Les (intenses) tractations de Juppé pour son retour au gouvernement sous Sarkozy

Alain Juppé
En 2010, Alain Juppé faisait la fine bouche sur les ministères proposés pour son retour au gouvernement. © GEORGES GOBET / AFP
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Blacklisté de la politique, le maire de Bordeaux était redevenu ministre en 2010. Un retour qu'il a âprement négocié auprès de Nicolas Sarkozy.

Le 14 novembre 2010, Alain Juppé a enfin pris sa revanche. Il est redevenu ministre, lui qui s'était fait éjecter du premier gouvernement Fillon, en 2007, un mois seulement après y être entré. Sa défaite aux législatives en Gironde l'avait contraint de démissionner, ainsi que l'exigeait alors le Premier ministre.

Près de trois ans et demi plus tard, donc, Alain Juppé est revenu. Mais ce retour a été âprement négocié. Anna Cabana, chef du service politique au JDD, le raconte dans son livre à paraître mercredi, Un fantasme nommé Juppé (éd. Stock), dont les bonnes feuilles ont été publiées dimanche par le quotidien du septième jour. Selon elle, le maire de Bordeaux a pris le soin de ne pas se laisser convaincre trop facilement.

Se faire désirer. Lors d'un déjeuner avec Nicolas Sarkozy, à la fin de l'été 2010, il est question de lui donner le ministère des Affaires étrangères. "Nicolas, je ne supporterai pas la cohabitation avec toi au Quai d'Orsay", répond-il au président de la République. "Je ne veux pas porter ton cartable. Et je ne veux pas d'un ministre de l'Afrique officieux nommé Claude Guéant." Alain Juppé va jusqu'à dire qu'il pressent la défaite en 2012. "Plus largement, je ne suis pas sûr d'avoir envie de monter à bord du Titanic. Si tu te plantes à la présidentielle, j'aurais brûlé tous mes vaisseaux."

Marchander son ministère. Et même en acceptant sa nomination, le maire de Bordeaux fait encore le difficile. "Je ne veux pas l'Intérieur, je n'aime pas les flics. Pas la Justice. Je déteste les juges", déclare-t-il. Des propos sur les magistrats qui ne sont pas sans rappeler ceux récemment tenus par François Hollande. "Il y a bien l'Écologie, mais l'élan est passé, l'opinion s'en fiche", ronchonne encore Alain Juppé. Quid de Bercy ? "C'est un ministère où il n'y a que des coups à prendre : je ne veux pas être celui qui annonce la hausse des impôts. Reste la Défense." Et c'est bien à la Défense qu'Alain Juppé s'est retrouvé le 14 novembre.

" Je ne veux pas [le ministère de] l'Intérieur, je n'aime pas les flics. Pas la Justice. Je déteste les juges. "

Négocier son Premier ministre. Les exigences de l'ancien Premier ministre ne s'arrêtent pas là. Il veut aussi donner son avis sur le Premier ministre. À l'époque, de nombreux noms circulent dans la presse pour remplacer François Fillon, en poste depuis le début du quinquennat. Parmi eux, celui de Jean-Louis Borloo est le favori des bookmakers. Certains ministres déclarent même publiquement que celui qui est alors à l'Écologie ferait un bon chef du gouvernement. Ce n'est pas l'avis d'Alain Juppé. "Fillon est un faux-jeton, mais il est sérieux. Borloo, lui, est incapable de tenir Matignon", explique-t-il à Anna Cabana. "Lui et moi, c'est l'eau et le feu. Je sais bien qu'avec son langage de marchand de frites, ou de merguez, il passe plutôt bien auprès des gens. Mais moi, je ne peux pas."

Le maire de Bordeaux va jusqu'à mettre sa nomination dans la balance. Si Jean-Louis Borloo est promu à Matignon, il ne reviendra pas. Et Nicolas Sarkozy a donc reconduit François Fillon, entre autres, pour "ne pas poser un problème" à l'exigeant Juppé.

Rêver de Matignon (sans l'avouer). En réalité, l'ancien locataire de Matignon aurait aimé être rappelé à ce poste-là. Mais ne l'a jamais dit à Nicolas Sarkozy, sachant que c'était perdu d'avance. "Il y a deux raisons pour lesquelles il ne me nommera pas Premier ministre", confiait-il à l'époque à la journaliste. "Primo, ça fait remake [Alain Juppé était à Matignon sous Chirac, entre 1995 et 1997]. Il pense que je n'ai pas une image assez positive. Secundo, je lui fous la trouille." Finalement à la Défense, Alain Juppé ne se privera pas de souligner qu'il lui en coûte parfois de travailler pour son meilleur ennemi. "Je suis dans une situation absolument déconcertante", avoue-t-il quelques semaines après sa prise de poste. "Depuis que je suis redevenu ministre, je passe mon temps à défendre Sarko. J'aime les défis !"

Il aime aussi la contradiction, relève Anna Cabana. "Dès qu'on me dit blanc, j'ai envie de dire noir. J'ai été de droite pour prouver qu'on pouvait être intelligent et de droite !" Pas sûr que cela fonctionne auprès des militants Les Républicains qui, six ans plus tard, lui reprochent parfois précisément de ne pas l'être assez, de droite.