À bord de l'Aquarius, deux jours d'angoisse et de confusion

aquarius 1280
Au moins quatre jours seront nécessaires pour rapatrier les naufragés de l'Aquarius vers l'Espagne. © AFP PHOTO / KARPOV / SOS MEDITERRANEE
  • Copié
avec AFP , modifié à
RÉCIT - Secourus dans la nuit de samedi à dimanche, 629 migrants sont depuis ballottés en Méditerranée, l'Italie refusant de les accueillir dans ses ports. Mardi soir, ils étaient en route vers l'Espagne.

Lorsque la nuit de samedi à dimanche s'achève, l'Aquarius navigue avec 629 personnes à son bord. En neuf heures, le bateau, seul navire humanitaire présent sur la zone, a procédé à six opérations de sauvetage ou de transbordement de migrants. Affrété par l'ONG française SOS Méditerranée, en partenariat avec Médecins sans frontières (MSF), il attend que les autorités italiennes lui confirment la localisation d'un "port sûr" vers lequel se diriger. L'opération n'est pas inhabituelle : en deux ans, "l'ambulance des mers" a recueilli près de 30.000 migrants au large de la Libye, les conduisant vers les pays dont dépendent les zones de sauvetage, chargées par le Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés de coordonner leur débarquement.

Capacité maximale dépassée. Parmi les migrants à bord, 280 ont d'abord été pris en charge par des garde-côtes italiens ou des navires marchands. Samedi après-midi, le Centre de coordination des secours maritimes italiens (IMRCC) a chargé l'Aquarius d'aller les récupérer à bord de ces embarcations. Sur la route, par mauvaise mer, le bateau a croisé deux canots en détresse, transportant environ 120 personnes chacun. De nuit, le sauvetage a été périlleux : l'une des barques s'est brisée et plusieurs dizaines de personnes sont tombées à l'eau. Un homme a dû être réanimé, mais tous les migrants sont sains et saufs. Ils sont pour la plupart déshydratés et épuisés. À bord, les médecins de MSF constatent que certains ont la peau brûlée par un mélange d'eau de mer et d'essence.

Avec un dernier groupe de personnes transbordés d'un bateau italien, l'Aquarius accueille plus de 600 personnes, soit 100 de plus que sa capacité maximale. Parmi eux figurent 123 mineurs non accompagnés et sept femmes enceintes. Vingt-six nationalités sont représentées à bord. Le jour s'est levé et le navire a repris sa route vers le nord, toujours en lien avec l'IMRCC, dont les consignes sont floues. Un autre bateau de secours, le Sea-Watch 3, est difficilement parvenu à accoster à Reggio de Calabre après avoir été retenu et contrôlé par les autorités italiennes pendant douze heures.

Pas de contrainte juridique. Dimanche soir, la nouvelle qui circule sur le bateau ne vient pas des autorités italiennes mais des médias : selon La Repubblica, le nouveau ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini, refuse d'accueillir les occupants de l'Aquarius. Il exige que les migrants débarquent… à Malte, située, comme la Sicile, à une cinquantaine de kilomètres de la position du bateau. La problématique est épineuse : selon un porte-parole maltais, les sauvetages ont eu lieu dans la zone de recherche libyenne et dépendent donc du centre de coordination des secours de Rome. Mais pour le nouveau gouvernement italien, l'île "ne peut pas continuer à regarder ailleurs lorsqu'il s'agit de respecter des conventions internationales précises sur la protection de la vie humaine". Dans les faits, les textes qui encadrent la prise en charge des migrants sauvés en Méditerranée sont aussi imprécis que juridiquement peu contraignants.  

" On ne va pas vous ramener en Libye. On va certainement vous trouver un port en Europe. "

Sur l'Aquarius, c'est le statu quo. "Il y a beaucoup de monde, dans une chaleur presque insupportable", témoigne la journaliste d'Euronews Annelise Borgès, qui se trouve à bord. "Ces gens sont fatigués. C'est un groupe extrêmement fragile, un groupe très vulnérable, qui a déjà traversé des difficultés pour en arriver là. (...) Il y a tout un travail des équipes à bord pour leur dire : 'on ne va pas vous ramener en Libye, on va certainement vous trouver un port en Europe, il va juste falloir attendre pour savoir'." Les employés de l'ONG font oeuvre de pédagogie, circulant avec une carte pour prouver aux passagers que la côte la plus proche n'est pas celle de leur pays d'origine.

Rations de nourriture et chapeaux. Si les deux pays campent sur leurs positions, chacun apporte son "aide" matérielle aux migrants en mer. Lundi, en fin d'après-midi, un navire de la marine maltaise livre 950 bouteilles d'eau, 800 snacks et 800 portions de nouilles. Tôt mardi matin, ce sont les autorités italiennes qui font parvenir aux naufragés des produits alimentaires et biens de première nécessité : oranges, petits pains, couvertures et chapeaux. Sur des vidéos partagées par les membres de SOS Méditerranée, on voit de longues files d'attentes, principalement composées de jeunes hommes, récupérant chacun leur tour un fruit et un sandwich. Les médecins de MSF veillent au grain, dans des conditions sanitaires tendues. En mars 2017, c'est à bord de l'Aquarius qu'était née Mercy, bébé nigérian qui a inspiré la chanson du duo français Madame Monsieur.

Après 36 heures de standby et alors que les dirigeants nationalistes corses viennent de proposer de recevoir le navire, les autorités italiennes dévoilent alors un nouveau plan : les migrants vont rejoindre Valence, en Espagne. Mais la côte est distante de près de 1.500 km et l'Aquarius ne peut transporter tous ses occupants en sécurité. Deux navires italiens vont donc accueillir une partie des naufragés, avant de faire la route autour de "l'ambulance des mers". L'opération, commencée mardi après-midi, devrait prendre au moins quatre jours, portant à une semaine le temps passé en mer par certains migrants, secourus 20 ou 30 heures après leur départ. Si la météo est favorable, les rescapés devraient poser le pied sur terre en fin de semaine. La directrice générale de SOS Méditerranée a d'ores et déjà annoncé que les sauvetages se poursuivraient, appelant les dirigeants à européens à discuter pour "trouver des solutions acceptables".