Faut-il inscrire la Corse dans la Constitution ?

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© PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP
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Les nationalistes réclament cette modification en préalable de leurs revendications. L’exécutif tergiverse alors que le temps est compté, une révision constitutionnelle plus large étant prévue pour l’été. 

C’est, pour les nationalistes corses, la mère de toutes les revendications. Celle qui permettra, ensuite, de réclamer plus. Le tandem Gilles Simeoni-Jean-Guy Talamoni, l’un autonomiste, l’autre indépendantiste, mais tous deux unis à la tête de la nouvelle collectivité territoriale unique, militent depuis de longues semaines pour que la Corse apparaisse, au côté des territoires d’outre-mer, dans la Constitution. Cette question doit prendre une bonne place lors de la rencontre d’Edouard Philippe lundi avec les nationalistes à Matignon. Sans fermer tout à fait la porte, le gouvernement ne fait pas montre d’un enthousiasme délirant face à cette proposition. Qui pour certains seraient le premier pas vers l’indépendance de l’île.

Les nationalistes insistent

S’ils diffèrent sur la finalité, autonomie ou indépendance, les nationalistes parlent sur ce sujet d’une même voix. "L'inscription de la Corse dans la Constitution est la condition sine qua non de l'ouverture d'un espace juridique qui nous permettra de mettre en œuvre des politiques ( ...) indispensables à la prise en compte des intérêts de la Corse", disait Gilles Simeoni le 13 décembre dernier sur RMC. "La première des choses, c’est d’introduire dans la Constitution française un dispositif pour la Corse, permettant de déroger dans certains domaines - foncier, fiscal, linguistique, institutionnel également", a abondé Jean-Guy Talamoni lundi sur France Info.

Langue, fiscalité, foncier... Et en effet, pour obtenir la satisfaction de certaines de leurs revendications sans risquer la censure du Conseil constitutionnel - qui, selon Jean-Guy Talamoni, "fait une application très rigoriste de la Loi fondamentale quand il s’agit de la Corse" -, une révision constitutionnelle est indispensable. Sur la co-officialité de la langue corse par exemple, l’une des mesures les plus emblématiques réclamées par les nationalistes. Mais c’est aussi vrai de la fiscalité, qui permettrait aux dirigeants de l’Île de Beauté de prendre des décisions en la matière sans rompre l’égalité devant l’impôt chère aux Sages de la rue de Montpensier. Des revendications en termes de prix du foncier ou d’éducation sont également concernées.

"On peut tout inscrire dans la Constitution"

Si la Corse devait prendre place dans la Constitution, ce serait dans le titre XII, traitant "des collectivités territoriales". L’article 72-3 énumère les territoires concernés : La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française (La Nouvelle-Calédonie fait elle l’objet d’un titre particulier, le XIII). L’article 73 dispose que "ces territoires peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités". Plus loin, on peut lire que "les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées (…), à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières. C’est ensuite une loi organique qui précise les modalités de ces règles spécifiques.

" Un repli du principe d'unité et d'indivisibilité "

En théorie donc, il suffit d’ajouter la Corse à la liste de collectivités concernées. "On peut tout inscrire dans la Constitution. Juridiquement, rien ne s’y oppose, puisque par définition, il n’y a pas d’étude de constitutionnalité d’une révision constitutionnelle", explique à Europe1.fr Bertrand Mathieu, professeur à la Sorbonne et ancien président de l’Association française du droit constitutionnel. "Il s’agit ni plus ni moins que d’un choix politique".

"Ce serait un repli du principe d’unité et d’indivisibilité qui pour l’instant n’a été accordé qu’à des territoires d’outre-mer", poursuit toutefois l’universitaire. "Alors est-ce qu’on considère que la Corse est spécifique par son insularité, ou est-ce qu’on considère que de par son histoire, de par sa proximité géographique, elle fait partie de la France métropolitaine ?", s’interroge Bertrand Mathieu, qui a un avis sur la question. "Le problème, c’est que si on entre dans cette logique, c’est celle des premiers pas et des petits pas. Par ce biais, on gagne progressivement des degrés d’autonomie, et cela peut conduire, comme en Nouvelle-Calédonie, à des aspirations d’indépendance"

Les tergiversations du  gouvernement

C’est sans doute en partie ce risque d’engrenage que le gouvernement se montre plus que réservé à cette perspective. Pourtant pendant la campagne, le candidat Emmanuel Macron n’était pas fermé. "S’il apparaît que le cadre actuel ne permet pas à la Corse de développer ses potentialités, alors nous pourrons envisager d’aller plus loin et de réviser la Constitution", avait-il déclaré le 7 avril lors d’un déplacement sur l’île. Changement de ton le 27 décembre dernier, quand le président de la République avait affirmé dans le quotidien espagnol El Mundo qu’il ne pourrait y avoir d’évolutions possibles que dans le respect de la Loi fondamentale. "Ce cadre républicain ne permet pas de donner satisfaction à certaines revendications, comme le statut de résident ou la co-officialité de la langue corse", avait-il affirmé, provoquant la colère des nationalistes.

"On verra". Désormais, c’est la prudence qui est de mise. "On verra", avait répondu Jacqueline Gourault, "Mme Corse" du gouvernement, le 11 janvier dernier sur LCP. La secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur s’était montrée toutefois assez clair sur la langue corse. "Il n'y a qu'un peuple, c'est le peuple français et il n'y a qu'une langue", avait-elle insisté. "Ce que l'on veut, le droit à la différenciation, c'est au fond reconnaître la spécificité des territoires et être capables d'admettre que l'on applique de façon différente les règlements d'une loi qui a été votée" pour tous, a précisé la ministre.

L’affaire est d’autant plus mal engagée que les négociations commencent à peine. Or, Emmanuel Macron veut boucler sa révision constitutionnelle çà l’été 2018. Il faut d’abord qu’un accord ait été trouvé. Il faut ensuite que l’opposition, la droite en tête, qui est majoritaire au Sénat, donne son accord, ce qui est loin d’être gagnée. Alors que les sujets de discorde ne manquent déjà pas, pas sûr qu’Emmanuel Macron mettre en plus la Corse dans la balance. Pour l’heure, le ton est cordial entre le gouvernement et les nationalistes corses. Pas sûr que cela dure.