L'état d'urgence français a "inspiré" plusieurs pays européens

En France, l'état d'urgence est en vigueur depuis plus d'un an (photo d'illustration).
En France, l'état d'urgence est en vigueur depuis plus d'un an (photo d'illustration). © MEHDI FEDOUACH / AFP
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Selon un rapport de l'ONG Amnesty International, plusieurs pays d'Europe ont adopté des politiques de "régression continue des droits" depuis les attentats de 2015, au nom de la lutte antiterroriste.

"L'état d'urgence sera décrété". Quelques heures après les attentats du 13-Novembre, François Hollande annonçait le recours à l'article 5 de la loi du 3 avril 1995, permettant notamment d'instaurer des couvre-feu, d'assigner des personnes à résidence et de procéder à des perquisitions, de jour comme de nuit. Prolongé à cinq reprises, dont la dernière le fait courir jusqu'au 15 juillet, ce régime d'exception est en vigueur depuis plus d'un an. Selon un rapport d'Amnesty International paru mardi, il a en outre inspiré plusieurs Etats européens, qui se sont dotés d'un arsenal de "lois d'exception", ou ont renforcé celles qui existaient.  

"Sauver des vies primera sur toute autre forme d'activité". Plusieurs cas sont recensés par l'ONG. "Certains Etats européens suivent la même voie et ont modifié leur Constitution ou adopté de nouvelles lois - ou envisagent de prendre de telles mesures - pour qu'il leur soit plus facile de déclarer officiellement l'état d'urgence suite à des menaces présumées à caractère terroriste", explique d'abord Amnesty. En clair, dans des pays où le régime d'exception existe déjà, leurs conditions d'application ont été assouplies depuis 2015.

C'est notamment le cas en Bulgarie, où un projet de loi antiterroriste, adopté en première lecture en juillet 2016 - à une immense majorité -, autorise le président à décréter l'état d'urgence à la suite d'un acte terroriste contre le territoire. Selon le texte,"sauver des vies et préserver la santé primera sur toute autre forme d'activité" en cas d'attaque sur le sol bulgare. Dans ce pays, où l'état d'urgence permet d'interdire tous les rassemblements, de limiter les déplacements et de renforcer les contrôles des personnes, Amnesty relève en outre une définition très large du terme de "terrorisme", qui inclut par exemple quiconque "pollue" ou "cause des dégâts matériels considérables".

Les attentats du 13-Novembre ont également eu de l'écho au Luxembourg. En novembre 2015,  le gouvernement a immédiatement réagi, demandant à la Commission nationale des institutions et de la révision constitutionnelle de rédiger un projet de modification des conditions de l'article qui régit les conditions de déclaration de l'état d'urgence. En attendant ce texte, toujours inachevé, un projet de loi sur la "menace terroriste" a été adopté en décembre 2016, notamment pour étendre les pouvoirs d'enquête de la police, via "le recueil de données privées". En cas d'"extrême urgence", cette loi permet de limiter à 30 minutes l'accès à un avocat pour certains détenus et de collecter des informations lors d'écoutes téléphoniques, sur des individus suspects ainsi que tous leurs correspondants.  

Des armes à feu pour "mettre fin aux troubles". Le cas luxembourgeois se situe à la frontière des deux phénomènes soulevés par le rapport. "D'autres Etats ont adopté des lois dans le cadre de procédures accélérées et se sont engagés, en réaction à des menaces pour leur sécurité, réelles ou présumées, dans des opérations correspondant en tout point au type de mesures qui ne se prennent que sous un état d'urgence officiellement déclaré", écrit l'ONG. Et de citer l'exemple de la Hongrie, qui, en juillet 2016, s'est doté d'un arsenal évoquant le régime d'exception mais n'en portant pas le nom. Un "sixième amendement" à la Constitution, basé sur une situation de "menace terroriste", permet depuis la suspension des lois et l'autorisation pour les militaires d'utiliser des armes à feu pour "mettre fin aux troubles". Les actifs des particuliers, des autres Etats et des organisations "jugées constituer une menace pour la paix internationale ou la sécurité nationale" peuvent être gelés.

Amnesty mentionne également la Pologne, où une loi de lutte contre le terrorisme, adoptée en procédure accélérée à l'été 2016, inscrit dans le droit des pouvoirs normalement réservés à l'état d'urgence. Elle prévoit notamment une surveillance "de masse et sans discernement", et un allongement de la durée autorisée de détention sans inculpation pour des citoyens "entrant en contact" avec une personne "dont on craint" qu'elle ne soit impliquée dans des activités terroristes. "Il semble que derrière cette loi, il y ait une intention délibérée de doter l’exécutif d’outils puissants pour lutter, par exemple, contre les personnes dont les opinions divergent des siennes", analyse, pour l'ONG, un "éminent magistrat polonais".

"L'Europe serait confrontée à un danger permanent". Ces larges éventails de mesures antiterroristes font craindre à Amnesty la mise en place progressive d'un régime d'exception durable, à l'échelle de l'Europe. "Dans de nombreux pays d'Europe, en particulier ceux dont l'histoire a peu été marquée par le terrorisme, des gouvernements radicaux de quelque bord politique que ce soit seront tentés d'imposer l'état d'urgence en réaction à la première attaque terroriste grave à laquelle ils seront confrontés", explique l'organisation. Citant l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), elle rappelle que les mesures exceptionnelles ne peuvent être mises en place qu'en "cas de guerre ou d'autre danger public menaçant la vie de la nation". "Mais l'idée selon laquelle l'Europe serait confrontée à un danger permanent commence à s'enraciner", déplore l'ONG.