Les chers paradis fiscaux des banques françaises

© DAMIEN MEYER / AFP
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FINANCE - Un collectif d’associations s’est penché sur l’activité internationale des cinq plus grosses banques françaises.

Les paradis fiscaux restent une destination privilégiée des établissements bancaires français. Si le constat n’est pas nouveau, il est devenu de plus en plus précis grâce l’adoption en 2013 d’une loi bancaire : depuis, les banques sont tenues de préciser leurs activités pays par pays. En épluchant cette documentation, un collectif d’associations et d’ONG a montré mercredi que ces zones grises de la finance continuent d’occuper une place disproportionnée dans leurs activités.

Un sixième des effectifs mais un tiers des bénéfices. Le Luxembourg, la Belgique, Hong-Kong, Singapour, l’Irlande, les Pays-Bas, Monaco ou encore Jersey : d’une taille souvent très modeste, ces Etats sont pourtant au cœur de l’activité des banques françaises. En tout cas de celles étudiées par ce rapport, en l’occurrence la Société Générale, BNP Paribas, le Crédit Mutuel – CIC, le Crédit agricole et le groupe Banque Populaire – Caisse d’Epargne. Ainsi, alors que ces banques n’y comptent qu’un sixième de leurs employés, elles y réalisent un quart de leurs activités internationales et un tiers de leurs bénéfices.

Dans le détail, "BNP Paribas et la Société Générale sont les banques qui ont, en valeur absolue, les bénéfices les plus importants logés" dans ces juridictions  avec respectivement 2,4 milliards et 1,3 milliard, souligne ce rapport. Le Crédit Mutuel-CIC a de son côté "la plus importante part relative de bénéfices internationaux déclarée dans les paradis fiscaux (44 %)", est-il ajouté. De façon générale, les chiffres témoignent surtout "de la déconnexion entre les bénéfices déclarés dans les paradis fiscaux et l'activité réelle des banques", souligne le document.

Des anomalies statistiques à tous les étages. Pour prendre le problème sous un autre angle, les auteurs du rapport se sont amusés à calculer la productivité par employé selon le pays où il travaille. Un employé de ces banques génère en moyenne 43.000 euros de bénéfices par an en France et 45.000 euros par an dans un Etat ayant une fiscalité et un Etat de droit normaux. Mais le compteur explose lorsqu’on regarde ce que rapportent les salariés installés dans des paradis fiscaux : 146.000 euros annuels à Monaco, 233.000 euros annuels au Luxembourg et 685.000 euros annuels en Irlande.

En résumé, un employé installé dans un paradis fiscal est sur le papier 2,6 fois plus rentables qu’en France, alors que ces Etats sont bien plus petits et moins peuplés. L’ombre de l'optimisation fiscale plane donc sur ces Etats plus lucratifs alors qu’il y a beaucoup moins d’affaires à y réaliser.

Sans oublier certaines anomalies qui intriguent : "certaines filiales fonctionnent même sans le moindre salarié. En effet dans 34 cas, les banques indiquent avoir des filiales dans les territoires offshore mais aucun effectif. Dans cinq pays, (Bermudes, Chypre, îles Caïmans, île de Man, Malte), toutes les banques françaises implantées n’ont aucun(e) employé(e). La palme des coquilles vides revient aux Iles Caïmans : les cinq banques françaises y possèdent en tout 16 filiales, mais aucune n’y déclare de salarié", souligne le document.

"Urgent d’adopter des réformes fiscales ambitieuses". Des bénéfices très faibles dans des pays de forte activité et de l’argent qui coule à flot dans les paradis fiscaux : "au final, l’étude de ces informations conforte notre hypothèse de départ : derrière la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux peuvent se cacher des systèmes de contournement de l’impôt et de certaines réglementations", concluent les auteurs de ce rapport.

Pour le Secours catholique, Oxfam, CCFD-Terre Solidaire, Fair Finance et la plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires, la conclusion est logique : "il est urgent d’adopter des réformes fiscales ambitieuses si l’on veut un jour mettre fin à l’ère des paradis fiscaux". Et notamment en commençant par obliger les grandes entreprises à elles aussi déclarer leurs activités pays par pays, afin de vérifier si elles paient leur juste part dans les Etats où elles sont installées.