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Chaque jour, Marion Lagardère scrute la presse papier et décrypte l'actualité.

Dans la presse ce matin, condamnation unanime des " black block".

« Le 1er mai a été gâché par les casseurs », résume La Dépêche du Midi. « Détournement de défilé », titre également les Dernières Nouvelles d’Alsace,
« Hold up sur le 1er mai », pour la Provence, manifestation « confisquée », ajoute Midi Libre. « Le message des organisations de travailleurs a été balayé par la violence, déployée dès le début de la manifestation parisienne, écrit Eric Marty dans son édito, la journée se voulait une démonstration de force syndicale, c’est raté. »

« Les black block ont volé le 1er mai syndical », ajoute Hervé Favre dans la Voix du Nord. On déplore, on déplore, mais force est de constater que ce ne sont pas les photos des manifestants pacifiques qui font la Une, mais celle justement de ces black block, pourtant dénoncés d’édito en éditos pour avoir éclipsé les syndicats. Evidemment, c’est plus photogénique que les banderoles de la CGT.

Dans la presse, il y a donc ce coupable pointé par tous. Mais il y a aussi la question de savoir qui est coupable d’avoir laissé faire ?

« Polémique sur la stratégie policière », titre le Parisien dans lequel un militant CGT se demande « si l’objectif n’était pas de laisser la manifestation dégénérer »…
Même doute dans le Figaro : « cette flambée aurait-elle pu être évitée ? » demande le journal à Yves Lefebvre, patron du syndicat SGP Police FO, qui répond que non, parce que « même avec des forces de police « déployées en nombre conséquent, 1200 CRS, nous n’avons pas, dit-il, la capacité d’interpeller ces activistes en amont. »
Et oui pour arrêter quelqu’un, il faut un motif. Une seule solution, « légiférer d’urgence, dit-il, adapter le droit à ce type de danger. »

Yves Lefebvre qui répond également à la polémique sur l’intervention jugée tardive des policiers : « quand on charge immédiatement, explique-t-il, il y a un risque important pour les passants  et puis il ne faut pas oublier qu’il y a un an, un CRS était transformé en torche humaine. »
Effectivement, hier, rien de tout cela ne s’est produit : aucun blessé, aucun brûlé, personne tombé à la Seine, les policiers ont évité le pire, mais aucun journal ne le note.

Et puis, ce matin, il y a quand même quelques Unes avec des photos de manifestants pacifiques et souriants.

Oui, celle de la Charente Libre par exemple, de la République du Centre ou encore de Libération avec cette photo d’une jeune femme juchée sur les épaules d’un ami au milieu de la foule. Des Unes en noir et blanc, et pour cause : toutes célèbrent mai 1968. Sondage dans Libération : 7 français sur 10 jugent l’héritage de mai 68 positif.
43% des personnes interrogées y voit « des avancées sociales, politiques ou sociétales, 40% « une période où tout était possible », et 19% seulement « une période de chaos et de laxisme ».

Bref, mai 68, c’est positif pour 88% des personnes de gauche, 59% à droite et même 68% au FN… De quoi faire dire à Libération que « l’opinion se réjouit sans clivage ».
Pourtant, c’était aussi du brutal. Double page dans L’Est Républicain qui revient sur cet épisode « meurtrier à Sochaux, quand deux ouvriers de l’usine Peugeot ont trouvé la mort dans un affrontement avec les CRS venu disperser le piquet de grève, c’était le 11 juin 68. »
Et puis, témoignages aussi dans Notre Temps. Jean-Michel raconte « les chaises et tables balancés depuis les fenêtres sur le boulevard Saint-Michel à Paris, les grilles des arbres arrachées, ou encore ces militants armés, cachés dans les facs. »

Georges, pompier envoyé rue Gay Lussac pour éteindre les voitures en feu, se souvient « des charges de la police, des brutes qui tabassaient les jeunes. » D’autres évoquent les pénuries, « les rayons qui se vident, l’impossibilité de trouver du lait pour les enfants, raconte Jacqueline, pas d’école, pas de transport, et l’impression d’être en pleine guerre civile » « C’était un peu notre mai 1936 à nous, les jeunes !, explique Claude. On rêvait de bonheur, conclue Suzanne, pour moi c’était l’espoir, et être heureux tout simplement. » Voilà, témoignages d’anciens jeunes et photos d’émeutiers sans capuches, à retrouver dans le dernier numéro de Notre Temps.

Au-delà des manifestations qui dégénèrent et des « black block », plusieurs journaux pointent d’autres dangers;

Oui, Presse Océan par exemple pour qui l’ennemi en Une a six pattes et deux antennes, en l’occurrence, « le frelon asiatique : la traque contre ce fléau s’intensifie », nous dit le journal. Dans Sud-Ouest et la République des Pyrénées, le prédateur est un peu plus gros : c’est l’ours que Nicolas Hulot veut réintroduire et qui fait « gronder les éleveurs » Enfin, une belle photo toute poétique en Une du gratuit 20 Minutes, celle d’une perruche verte prenant le soleil sur un cerisier en fleur. C’est mignon, mais il se trouve que c’est « une espèce invasive », nous dit le journal.

« Du parc des Buttes-Chaumont jusqu’au bois de Vincennes, ces curieux volatiles au plumage vert vif se multiplient. La population de perruches à collier s’envole en Ile-de-France. D’une cinquantaine dans les années 70, leur nombre a été multiplié par 100 en 40 ans. »
Une véritable menace pour la biodiversité d’après la Ligue de protection des oiseaux : « ces perruches squattent les nids des autres et volent leur nourriture. »
Invasif donc, mais à en croire l’article de 20 Minutes « adoré des passants ». Comme Martine et sa petite fille de 6 ans qui n’y voient « qu’un bel oiseau, exotique et amusant. » Effectivement, c’est toujours plus divertissant que les rats et les pigeons.

Enfin, cette question en Une de l’hebdomadaire Le 1 : « a-t-on encore le droit de rêver ? »

Oui, le rêve ou plutôt l’utopie… « De toutes ses définitions, écrit Eric Fottorino dans son édito, on pourrait retenir celle de l’horizon à jamais inaccessible, qui se refuse quand o croit l’approcher mais vers lequel il faut tendre sans cesse si on veut avancer. L’utopie est-elle l’irréalisable ou seulement l’irréalisé ? »

« Notre problème, répond l’historien Rutger Bregman en page intérieure, notre problème, c’est que nous ne savons pas où aller à l’avenir, nous n’avons aujourd’hui plus d’utopie pour nous porter… Beaucoup d’intellectuels jugent d’ailleurs qu’une pensée utopiste est dangereuse… Celles du passé, du fascisme au communisme, ont menées aux pires atrocités du 20ème siècle, mais il existe une autre forme d’utopie, dit-il, plus modeste, plus expérimentale, plus démocratique. »
Effectivement, encore faut-il définir le monde que l’on veut.

On trouve plusieurs pistes de réflexions dans cette édition du 1, qui fête son 200ème numéro et dont le projet « utopique », il y a quatre ans, était de proposer « un journal indépendant, rappelle la Une, sans publicité ni actionnaire tout-puissant, placé sous cette citation de la philosophe Hannah Arendt : « penser l’évènement pour ne pas succomber à l’actualité. » Un rêve réalisé donc, et disponible ce mercredi en kiosque pour ceux d’entre vous qui se demandent eux aussi « a-t-on encore le droit de rêver ? »