Collectivités : comment Macron s'est mis à dos les élus locaux

Le 17 juillet, Emmanuel Macron n'a pas conquis tout le monde lors de la Conférence des territoires.
Le 17 juillet, Emmanuel Macron n'a pas conquis tout le monde lors de la Conférence des territoires. © IAN LANGSDON / POOL / AFP
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Thibaud Le Meneec , modifié à
Suppression de la taxe d’habitation, remise en cause des contrats aidés… Depuis son élection en mai, le fossé s’est creusé entre le chef de l’État et les collectivités locales.

Une structure "au-dessus de la mêlée". C’est ainsi que Christian Estrosi présente dans Le Figaro de mercredi le mouvement politique qu’il s’apprête à lancer dans les prochains jours. Sa particularité ? Être un mouvement d’élus locaux "qui illustre la France dans sa diversité" : "Chacun sera libre d'apporter sa contribution, grâce à une vraie interactivité, tout en pouvant garder une appartenance à sa formation politique", précise-t-il. En misant sur les élus locaux plutôt que sur la base des Républicains, le maire de Nice, qui n'est pas candidat à la présidence du parti, entend néanmoins s’imposer en leader à droite face à Laurent Wauquiez, qui devrait prendre les rênes de LR en décembre. Pas forcément hostile à la politique gouvernementale, Christian Estrosi vise à s’assurer le soutien d’une partie des maires et autres conseillers territoriaux, qui sont de plus en plus mécontents de l’attitude de l’exécutif envers eux depuis mai.

Premier accroc sur la taxe d’habitation. Entre Emmanuel Macron et les élus locaux, la lune de miel a-t-elle vraiment eu lieu ? Une mesure du programme présidentiel les a inquiétés dès la fin de l’hiver : la suppression de la taxe d’habitation pour 80% des ménages, alors que cet impôt finance 79% des ressources propres des communes. "Rien ne nous assure que l'Etat paiera totalement la facture. Par expérience, au bout de quelques années, les villes seront perdantes", s’alarmait mi-mai auprès du ParisienPhilippe Laurent, maire (UDI) de Sceaux (Hauts-de-Seine) et secrétaire général de l'Association des maires de France. Si le gouvernement assure que la perte de dix milliards d’euros sera intégralement compensée par une dotation de l’État, les élus locaux restent sceptiques sur la mesure, précisée en détails mercredi par le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin.

Rupture lors de la Conférence des territoires. Ils basculent définitivement dans l’hostilité deux mois plus tard, lors de la Conférence des territoires, le 17 juillet. À la tribune, Emmanuel Macron annonce vouloir réduire de moitié le nombre de 580.000 élus locaux, en parallèle de la baisse du nombre de parlementaires décidée par l’exécutif. "Nos concitoyens ne comprendraient pas ce traitement différencié", justifie le chef de l’État. Mais face à lui, l’opposition de droite et de gauche avancent le même argument : la grande majorité de ces conseillers municipaux, départementaux ou régionaux ne perçoivent pas d’indemnités. "90% d’entre eux sont bénévoles", appuie André Laignel, de l’Association des maires de France, à La République du Centre. Un calcul assez proche des estimations récentes du Monde, pour qui les élus locaux exerçant leur mandat bénévolement sont au moins 350.000.

Macron, "plutôt jacobin" ? Trois jours après la Conférence des territoires, nouvelle douche froide : 300 millions d’euros de dotations aux collectivités sont supprimées pour l’année 2017. Malgré sa volonté de nouer un "pacte girondin" avec les collectivités, c’est-à-dire poursuivre la décentralisation, Emmanuel Macron serait-il réticent à leur accorder in fine plus d’autonomie dans leur fonctionnement et leur moyen de financement ? "De caractère, Macron est plutôt jacobin" prévenait déjà l’ancien chiraquien et marcheur engagé Renaud Dutreil à Libération, lors de la campagne présidentielle.

"Décisions prises unilatéralement". À peine retombées au coeur de l’été, les tensions resurgissent fin août, lorsque le gouvernement procède à une réduction des contrats aidés, "coûteux" et "inefficaces" selon la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Ce qui oblige de nombreuses collectivités dépendantes de ces contrats à s’organiser dans l’urgence pour assurer la transition. Cantines temporairement fermées, travaux non-réalisés pendant plusieurs jours… La grogne monte avant la rentrée. Les élus locaux se mobilisent alors pour préserver les quelque 310.000 contrats de l’année 2017, pour un coût évalué à 2,75 milliards d’euros pour les finances publiques. Certains vont même jusqu’à comparer la baisse de 150.000 emplois aidés à "200 Florange" : "Derrière les discours de modernisation et de rationalisation, le gouvernement s’apprête à procéder à un plan social de 150.000 emplois en quelques semaines", protestent plusieurs adjoints à la mairie PS de Paris dans une tribune au Monde, mardi.

Autant que le fond, il semble que la forme ait aussi déplu aux membres des collectivités. Pour Estelle Grelier, secrétaire d’État aux Collectivités territoriales de 2016 à 2017, "la baisse du nombre de contrats aidés et le non-dit sur les modalités précises autour de l’exonération de la taxe d’habitation ont donné le sentiment aux élus locaux qu’on ne les considère pas. (…) Les décisions sont prises plus unilatéralement que jamais", déplore-t-elle à La Gazette des communes, mardi.

Macron tente l’apaisement. Devant la colère des collectivités amputées de contrats aidés disponibles, Emmanuel Macron a invité les préfets à apaiser le risque politique. Il les a encouragés à adopter "un plan de mise en oeuvre de cette réforme des contrats aidés en veillant d'abord à ce que toutes les situations délicates soient traitées rapidement et efficacement, afin de favoriser la continuité des actions engagées", lors d’une intervention mardi 5 septembre.

Vote sanction aux sénatoriales ? À peine quatre mois après son élection, les relations sont donc très tendues entre Emmanuel Macron et les élus locaux, malgré cette récente tentative d’apaisement. Lesquels pourraient lui faire payer tous ces accrocs dans les urnes le 24 septembre, lors des élections sénatoriales, car ce sont les "grands électeurs" (députés, sénateurs, conseillers régionaux, départementaux et municipaux) qui votent pour renouveler la moitié de la chambre haute. "Nous ne nous attendons pas à un raz-de-marée" pour les sénatoriales, modérait fin août Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement.