Pénurie de carburant : comment les conflits ont été gérés dans le passé

FRANK PERRY / AFP station essence queue
En octobre 2010, déjà, des files d'attente de voitures, comme ici à Nantes, avaient apparu devant les stations-service. © FRANK PERRY / AFP
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Le pays a déjà connu des pénuries d’essence similaires à celle qu’il connaît aujourd’hui. La réponse des autorités, elle, a différé. 

La France au bord de la pénurie de carburants, ce n’est pas une première dans l’histoire des mouvements sociaux. L’arme, impopulaire, est utilisée avec parcimonie par les syndicats et les épisodes précédents restent du coup dans les mémoires, alors que la CGT tente actuellement de bloquer les raffineries et les dépôts dans une nouvelle phase de protestation contre la loi Travail. La réponse apportée par les autorités face aux blocages a elle varié en fonction de la nature du mouvement et de la stratégie adoptée par le gouvernement en place.

  • Mai 1968 : la seule vraie pénurie d’essence

A ce jour, la France n’a connu qu’une seule pénurie totale de carburants. C’était en mai 1968, à l’occasion des fameux "événements". A l’époque, neuf millions de personnes cessent le travail dans ce qui reste le plus grand mouvement social de l’Après-Guerre. Les raffineries et les dépôts sont bloqués, comme nombre d’autres secteurs industriels. Finalement, à partir du 31 mai, moins d’une semaine après la signature des accords de Grenelle, qui octroient de nouveaux droits aux travailleurs, les stations sont à nouveau alimentées, et les voitures redémarrent doucement, comme le reste du pays.

  • Novembre 1996 : réquisitions et négociations

A part quelques événements sporadiques et localement limités, comme en 1974 ou en 1992, la crise suivante survient en novembre 1996. Les transporteurs routiers protestent alors contre leurs conditions de travail et réclament notamment une revalorisation de salaire et la prise en compte des heures réellement travaillées. Démarré le 18 novembre, le mouvement assèche rapidement les stations-service, prises d’assaut par les automobilistes. Sur les 18.000 que compte alors le pays, entre 5.000 et 8.000 connaissent une pénurie totale ou partielle de carburant. Des rixes éclatent entre des personnes venues remplir réservoirs et jerrycans à la pompe.

Le gouvernement, sous l’autorité du Premier ministre de l’époque, Alain Juppé, décide de réquisitionner des stations pour alimenter des véhicules prioritaires, notamment ceux du secteur médical et des forces de l’ordre. Finalement, un accord, signé le 29 novembre entre patronat et syndicats, met fin au mouvement. Mais pour un temps très bref.

  • Novembre 1997 : réquisitions (encore), CRS et protocole

Un an plus tard en effet, les mêmes transporteurs routiers lancent à nouveau une grève. Le gouvernement a changé, Lionel Jospin est à Matignon, mais la méthode reste la même. Des stations sont réquisitionnées en attendant que patronat et syndicats trouvent un accord. Mais, expérience oblige, les forces de l’ordre sont cette fois déployées aux endroits stratégiques pour éviter une trop grande pénurie. Des policiers et gendarmes empêchent les blocages des dépôts de carburants alors que des CRS surveillent les accès de Paris, rappelle Le Parisien, pour éviter tout barrage des routiers. Le 7 novembre, la CFDT, qui contrôlait la majorité des blocages, signe un protocole avec le patronat. Fin du mouvement.

  • 2000 : Négociations et aides accordées

Au début du mois de septembre 2000, les routiers, encore eux, mais aussi les agriculteurs, protestent contre le prix du carburants. En une semaine, le mouvement, rejoint par d’autres catégories socio-professionnelles s’amplifie, et près de 80% des stations-service sont impactées. Le gouvernement, sous l’égide du ministre communiste des Transports Jean-Claude Gayssot, finit au bout d’une semaine de blocage par accorder des aides spécifiques, branche par branche. Les barrages sont levés et les automobilistes peuvent retourner à la pompe, pour constater une nouvelle hausse des prix.

  • 2010 : Recours aux forces de l’ordre et réquisition… de salariés

Cette fois, point de chauffeurs routiers à la manoeuvre. Le blocage des raffineries et des dépôts est décidés dans un mouvement plus large, et beaucoup plus long, de protestation contre un projet de réforme des retraites. Au début du mois d’octobre, les syndicats, mobilisés depuis mars, décident de se concentrer sur le carburant. Peu à peu, la pénurie gagne. A la mi-octobre, les 12 raffineries françaises sont bloquées, ainsi qu’une vingtaine de dépôts. L’essence se raréfie, et 4.000 des 12.5000 stations sont en risque de pénurie. Le 19 octobre, Nicolas Sarkozy prend les choses en main et confie le dossier au ministère de l’Intérieur. En clair, les autorités useront de tous les pouvoirs mis à leur disposition.

D’abord, les forces de l’ordre lèvent sans ménagement les barrages édifiés devant les dépôts. Ensuite, rappelle Le Figaro, des salariés des raffineries sont réquisitionnés par voie d’huissier contre la menace – théorique – de cinq ans d’emprisonnement. Au fil des jours, la situation revient à la normale, et le 26 octobre, la réforme des retraites est adoptée définitivement en Commission mixte paritaire. 

  • 2016 : la même ligne dure ?

Cette fois, Manuel Valls semble prendre le même chemin. Inflexible, le Premier ministre a affirmé mardi sur Europe 1, alors que le site pétrolier de Fos-sur-Mer a été débloqué au petit matin par les forces de l’ordre, que "d’autres sites seront libérés". Une ligne dure dans la lignée de celle du précédent gouvernement, mais les syndicats protestataires, la CGT en tête, ne comptent pas désarmer. Et comme le Premier ministre a répété que la loi Travail, cible du mouvement social, serait bien adoptée, le conflit risque de se durcir encore dans les prochains jours.