Quand le FN gérait (mal) ses communes

Daniel Simonpieri et Bruno Mégret, deux des quatres maires frontistes des années 1990, au côté de Jean-Marie Le Pen.
Daniel Simonpieri et Bruno Mégret, deux des quatres maires frontistes des années 1990, au côté de Jean-Marie Le Pen. © MAXPPP
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Entre 1995 et 2001, le parti d’extrême droite a géré quatre villes du sud. Le bilan est très mitigé.

C’est Marine Le Pen elle-même qui, en creux, l’admet vendredi dans les colonnes de Nice-Matin : la gestion par le Front national de quatre municipalités du Sud de la France, entre 1995 et 2001, n’a pas franchement laissé de bons souvenirs. "Mais cela remonte à 25 ans !", se défend, à quelques mois des municipales de 2014, la présidente du FN, pas forcément experte es mathématiques sur le coup. "Nous sommes un parti qui s'est professionnalisé, qui a formé des candidats, nous sommes parfaitement au point aujourd'hui pour faire nos preuves". Comprendre qu’en 1995, le FN n’était pas prêt. Europe1.fr, avec Dominique Sistach, juriste et sociologue à l’université de Perpignan, fait le bilan des gestions frontistes de Marignane, Orange, Toulon et Vitrolles.

Des victoires surprise et une impréparation. En 1995, lors des municipales, le Front national remporte donc les mairies de Marignane, Orange, et surtout Toulon, seule ville de plus de 150.000 habitants que le FN ait jamais gérée (Vitrolles sera gagnée deux ans plus tard à la faveur d’une élection partielle). Ces victoires en forme de séisme politique surprennent jusque dans les rangs frontistes. "L’épisode a été tellement fulgurant qu’il a pris le FN par surprise", raconte Dominique Sistach. Pas ou mal préparés, les nouveaux maires frontistes doivent donc apprendre sur le tas. Et très vite, ils changent leur fusil d’épaule.

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Le loup devient "caniche"... Confronté aux réalités politiques du terrain, les maires frontistes délaissent rapidement leurs velléités extrêmes. "Orange et Marignane ont en fait connu au final une gestion typiquement de droite, de droite classique", assure Dominique Sistach. "Et c’est encore plus vrai à Toulon, où Jean-Marie Le Chevallier  (photo) a très rapidement pris une couleur conservatrice et est entré en rupture avec son parti", poursuit l’universitaire, qui image : "quand le FN est dans le commentaire, c’est un loup. Quand il prend la direction des affaires publiques, ça devient un caniche. Son discours s’érode et les maires optent finalement pour une gestion de bon père de famille de droite."

... Sauf à Vitrolles. Cette érosion, Vitrolles est finalement la seule ville frontiste à ne pas l’avoir connue, sous l’égide des époux Mégret. Battu de peu en 1995, Bruno Mégret, frappé d’inéligibilité pour des comptes de campagne irréguliers, laisse sa femme mener la bataille et l’emporter en 1997, après invalidation du scrutin initial. Et d’emblée, le couple impose sa patte. "Les époux Mégret ont eu la volonté d’une gestion vraiment frontiste, populiste, avec des relents particulièrement marqués du point de vue idéologique. Ce qui a particulièrement marqué la gestion de Vitrolles, c’est que les Mégret ont tenté de faire passer l’octroi de certains aides sous l’égide de la préférence nationale", rappelle Dominique Sistach. La mise en place d’une prime de 5.000 francs pour les enfants nés de parents européens sera finalement retoquée par le tribunal administratif de Marseille. Les trois autres maires, qui avaient aussi promis de mettre en place cette prime, ne s’y étaient, eux, pas risqués.

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"Il y a aussi la police municipale habillée comme des ninjas, une vraie volonté de reprendre la ville en main, de donner une autorité à la figure du maire, qui traditionnellement est plutôt un homme de consensus en France", poursuit le spécialiste. "Il y a, enfin, une vocation à ‘déculturer’ et à ‘reculturer’ la ville, pour lui donner une couleur nouvelle."

