Colombie : les verrous avec les Farc "ont été levés"

Cet accord "place les Colombiens en position d'ouvrir les portes d'une véritable démocratie", a renchéri quelques minutes plus tard le chef de la délégation des Farc, Ivan Marquez, en assurant de "l'optimisme" des Farc pour aller de l'avant dans les discussions.
Cet accord "place les Colombiens en position d'ouvrir les portes d'une véritable démocratie", a renchéri quelques minutes plus tard le chef de la délégation des Farc, Ivan Marquez, en assurant de "l'optimisme" des Farc pour aller de l'avant dans les discussions. © Reuters
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Charles Carrasco , modifié à
INTERVIEW E1 - Après l’accord sur l’intégration des Farc en politique, la paix se profile véritablement.  

L’INFO. Gouvernement et guérilla ont fait un nouveau pas important vers la paix. Près d'un an après avoir entamé leurs négociations à Cuba, Bogota et les Farc, d’inspiration marxiste-léniniste, ont franchi mercredi une nouvelle étape des négociations avec l'annonce d'un accord sur la participation des guérilleros à la vie politique. Ce point était le deuxième des cinq chapitres figurant à l'ordre du jour des pourparlers visant à mettre un terme à un conflit. Un premier accord sur le développement rural, au cœur du conflit, avait déjà été conclu en mai.

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>>> Pascal Drouhaud*, spécialiste des Farc, explique pourquoi cet accord, s’il va au bout, va considérablement modifier le paysage politique et social du pays. 

Cet accord prévoit l'intégration des Farc en politique. Pourquoi est-ce historique ?

C’est historique. Si l’on arrive à un accord global sur les cinq chapitres, cela va permettre d’envisager une paix définitive dans un pays qui connaît un conflit interne depuis les années 60. Les deux premiers verrous, le développement rural et l’intégration politique, viennent d’être levés. On peut désormais imaginer que le dialogue est véritablement lancé sur un point de non-retour. Le contexte est d’ailleurs favorable puisque dans les mois à venir, il va falloir élire le nouveau Congrès et un nouveau président. Juan Manuel Santos, l’actuel président, a besoin de ce dialogue de paix pour s’engager dans sa candidature.

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Comment expliquez-vous que les Farc aient accepté de faire ce pas ?

Il faut souligner que le rôle de Cuba, qui a participé à ces discussions et qui connaît bien les Farc, a été fondamental.  Le combat et la guerre interne dure depuis cinquante ans. Les chefs historiques de la guérilla ont été tués comme Manuel Marulanda et Raul Reyes. Il y a eu un renouvellement des cadres dirigeants depuis 2008. L’armée a porté des coups extrêmement violents. Le combat idéologique touche donc ses limites. Les Farc savent que leur prétention à diriger le pays par les armes est illusoire. Ils ont compris que cela va passer par le jeu politique.

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Dans la région, l’ex-président vénézuélien, Hugo Chavez, l’allié objectif, n’est plus là. Il y a donc eu un affaiblissement politique des Farc dans la région. Le pays est également en pleine transformation avec une croissance de 3 à 4% où les villes deviennent des mégalopoles, comme Bogota ou Medellin et des régions rurales qui restent à la traîne.

Une arrivée en politique, comment cela peut-il se concrétiser ?

La guérilla devra se transformer en parti politique. Comme ce fut le cas avec le Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) au Salvador. C’était une guérilla marxiste-léniniste, alliée d’Ortega au Nicaragua des Cubains et des Russes, et qui est aujourd’hui un parti politique majoritaire à l’Assemblée nationale. Le président est d’ailleurs un ex du FMLN. Les personnes au commandement des Farc sont des fins connaisseurs de la vie politique. Pour les guérilleros de base, il va falloir faire un accompagnement. Enfin, sur le plan institutionnel, cela va supposer la création d’une nouvelle Constitution.

Cela ouvre la voie également à une redéfinition du champ politique caractérisé par le bipartisme libéraux-conservateurs. L’arrivée ouvre un nouveau positionnement politique avec une ‘nouvelle’ gauche qui passe d’une logique révolutionnaire à un jeu politique démocratique.

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Quelles seront les autres conséquences ?

L’intégration politique suppose déjà le désarmement des Farc. Aujourd’hui, il n’est pas acquis. Il faudra déterminer le nouveau rôle d’une armée. On peut imaginer que l’armée intègre des anciens membres des Farc. Une paix durable oblige aussi à une redéfinition des structures. On peut imaginer la constitution d’une nouvelle police.  Par ailleurs, il y a la dimension du pardon. Il faudra sans doute envisager de pardonner les crimes de part et d’autres. C’est une véritable évolution des mentalités. La redéfinition totale d’un nouveau contrat social. 

 *Pascal Drouhaud, Farc, Confessions d'un guérillero, Choiseul, 2008.