Un miraculé d'Auschwitz se raconte

Henri Borlant publie avec Merci d'avoir survécu aux éditions du Seuil
Henri Borlant publie avec Merci d'avoir survécu aux éditions du Seuil © Europe1
  • Copié
Assiya Hamza avec Nicolas Poincaré , modifié à
Henri Borlant publie Merci d'avoir survécu, où il parle de la déportation qu'il n'a jamais pu raconter à sa famille.

Il aura fallu 68 ans pour qu'il brise le silence. Henri Borlant est le seul survivant des six mille enfants juifs de France de moins de seize ans déportés à Auschwitz en 1942. A 84 ans, il publie aux éditions du Seuil Merci d'avoir survécu, un livre où il raconte pour la première fois ce qu'il n'a jamais pu dire à ses proches.

Le 15 juillet 1942, des soldats allemands viennent l’arrêter à Angers avec son père, son frère de 17 ans et sa sœur de 21 ans. Il n'a alors que 15 ans. Direction Auschwitz d'où lui seul sortira vivant. " La sélection à l’arrivée, c’était toujours la même chose", se souvient-il au micro d'Europe 1. " Les enfants, les femmes accompagnées d’enfants, (...) les femmes visiblement enceintes... on les faisait monter dans des camions qui attendaient sur la rampe. Les gens âgés, les malades, ceux qui avaient l’air mal en point, les boiteux, les bossus etc", poursuit-il, "ceux-là, les camions les menaient directement à la chambre à gaz et ils étaient exterminés le jour même".

"On était battus, insultés"

Très vite, l'adolescent est victime du typhus et de la dysenterie. Malgré la maladie, Henri Borlant survit. Le plus dur, se souvient-il, "c'était la chaleur". "Il n’y avait pas de moyen de se défendre puisqu’on était toujours dehors. On ne pouvait pas s’abriter du soleil", raconte-t-il. "En plus, on nous faisait faire des efforts très au-dessus de nos moyens. Il fallait toujours courir plus vite, plus vite. Et on recevait des coups si on n’allait pas assez vite avec des charges, en portant des caisses en bois lourd. On nous faisait courir et on avait des chaussures avec des semelles de bois rigides, avec de la toile rigide qui nous blessait, qu’on perdait dans la boue et l’affolement. On était épuisés par le travail, on était effrayés, on était battus, insultés", se souvient-il.

Lorsqu'il sort de l'enfer, en 1945, Henri Borlant garde le silence. Il ne raconte rien, ni à sa mère, ni à ses six autres frères et sœurs. "Je ne raconte pas parce que c’est inaudible", explique-t-il simplement. "Ils ne peuvent pas l’entendre. Ils ont beaucoup souffert, ils ont été traqués. On a voulu les arrêter dans une seconde rafle et grâce au fait qu’un gendarme les a prévenus, que le maire les a aidés, bref...", s'interrompt-il.

"Ils étaient incapables d'entendre"

Quelques années plus tard, il évoque la mort de son père et de son frère. "J’ai fini par le dire puisque j’ai pu avoir la date de la mort, je ne sais pas comment ils sont morts, mais j’ai pu avoir la date par un ami que j’ai connu plus tard dans le camp et qui lui travaillait dans le bureau central", précise-t-il. "Il m’a donné la date du décès de mon père et de mon frère. Mon père a survécu environ 6 semaines et mon frère trois mois et demi". Ce jour-là, Henri Borlant veut tout dire. Mais en face de lui, la douleur était trop vive. "Je ne sais plus comment ça s’est passé mais ils étaient absolument incapables d’entendre. Et moi, j’attendais qu’on me pose des questions pour parler. Les questions ne sont pas venues. Je me suis tu", conclut-il.

Cinquante ans plus tard, lors de l’inauguration d’une plaque dans un endroit où il avait été emprisonné avant sa déportation, Henri Borlant tente à nouveau de se livrer. En vain. "Ils ne pouvaient pas l’entendre encore", dit-il en racontant le malaise de sa sœur.

Sa famille n'a toujours "rien entendu de sa bouche"

Son histoire, Henri Borlant n'en parle "qu'avec ses camarades de déportation". "Même quand on raconte, qu’est ce que les gens peuvent imaginer ?", souligne-t-il en prenant pour exemple la sensation de faim. "Le mot faim pour un déporté veut dire autre chose. Il n’a que ce que son expérience lui a appris", raconte-il avant d'ajouter qu'il ne parlait pas parce qu’on ne lui demandait "pas de parler".

Aujourd'hui, sa famille n'a toujours rien "entendu de sa bouche". "C’est insupportable pour ceux qui ont souffert dans leur chair, dans leur famille", souligne-t-il. Seule sa fille aînée, Danielle, a lu le manuscrit. Mais, conclut-il, "peut-être ce soir, ils sont en train de nous écouter".