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L’exception culturelle et associative. C’est finalement en matière culturelle et d’aides aux associations que le label FN est le plus visible dans les villes concernées. "Bien entendu, des choix ont été faits sur les financements associatifs, avec des choix culturels corsés", confirme Dominique Sistach. A Orange, le festival de musique des Chorégies sont remises en cause. A Vitrolles, le café-musique Le Sous-Marin est fermé par la mairie. A Toulon, l’écrivain juif Marek Halter, qui devait être honoré lors de la Fête du Livre, est déclaré indésirable…

Surtout, les maires frontistes se renferment dans l’ultra-régionalisme. Vitrolles est ainsi rebaptisée par les époux Mégret Vitrolles-en-Provence, ce que la préfecture ne validera jamais. Ce repli identitaire est surtout vrai à Orange. "Le maire Jacques Bompard a choisi une politique ultra-locale, ultra-culturaliste. C’est un discours qui n’est pas sans plaire aux gens, surtout dans le Sud, où on cède rapidement au folklorisme", explique Dominique Sistach.

Des déboires judiciaires. Les mandats des quatre maires ont aussi été marqués par des irrégularités qui les ont presque tous conduit devant les tribunaux. Dernier en date, Daniel Simonpieri, ex-maire de Marignane, a été condamné en novembre 2011 pour avoir fait travailler des employés municipaux à son domicile. Juste avant lui, Jacques Bompard a été mis en examen en octobre 2011 pour des "dépenses à caractère familial". Catherine Mégret a elle vu sa réélection de 2001 annulée, car elle et son mari avaient utilisé les moyens de la mairie pour leur campagne. Le Toulonnais Jean-Marie Le Chevallier subit lui en 2001 deux condamnations l’une pour un emploi fictif, l’autre pour subordination de témoins.

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"On se souvient de la fameuse affiche de campagne ‘tête haute et mains propres’ avec Jean-Marie Le Pen. On se rend compte que quand le Front national est aux affaires, les mains ne sont plus très propres et la tête forcément doit se baisser", commente Dominique Sistach. "Il y a une réalité du pouvoir, et le Front national n’y déroge pas."

2001, le retour de bâton. Après six années difficiles, les élections municipales suivantes se passent beaucoup moins bien pour le Front national. Certes, seul Jean-Marie Le Chevallier, qui n’est d’ailleurs alors plus membre du FN, est battu à plate couture. De leur côté, Catherine Mégret et Daniel Simonpieri sont bel et bien réélus, mais ils battent désormais pavillon MNR, le parti du félon Mégret, qui a fait scission avec le FN en 1998. Finalement, seul Jacques Bompard est réélu pour le FN. Mais des tensions existent déjà entre le maire d’Orange et Jean-Marie Le Pen, des tensions matérialisées en 2005 par le départ de Jacques Bompard du Front. Résultat, le FN ne gère actuellement aucune mairie.

Et maintenant ? Clairement, la donne a changé. D’abord parce que Marine Le Pen, contrairement à son père, cherche vraiment à conquérir le pouvoir, et elle sait que cela passe par un maillage du territoire par des élus locaux frontistes. En outre, Le Pen père n’appréciait pas vraiment que d’autres que lui prennent la lumière, ce qui étaient le cas des maires frontistes, à qui il n’a pas hésité à mettre des bâtions dans les roues. Sa fille compte elle sur eux pour relayer son message au plan local.

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La partie n’est pas pour autant gagnée pour le Front national, qui peine encore aujourd'hui à constituer ses listes, faute de candidats. "Ils sont aujourd’hui à peine mieux préparés qu’en 1995", assure Dominique Sistach. "Par exemple, à Perpignan, Louis Aliot, numéro 2 du FN,  est en souffrance pour trouver des gens dans la société civile qui, s’il était élu maire, pourrait prendre la tête de tel établissement public, de telle officine. J’ai l’impression qu’il demande un peu à tout le monde ", sourit l’universitaire, qui conclut : "Le nouveau Front national a sans doute plus de chances de remporter des victoires qu’en 1995. Mais il n’est pas forcément mieux armé".