Débat télévisé 3:41
  • Copié
Nicolas Beytout
A moins de deux semaines du premier tour de l'élection présidentielle, les chaînes de télé et les radios redoublent de vigilance pour respecter le temps de parole des candidats. Une règle stricte, qui s'applique aux candidats mais aussi à leurs porte-paroles. Un véritable casse-tête, décrypté par Nicolas Beytout.

Depuis lundi matin, les radios et les télévisions doivent respecter une stricte égalité des temps de parole entre les 12 candidats. Quand on dit "strict", c’est vraiment strict : sur chaque chaîne de télé, sur chaque antenne radio, chacun des 12 candidats doit jusqu’à l’élection avoir le même temps de parole, à la seconde près.

Ce temps de parole est calculé par tranches horaires (il y en a 4 par jour) de façon à éviter qu’une diffusion de 1 heure d’Emmanuel Macron à 20h soit compensée par 1 heure de Philippe Poutou entre 3 et 4 heures du matin. Mais cette règle, déjà merveilleusement soviétique dans l’âme, manquerait de charme si elle ne s’appliquait qu’aux candidats eux-mêmes ou à leurs porte-paroles.

Non, tous ceux qui s’expriment en faveur d’un candidat sont décomptés de son temps d’antenne. Un micro-trottoir en faveur de Marine Le Pen, et hop, il faut trouver 11 autres déclarations de vrais gens à l’appui de ses 11 adversaires. Et bien entendu, tout ça dans le même créneau horaire. Je disais tout à l’heure, système soviétique de contrôle; je me demande même si on n’en est pas dans l’absurde bureaucratique au niveau Corée du Nord (même si, là-bas, le temps d’antenne de l’opposition n’a pas besoin d’être précisément chronométré).

S'il est vrai que c’est très contraignant, ce n’est pas nécessaire à l’exercice de la démocratie. Absolument pas. Ces règles ont été imaginées lorsqu’il n’y avait qu’une poignée de chaînes de télé et de radios, pour la plupart relevant du service public.

Un idéal démocratique qui se discute

Aujourd’hui, l’offre médiatique est large, variée, diverse. Chaque média audiovisuel devrait librement pouvoir défendre la ligne éditoriale de son choix. Alors, bien sûr, ça risque de laisser les tout petits candidats dans l’ombre. Et alors, quel est le problème ? D’abord, il y a un service public, puissant, avec de bonnes audiences, dont ça pourrait être le cahier des charges : à lui de faire régner sur ses antennes l’égalité de temps de parole (au passage, ça les changerait un peu).

Ensuite, en quoi est-ce le summum de la démocratie de donner, d’ici à l’élection, deux fois moins de temps de parole à Emmanuel Macron, par exemple, qu’à la paire de jumeaux idéologiques Poutou et Arthaud ? Tout ça a été conçu dans un univers qui semblait ne pas connaître Internet, les réseaux sociaux, les web-radios et les web-télés.

Et d'ailleurs, ces médias-là ne subissent pas les contraintes de temps de parole. Ils sont libres de choisir qui ils veulent soutenir, en toute indépendance, et sans chronomètre. Exactement comme la presse écrite, naturellement. C’est une faille énorme dans ce dispositif que, à ma connaissance, la France est le seul pays à avoir imaginé et à appliquer. Bien sûr, un 20 heures sur une chaîne nationale, c’est beaucoup plus puissant qu’une profession de foi sur une web-télé. Mais ça ne durera pas éternellement.