son moteur de recherche : "horrible accident mortel" ou encore "vidéo choc, âmes sensibles s'abstenir", a précisé François Molins. 

"Un intérêt récent" pour l'islamisme radical. "Si aucun élément de l'enquête ne démontre à ce stade une allégeance de Mohamed Lahouaiej Bouhlel à l'organisation terroriste, ni des liens avec des individus se réclamant de cette organisation, l'exploitation de son ordinateur [...] illustre un intérêt certain et, à ce stade des investigations, récent, pour la mouvance djihadiste radicale", a donc conclu le procureur.

Le mode opératoire de l'attaque menée par le Tunisien correspond en effet parfaitement aux préconisations délivrées par l'Etat islamique. En septembre 2014, le porte-parole de l'organisation terroriste, Abou Mohammed al-Adnani avait ainsi appelé à tuer "les mécréants" par n'importe quels moyens, incitant notamment à les écraser avec leurs véhicules.

Un terrorisme de proximité. D’après François Molins, qui a estimé que cet acte s'inscrivait dans ce que l'on peut appeler un "terrorisme de proximité", "l’adhésion à ces mots d'ordre" ou la "radicalisation" peuvent "intervenir d'autant plus rapidement quand elles s'adressent à des personnalités perturbées, ou à des individus fascinés par l'ultra-violence". Ce qui est le cas de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, décrit par son entourage comme un homme dépressif, lunatique et, surtout, extrêmement violent. Il était en effet bien connu des services de police pour des violences en tout genre, notamment envers sa femme, avec laquelle il était en instance de divorce.

Un individu fasciné par l'ultra-violence. D'après les informations d'Europe 1, les enquêteurs ont ainsi découvert son obsession pour les vidéos diffusées sur Internet par l’EI. Le tueur de Nice regardait en boucle les séquences les plus épouvantables, celles où les atrocités sont filmées en détail. "Il y a environ sept ou huit mois", Mohamed Lahouaiej Bouhlel aurait d'ailleurs montré une vidéo de décapitation d'otage à un témoin, a rapporté François Molins dans son point presse. Face à son étonnement, le suspect aurait alors rétorqué : "Je suis habitué". Les policiers ont également trouvé dans le téléphone portable de Mohamed Lahouaiej Bouhlel la photographie d'un article de presse de Nice-Matin, datée du 1er janvier 2016, jour de publication : "Il fonce volontairement sur la terrasse d'un restaurant".

 

  • "Un attentat pensé et préparé"

Des selfies sur les lieux de l'attaque. Lors de cette conférence de presse, le procureur de la République de Paris a aussi déclaré que la préméditation de l'acte ne faisait aucun doute. Pour préparer son attaque, menée au volant d'un 19 tonnes lancé en plein cœur de la foule du 14-Juillet, le tueur de Nice s'est rendu sur les lieux plusieurs fois, comme Europe 1 l'avait révélé. Plusieurs clichés, extraits du téléphone portable du terroriste retrouvé dans la cabine du poids lourd, attestent de cette préméditation. 

Le 12 juillet, le Tunisien de 31 ans a pris une première photo de la Prom' "depuis la place conducteur du camion", a indiqué le procureur. Mohamed Lahouaiej Bouhlel, dépeint comme un homme mégalomane, a également pris quatre selfies, sur les lieux, le jour-même de l'attentat : le premier à 13h43, le deuxième à 16h02, puis à 16h42, et enfin, un dernier, à 19h25. 

 

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(Crédit Photo : AFP)

Filmé à deux reprises en repérage. D'autre part, le Tunisien de 31 ans apparaît à deux reprises, au volant du 19 tonnes blanc, sur les caméras de vidéosurveillance de la ville : une première fois le 12 juillet, sur la Promenade des Anglais. Puis une seconde, le lendemain, où il effectue le même parcours. Le chauffeur-livreur avait aussi, dès le 4 juillet, contacté l'agence de location afin de réserver le camion pour la semaine du 11 juillet.

Ce jour-là, il est passé dans la matinée et a déposé un chèque de caution de 1.600 euros, a rapporté le procureur. Le suspect semblait d'ailleurs avoir besoin d'argent ces derniers temps, puisqu’il a notamment "tenté de contracter un prêt à la consommation de 5.000 euros" et a vendu son véhicule la veille de l'attentat. Si Mohamed Lahouaiej Bouhlel a peut-être bénéficié de complicités, il ne semble visiblement pas avoir eu de soutien financier.

Six gardés à vue. Autant d'éléments qui attestent que l'on a affaire à un "attentat pensé et préparé", a déclaré François Molins. Cette attaque, minutieusement fomentée, a-t-elle bénéficié de complices ? Six personnes "soupçonnées d'avoir pu être en contact avec l'auteur de cet attentat ou de lui avoir apporté une aide logistique" étaient toujours en garde à vue lundi en fin de journée. Parmi elles, le destinataire d'un SMS, envoyé à 22H27 par le terroriste - juste avant son passage à l'acte. Dans ce message, Mohamed Lahouaiej Bouhlel se félicite de l'acquisition du calibre 7,65 mm avec lequel il tirera, un peu plus tard dans la soirée, contre trois policiers tentant d'intercepter sa course meurtrière avant d'être abattu.

Les investigations se poursuivent pour tenter d'identifier les correspondants des SMS et appels émis par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le jour des faits et les jours précédant les faits, a indiqué François Molins qui s'est refusé à donner plus d'informations à leur sujet.