6:50
  • Copié

Chaque jour, Marion Lagardère scrute la presse papier et décrypte l'actualité.

Dans la presse ce matin, l’Etat et le droit en question.

Oui, les deux s’incarnant parfaitement dans le dossier Notre-Dame-Des-Landes. Pour le Figaro, le constat est sans appel : "l’autorité de l’Etat est en échec", "la ligne rouge a été franchie", s’indigne Laurence de Charrette dans son édito, parlant d’un "impuissantement, d’un empêchement de l’Etat" et visant explicitement le président : "à quoi bon plaider en faveur d’un monde qui bouge, ou encore braver Plenel et Bourdin, si c’est pour reculer devant quelques factions gauchistes ?" En page 2, photo cocasse de zadistes déguisés face aux gendarmes : "ayant reçu l’ordre de ne pas réagir, ils subissent les pitreries provocatrices des zadistes", note la légende de la photo. Et il faut avouer qu’on a du mal à suivre. D’un côté, la presse nous dit que ça ne bouge pas, que les gendarmes n’ont pas le droit d’agir, qu’ils sont condamnés à "l’immobilisme". De l’autre, on apprend qu’entre 4000 et 11 000 grenades lacrymogènes, assourdissantes et de désencerclement ont été tirées par les mêmes gendarmes en quelques jours.
Paradoxes et contradictions.
Une chose est sûre, "il faut sortir de l’impasse", c’est Daniel Cohn-Bendit, soutien d’Emmanuel Macron qui le dit sur le site d’information Reporterre, "il faut se donner du temps, il est possible de négocier !, dit-il, il faut que le gouvernement comprenne que sur la Zad, il y a des gens qui veulent expérimenter."

D’ailleurs quoi de plus disruptif finalement, de plus macron-compatible que le projet des zadistes ?

C’est le point de vue développé par Luc Peillon sur le site de Libération : "et si tout ça n’était qu’un grand malentendu ? Et si les zadistes n’étaient autres que les enfants illégitimes de Macron ? Ils prennent leur avenir en main, loin du soutien de l’Etat - de l’assistanat diront les libéraux. Ils veulent monter leur propre entreprise, innovent, travaillent sans compter leurs heures, avec une énergie qui ferait pâlir d’envie plus d’un start-upper. Bref, en reniant la Zad, écrit Luc Peillon, le président se renie lui-même."

Libération qui voit les zadistes en premiers de cordée anti-assistanat et l’Opinion, quotidien libéral, d’ordinaire chantre de la souplesse et pourfendeur de la profusion de normes et de lois, demande à l’inverse plus d’Etat. "Ils peuvent rêver de refaire mai 68, écrit Nicolas Beytout dans son édito, mais si l’on en juge par l’état d’esprit actuel des français, il y a de fortes chances pour qu’on passe directement à la case "défilé contre la chienlit sur les Champs-Elysées". Ça ressemble à un appel, si je ne m’abuse. Mais bon, quand on connait la suite, dissolution, référendum, départ de Gaulle, pas sûr que ce soit le scénario le plus apaisé.

Et puis, puisqu’on parle de terre et de droit, Télérama s’intéresse cette semaine au droit de propriété.

En développant l’idée suivante : "la propriété a ses limites". Interview de la juriste, Sarah Vanuxem, qui publie un livre intitulé "la propriété de la terre" et qui plaide pour qu’on adapte le droit à des temps plus écologiques". L’idée c’est de responsabiliser les propriétaires, d’inscrire dans la loi le fait que ce qu’on l’on fait sur sa propriété, son jardin, son champ, sa forêt, a une incidence sur la vie de tous. Ce qui parlera sans doute beaucoup aux zadistes et aux militants du Larzac, mais pas forcément à tout le monde.

Et puis, toujours dans la catégorie "relançons le débat", l’hebdomadaire Le 1 pose une autre question : "faut-il sauver le service public ?". Qu’est qui incarne plus l’Etat au quotidien que les services publics ? Toute la difficulté étant de bien définir ce qui relève du service public : l’hôpital, l’école ? Les transports ?
Où s’arrête l’Etat ? Où intervient-il ? La citation choisie par Le 1 résume assez bien le dossier : "si l’Etat est fort, il nous écrase, s’il est faible, nous périssons", c’est de Paul Valéry, publié en 1938, et ça n’a pas pris une ride.

