Glyphosate : à Bruxelles, Monsanto et les ONG se livrent une rude bataille en coulisses

Des activistes anti-glyphosate à Bruxelles, en juillet dernier.
Des activistes anti-glyphosate à Bruxelles, en juillet dernier. © THIERRY CHARLIER / AFP
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Isabelle Ory, avec T.LM. , modifié à
Partisans et opposants du glyphosate tentent par tous les moyens d'influencer le grand public, les journalistes et les décideurs européens, dans un dossier ultra-sensible. La correspondante d'Europe 1 en a fait l'expérience.
L'ENQUÊTE DU 8H

Le Commission européenne doit se prononcer ce mercredi sur une prolongation ou non du glyphosate. Molécule phare de Monsanto, l’herbicide le plus utilisé au monde est très controversé pour ses effets potentiels sur la santé. La décision européenne est donc très attendue. En coulisses, la bataille fait rage entre les lobbies de l’industrie et les ONG écologistes pour l’influencer. Comment s’y prennent-ils ?

Monsanto veut influencer le monde scientifique. Firme multinationale, Monsanto a un gros budget pour le lobbying à Bruxelles. Mardi soir, on pouvait même voir sur la façade du Parlement européen à Bruxelles : "Le glyphosate, c'est sûr." L’entreprise a engagé plusieurs cabinets en communication pour un montant déclaré d’un peu plus d’un million d’euros par an. On sait aussi qu’elle cherche depuis des années à influencer la littérature scientifique.

"Contraire à l'éthique". Cela n'est pas passé inaperçu, notamment lorsque l'eurodéputé belge Marc Tarabella s'en est pris à un chercheur mis en cause, le 11 octobre : "Rappelons qu'en 2012, Monsieur Kirkland, vous avez co-rédigé une étude sur le glyphosate. Ses conclusions étaient largement favorables à son utilisation. Là où ça devient interpellant, c'est que Monsanto vous a commandité l'étude et vous a payé 18.000 euros en échange. En quoi êtes-vous dès lors indépendant ? N'est-ce pas contraire à l'éthique ? Êtes-vous toujours crédible en tant que scientifique ?" Ce à quoi le scientifique mis en cause répond qu'il s'agissait plutôt de revoir les données disponibles sur le glyphosate, parlant "d'approche pondérée" : "Je peux vous dire que si nos conclusions avaient été quelque chose que Monsanto ne voulait pas entendre, nous leur aurions dit que nous pensions que le glyphosate était un produit qui représentait un danger potentiel."

Tête-à-tête. Pour contrer ce genre d’accusations dévastatrices, Monsanto est passé en mode "crise" et ses communicants ont proposé de long tête-à-tête à certains médias, dont Europe 1. L'entreprise tente d'abord d'expliquer que c'est dur de passer pour le "gros méchant". Ce qui est frappant, ensuite, c’est que la firme essaie à son tour de salir certains chercheurs, ceux qui affirment que le glyphosate est cancérigène. On vous glisse par exemple que tel professeur, très réputé, est en fait payé aux États-Unis par les avocats des victimes présumées de Monsanto. Le sous-entendu est clair : lui aussi est un lobbyiste, ce qui jette le doute sur des experts qu’on croit irréprochables. 

En face, les ONG ont aussi des stratégies efficaces pour se faire entendre contre le glyphosate. Elles jouent sur les émotions de l’opinion publique. Par exemple, en médiatisant des études aux titres choc, qui laissent penser qu’il faut jeter les les glaces ou les céréales du matin. Ces dernières semaines, ces campagnes ont été encore plus nombreuses que d'habitude. Cela marque les esprits. 

Des cocktails au glyphosate. La spécialité des ONG est avant tout d'organiser des coups. Elles se sont ainsi invitées récemment dans un dîner offert par l'industrie aux élus européens, proposant des cocktails au glyphosate. Cette stratégie est en train de payer, car Monsanto perd du terrain. Le dossier du glyphosate est devenu grand public, les politiques sont sous pression. Résultat : depuis mardi, Bruxelles ne propose plus un renouvellement pour 10 ans, mais pour 5 ou 7 ans. Une première victoire pour les opposants à Monsanto, dans une longue bataille où la communication est centrale.