Présidentielle : qui seront les abstentionnistes de 2017 ?

L’abstention à l’élection présidentielle pourrait atteindre un record en 2017.
L’abstention à l’élection présidentielle pourrait atteindre un record en 2017. © JOEL SAGET / AFP
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L’abstention à l’élection présidentielle pourrait atteindre un record en 2017. Preuve que les électeurs trouvent de plus en plus de raisons de s’abstenir. 

"Si je n’étais pas candidat, je crois que je m’abstiendrais". La petite phrase est signée Philippe Poutou, candidat à la présidentielle, mercredi sur LCI. "Il y a plein de gens qui vont s'abstenir par ras-le-bol et c'est complètement légitime", a insisté le candidat du NPA. Qui, certes, n’est pas forcément représentatif de l’ensemble de l’électorat français, mais illustre tout de même une tendance : celle de la tentation de l’abstention, à un mois du premier tour.

Selon le rolling quotidien de l’Ifop, au 21 mars,  37% des personnes interrogées disaient vouloir s’abstenir (voir plus bas). A peu près à la même date il y a cinq ans, elles n’étaient que 29%. Même tendance dans une enquête du Cevipof pour Le Monde, publiée lundi, qui indique que 32% des sondés envisagent l’abstention. C’est 13 points de plus qu’à la même époque en 2012. De quoi craindre que l’abstention se situe dans les mêmes eaux qu’au premier tour de la présidentielle de 2002, avec 28,4%, au plus haut depuis 1969.

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  • Une envie d’abstention qui a gagné toutes les catégories

Pendant longtemps, le portrait robot de l’abstentionniste dessinait une personne jeune, peu diplômée et gagnant mal sa vie. Ce stéréotype semble avoir vécu en 2017. Désormais, les abstentionnistes se trouvent dans toutes les catégories de la population. "L'idée que l'abstention concerne avant tout les pauvres ou les non-instruits n'a plus de sens aujourd'hui", expliquait lundi à Franceinfo le journaliste Antoine Peillon, auteur de Voter, c'est abdiquer. Un fait nouveau qui accrédite la thèse d’une abstention élevée le 23 avril.

La jeunesse toujours réticente. Il reste une tendance lourde toutefois, qui concerne la jeunesse. C’est en effet encore et toujours dans les catégories d’âge les plus basses que l’envie d’abstention est la plus forte. Selon l’Ifop, 46% des moins de 35 ans envisagent de ne pas aller voter au premier tour. Ils ne sont "que" 31% chez les plus de 50 ans.

Désormais, une égale répartition dans les catégories socio-professionnelles… En revanche, il se trouve des abstentionnistes en puissance dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Chez les cadres et professions intermédiaires supérieures (41%), chez les employés (39%) et ouvriers (43%) comme chez les professions intermédiaires (40%). Ce sont finalement les travailleurs indépendants qui sont, à 28% seulement, les moins prêts à s’abstenir. En 2012, les différences étaient nettement plus marquées, puisqu’à un mois du premier tour, selon, l’Ifop, seuls 23% des sondés issus des professions libérales et des cadres songeaient à l’abstention. Ils étaient 54% chez les ouvriers. Il ya donc eu un nivellement.

…Comme chez les diplômés et les non-diplômés. La répartition est également assez homogène pour ce qui est du niveau d’études. Le niveau est ainsi presque le même pour ceux qui n’ont pas le baccalauréat que pour les titulaires d’un diplôme de deuxième ou troisième cycle (respectivement 35% et 34%). Ce taux est plus élevé chez ceux qui n’ont que le Bac (38%) ou un diplôme de premier cycle (39%). Et c’est en fait chez les étudiants que se trouvent le plus d’abstentionnistes potentiels, avec 41% qui se disaient prêts à ne pas aller voter au 21 mars. "Ce qui est totalement nouveau en 2017, c'est que le taux d'intention d'abstention est équivalent chez les diplômés et chez les non-diplômés", confirme Antoine Peillon. 