Et puis, en Une de La Croix, on parle de droit bafoué et d’une toute autre lutte, celle des victimes de Bachar el-Assad en Syrie.

Long dossier sur la quête hors-norme des enquêteurs européens pour réunir des preuves des exactions commises par le régime dans les prisons syriennes. "Hors norme" parce que la CPI, la cour pénale internationale, n’a pas le droit d’enquêter en Syrie, c’est donc vers les justices européennes que ce sont tournés les victimes de la répression.

Les journalistes Marie Boëton et Marianne Meunier ont par exemple rencontré Shappal, 41 ans, aujourd’hui réfugié en Allemagne après avoir passé plus d’un an dans la prison de Saidnaya en 2013. Accuser de défendre la cause kurde, il raconte les tortures, la barbe arrachée à mains nues, les mains devenue deux boules de sang après des heures sous le fouet. A-t-il craint de mourir ? "J’en ai rêvé", répond-il à La Croix. Mais il a pu sortir et en novembre, il a décidé de porter plainte contre 7 hauts gradés syriens auprès de la justice allemande pour crime de guerre et crime contre l’humanité. Tout comme Mariam, 65 ans, dont le fils est mort sous la torture en 2012.
Elle vit aujourd’hui dans un centre pour réfugié à Berlin, et collecte des preuves, "pour la mémoire de mon fils, dit-elle, et puis pour témoigner de ce que j’ai vu là-bas."
"Mariam qui n’a pas toujours "vu", écrit le journal, ancienne adhérente du parti Baas, elle avait une autre idée du régime : "je savais pour la corruption, mais la torture, j’ignorais, dit-elle, c’est mon fils qui m’a ouvert les yeux". Une femme qui ne craint pas de donner son nom : "je n’ai pas peur, je sais que ce que je fais est juste, conclu-t-elle, au moins, nous aurons réunis les preuves et qui sait, Bachar sera peut-être jugé un jour".

Voilà, témoignage de ces chasseurs de preuve qui ont choisi l’arme du droit contre les crimes de guerre. C’est une longue enquête de sept pages à lire dans la Croix.

Enfin, au milieu de tout ça, a-t-on encore le droit de râler ?

Oui, force est de constater que la question fleurit dans vos journaux, où l’on vous conseille surtout de ne plus ronchonner. Le magazine Cosmopolitan l’affirme, "moins on se plaint, mieux on se porte : parole de psy, se plaindre sans arrêt peut littéralement vous tuer à petit feu." Ça c’est dans Cosmo, mais il y a aussi le très sérieux hebdomadaire Vraiment et son dossier "c’est décidé, j’arrête de râler", où l’on vous donne des pistes pour "cesser de chercher des coupables à tout". Parce que c’est un fait, la propension à voir tout en noir revient trop souvent en consultation, d’après une psychologue lyonnaise. Certains, pourtant s’en sortent. Témoignage d’une râleuse repentie, Oriane qui "transforme désormais tous ses soucis en opportunité : mon train en retard par exemple, je vois ça comme l’opportunité de lire un peu plus".

Si ça ne suffit pas, il y a aussi Pèlerin Magazine, interview de Jacques Lecomte, auteur du livre "le monde va beaucoup mieux que vous en le croyez" : "en France, dit-il, parler d’optimisme vous fait passer pour un naïf voire un  imbécile heureux. Il est de bon ton chez nous d’être pessimiste et les français broient du noir, bien plus que les Irakiens ou les Afghans qui vivent pourtant dans des pays en guerre." Et de suggérer, non pas l’optimisme, mais "l’optiréalisme", parce que le "meilleur moyen de répondre à la souffrance, ça n’est pas la colère, mais offrir des pistes d’espoir". Des usagers de la SNCF à ceux d’Air France, en passant par une poignée d’éditorialistes fâchés, ça devrait parler à pas mal de monde.