Qui sont les jeunes Français concernés par la puberté précoce ?

Les filles sont davantage concernées par la puberté précoce que les garçons.
Les filles sont davantage concernées par la puberté précoce que les garçons. © AFP
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Clémence Olivier , modifié à
Santé publique France a livré mardi des données nationales sur la puberté précoce en France. Un phénomène qui a des conséquences sur la santé et la psychologie des enfants.

C'est la première fois qu'un tel rapport est publié en France. Mardi, dans le cadre des Rencontres Santé publiques France à Paris, des premières données nationales ont été présentées autour de la puberté précoce. Ces chiffres varient beaucoup d'une région à l'autre. Ainsi dans les environs de Lyon et de Toulouse, les cas de puberté précoce sont bien plus nombreux qu'ailleurs en France. Mais comment expliquer ces données ? Et quelles sont les conséquences d'une telle maladie sur les enfants ? Europe 1 fait le point.

  • Qu'est-ce que la puberté précoce?

Des seins qui poussent chez les filles, des testicules qui augmentent de volume chez les garçons, l'apparition d'une pilosité pubienne… Lorsque les premiers signes de la puberté, cette période pendant laquelle les organes sexuels se transforment et la croissance se stoppe, apparaissent avant 8 ans chez les filles et avant 9 ans chez les garçons, on parle de puberté précoce. Car si en France, il n'existe pas de "norme" de la puberté, l'assurance maladie estime toutefois qu'elle démarre en moyenne chez les filles vers 11 ans et chez les garçons vers 12 ans.

  • Le nombre de cas est-il en augmentation  ?

Les observations de Santé publique France ne permettent pas de dire que cette pathologie est plus importante d'année en année. "C'est une photographie de la situation. On ne pourra parler d'évolution qu'en comparant ces données à d'autres données compilées dans les années à venir", précise Melina Le Barbier, responsable d'unité à Santé publique France.

Toutefois, plusieurs études font état d'une apparition plus précoce des signes de la puberté dans les pays développés. "On peut parler d'une avancée des stades pubertaires", constate Olivier Puel, pédiatre endocrinologue co-fondateur de l’Association Française des Pédiatres Endocrinologues Libéraux (Afpel). En 2009, une étude danoise publiée dans la revue scientifique Pediatrics mettait en évidence que l'âge de l'apparition des seins chez les jeunes filles au Danemark était passé de 10 ans en moyenne il y a vingt ans, à 9 ans en 2009. "En France, on observe fréquemment dans nos cabinets des fillettes dont les seins poussent vers l'âge de 9 ans", ajoute Olivier Puel.

  •  Comment expliquer cette tendance ?

Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer les pubertés précoces dans le cas où celles ci ne sont pas liées à des lésions cérébrales ou des causes génétiques et médicales. La première concerne les perturbateurs endocriniens, comme les pesticides, les phtalates, le bisphénol A. Ils sont soupçonnés d'être impliqués dans certains troubles comme l'obésité, le diabète et ces fameuses pubertés précoces. "Ils vont jouer le rôle des œstrogènes et peuvent ainsi induire un développement pubertaire", détaille Olivier Puel.

Chez les filles, le rôle de l'exposition aux perturbateurs endocriniens contenus notamment dans les cosmétiques ou soins de cheveux contenant des oestrogènes est considéré comme scientifiquement "plausible", complète par ailleurs Joëlle Le Moal. "Mais il est aujourd'hui compliqué d'établir un lien de cause à effet", nuance Melina Le Barbier.

D'autres facteurs pourraient expliquer l'avancée des stades pubertaires. C'est le cas de l'obésité. "Chez le garçon, un indice de masse corporel élevé peut être corrélé avec une puberté précoce", précise le pédiatre endocrinologue. "Cela pourrait aller de pair avec la tendance de prise de poids de la population", ajoute-t-il.

  • Qui est concerné ?

En France, les filles sont plus nombreuses à voir leur puberté commencer plus précocement. 1.173 nouveaux cas de puberté précoce ont été répertoriés chaque année entre 2011 et 2013 chez les filles, contre 117 cas chez les garçons, soit dix fois mois, rapporte Santé publique France. "Mais il est probable que les cas soient moins bien détectés chez les garçons", explique Joëlle Le Moal, médecin épidémiologiste (Direction santé environnement de l'agence sanitaire Santé publique France) qui a dirigé ce travail avec des spécialistes de l'hôpital Robert Debré à Paris. "Chez les garçons c'est un peu moins évident car c'est moins visible", note Olivier Puel. "La pilosité est davantage perçue comme un atout", ajoute Christine Barois, psychiatre pour enfants, adolescents et adultes, installée à Paris.

Les chercheurs ont également constaté des différences notables entre régions, certaines étant plus touchées que d'autres, selon les données diffusées mardi par Santé publique France. "Pour les filles, nous avons identifié deux régions à forte incidence : Midi-Pyrénées autour de Toulouse et Rhône-Alpes autour de Lyon", précise Joëlle Le Moal. Dans ces régions, la puberté précoce des filles est douze fois plus fréquente qu'ailleurs en France. Parmi les zones moins touchées, situées dans la moitié nord, figurent Lille et le Pas-de-Calais. Schématiquement pour les garçons, c'est à peu près pareil, précise la chercheuse. 

Santé publique France estime qu'elle n'est pas en mesure aujourd'hui d'expliquer ces différences régionales. Mais pour approfondir la question, les chercheurs prévoient d'étudier certains types de cultures - viticulture et arboriculture - auxquelles auraient pu être exposées les familles. Les éventuelles expositions industrielles sont également à prendre en compte, tout comme l'alimentation.

  • Pourquoi est-ce que cela inquiète?

Faire sa puberté plus tôt que tout le monde peut avoir des conséquences sur la santé et la psychologie des enfants concernés. Si la puberté survient très tôt et de manière très rapide, il peut y avoir un retentissement sur la taille de la personne concernée.  Les filles risquent ainsi d'avoir leurs règles plus tôt, en CM1 ou en CM2, au lieu de les avoir en 5e ou en 4e. "Cela induit un vécu différent, une libido différente", souligne Olivier Puel.

"Selon la pédiatre endocrinologue Louise Greenspan, qui a rédigé un ouvrage sur la question, les enfants à la puberté précoce sont davantage concernés par des comportements à risque, des risques d'obésité", ajoute le pédiatre endocrinologue. "Il existe également un risque théorique de ménopause précoce, car les femmes possèdent un nombre déterminé d'ovules qui pourrait s'épuiser plus tôt", ajoute le pédiatre. "Enfin, plus le corps produit des hormones de façon précoce, plus il existe un risque de développement de cancers hormonaux comme le cancer du sein et de l'utérus."

Psychologiquement, le phénomène n'est pas non plus anodin. "C'est complètement désadapté. Ce n'est déjà pas évident de voir son corps se modifier lorsque l'on est adolescent, mais quand on est encore à l'école primaire, cela devient vraiment compliqué ", explique Christine Barois.

En d'autres termes, les filles n'ont pas le corps qui correspond à ce qu'elles ont dans la tête. "On explique aux fillettes qu'elles sont désormais capables de devenir maman alors qu'elles pensent à jouer et non à séduire". La poussée des seins chez les filles peut être également un sujet de raillerie. Un malaise peut se créer", complète la psychiatre. "C'est difficile à assumer".