  • Une abstention forte ? A modérer

Il y aura quoi qu’il arrive de l’abstention le 23 avril prochain. Il y a une frange de la population qui ne croit pas, depuis longtemps, dans la politique. "De toute façon, il y a un taux irréductible d’abstentionnistes. Même dans les années soixante-dix, on n’a jamais atteint 90% de votants", expliquait sur BFM Jérôme Sainte-Marie, président de la société d’études PollingVox. Traditionnellement, à l’élection présidentielle, elle se situe autour de 20 %. Et s’il y a des raisons de penser qu’elle sera plus forte cette fois-ci, il serait imprudent de le considérer comme acquis. 

Une campagne peu attirante pour l’instant. Car les sondages ont beau être inquiétants - pour ceux que ça inquiète -, une abstention forte n’est pas une fatalité. Les dernières semaines de la campagne ont été marquées par les affaires et dominées politiquement par les tractations entre candidats ou les ralliements. Pas de quoi donner envie d’aller voter aux plus réticents. Quand les programmes seront abordés avec plus de précisions, la part d’abstentionnistes potentiels devrait baisser. "Il y a eu une clarification depuis quelques jours. Cet élément favorise la cristallisation des choix de l'électorat et, mécaniquement, la participation", assurait fin février Yves-Marie Cann, directeur des études politiques d'Elabe, sur BFM.

Marine le Pen et le renouvellement. En outre, la personnalité des candidats peut aussi jouer en faveur de la participation. Celle de Marine Le Pen d’abord. La présidente du FN a tendance à mobiliser autant pour elle que contre elle. Par ailleurs, l’absence des François Hollande, Manuel Valls, Nicolas Sarkozy ou encore Alain Juppé donne une impression de renouvellement que beaucoup de Français appellent de leurs vœux. Idem pour Emmanuel Macron, qui a fait du renouvellement de la classe politique son credo. "Finalement, on peut tout aussi bien approcher d'un record d'abstention, si le débat n'aborde pas les sujets de fond, comme d'un record de participation lié à ce renouvellement de la classe politique ou à l'enjeu du Front national", résumait Yves-Marie Cann sur  BFM. 

Un vrai risque au second tour. En revanche, au second tour, l’abstention pourrait atteindre des sommets. Là encore en cas de présence, annoncée depuis de longs mois, de Marine Le Pen. Comment se comporteront les candidats de droite quand il s’agira de voter, par exemple, pour Emmanuel Macron, après des années de ni-ni prônés par leurs leaders ? Même question pour les électeurs de gauche, si François Fillon est qualifié. En 2002, ils s’étaient massivement rendus aux urnes pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen, puisque l’abstention avait fondu de 28,4 % à 20,29 %. Mais beaucoup en ont gardé un souvenir cuisant, et le programme très à droite de François Fillon a de quoi les refroidir. Dans un cas comme dans l’autre, une forte abstention ferait le jeu de la présidente du FN. C’est même son seul espoir de l’emporter.

Et le vote blanc ?

La prise en compte du vote blanc comme suffrage exprimé est une piste depuis longtemps explorée pour réduire l’abstention. Au point de devenir un serpent de mer. Pour 2017, ils seront comptabilisés à part des votes nuls, mais ne compteront pas dans les résultats en suffrages exprimés.

Pourtant, il y a une réelle appétence des Français. Selon un sondage Ifop datant de décembre 2016, 83 % des personnes interrogées se disent favorable à sa prise en compte dans le résultat final. Dans la même enquête, 25% des sondés voteraient blanc dans une telle hypothèse. Ce qui ferait du vote blancs l’une des premières forces politiques du pays, sinon la première. Si cette solution ferait sans aucun doute baisser l’abstention, pas sûr que les politiques apprécieraient d’être ainsi devancés.