Les jeux vidéo ont-ils tous les droits ?

En plein essor, les simulations de guerre commencent à irriter la Croix rouge, qui y voit une banalisation de la violence sans aucun respect du droit de la guerre.
En plein essor, les simulations de guerre commencent à irriter la Croix rouge, qui y voit une banalisation de la violence sans aucun respect du droit de la guerre. © ACTIVISION
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avec Mathieu Charrier , modifié à
La Croix-Rouge ne veut plus de jeux bafouant la convention de Genève.

Le jeu vidéo, espace virtuel où tout est possible, va-t-il devoir se conformer aux règles de la vie réelle ? C’est en tout cas le souhait du comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a demandé aux éditeurs de jeux vidéo d’intégrer le droit de la guerre, et notamment la convention de Genève, dans leurs créations. Côté joueurs et geeks, on n’apprécie pas du tout ce projet.

Des jeux accusés de violer le droit humanitaire

Lors de sa 31e conférence, qui s’est tenue du 28 novembre au 1er décembre, le CICR s’est ému du succès de plusieurs simulations guerrières, les sagas Call of Duty et Battlefield en tête. Ces jeux vidéo poussent le réalisme très loin, trop loin aux yeux du CICR.

Pour la Croix-Rouge, les 600 millions de joueurs réguliers violent le droit humanitaire "en toute impunité". Le jeu Call of Duty MW2, sorti en 2009, avait ainsi suscité la polémique en mettant en scène une prise d’otages dans un aéroport au cours de laquelle il était possible de tuer des civils. L'organisation demande donc aux éditeurs d’écarter certaines séquences et de revoir leurs règles du jeu pour ne pas banaliser les crimes de guerre, même virtuels.

Des joueurs attachés à leur "défouloir"

Avachis dans leur canapé et manettes en main, François et Simon sont des aficionados des FPS, pour First Person Shooter (simulation de guerre en vue subjective).  Tous les soirs, ces trentenaires se retrouvent devant un vidéo projecteur pour mener leur guerre virtuelle. "Quand vous touchez un adversaire, vous ne le tuez pas forcément tout de suite : vous le blessez et parfois il traîne pendant quelques mètres et vous pouvez l’achever. C’est assez cruel ", reconnaissent les deux "gamers".

François et Simon ne souhaitent pas pour autant que leur jeu préféré soit aseptisé. "C’est un défouloir. On est là pour penser à autre chose après une longue journée de boulot. On n’est pas là pour respecter convenablement le code de la route dans un jeu de voiture ou pour respecter les conventions de Genève dans un jeu de guerre", se justifient-ils.

Une conciliation plutôt qu’une interdiction

Que François et Simon se rassurent, leur jeu préféré n’est pas prêt d’être banni des rayons des magasins. Si le CICR a menacé de poursuivre en justice les plus gros éditeurs de jeu, il a dû y renoncer face à la passion de millions de "gamers", mais aussi et surtout en raison des immenses enjeux financiers. "On peut imaginer que le lobby du jeu vidéo a fait pression pour montrer qu’il ne fallait peut-être pas tomber dans un faux débat : le jeu est toujours un espace de mise en scène de ses pulsions agressives ", décrypte le psychologue Michael Stora, spécialiste du monde virtuel.

Une interdiction pure et simple serait d’ailleurs, aux yeux de Michael Stora, totalement contre-productive. "Plus on diabolise les jeux vidéo, plus cela arrange l’adolescent, qui a besoin de lieux de transgression", ajoute-t-il. Point d’interdiction en vue donc, mais déjà certaines retouches : les jeux vidéo sont de plus en plus nombreux à prévoir des pénalités, voire un échec de la mission, si le joueur tue des civils.