Le monde de la BD est-il machiste ?

Spirou à l'exposition qui lui a été consacré au Musée de la BD d'Angoulême.
Spirou à l'exposition qui lui a été consacré au Musée de la BD d'Angoulême. © Céline Levain
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La bande dessinée ne serait-elle réalisée que par des hommes pour des hommes ? Europe1.fr a mené l’enquête, auprès d’auteurs et éditeurs. 

On connaît désormais les noms des dessinateurs sélectionnés pour le Grand Prix de la BD d’Angoulême. A la clé, la suprême récompense mettra à l’honneur un auteur de bande dessinée pour l'ensemble de son œuvre. En 2013, c’est Willem qui avait remporté le Grand Prix. A l’occasion de cette 41e édition, 25 auteurs sont en lice pour lui succéder, dont … une seule femme : la Franco-Iranienne Marjane Satrapi, l’auteur du célèbre Persepolis. On ne compte que 15% de femmes dans la sélection officielle du Festival d’Angoulême (5 sur 35).  

 >>> Europe1.fr se pose la question : le milieu de la BD est-il confisqué par des hommes ? 

La BD est masculine, c’est historique. "Le 9e Art est très longtemps resté fermé avec un petit nombre de maisons d'édition (Dargaud, Dupuis, Casterman, etc) dirigées exclusivement par des hommes" résume Serge Ewenczyk, créateur des Editions çà et là, une maison d’édition de bandes dessinées spécialisée dans la BD étrangère. Chantale Montellier, scénariste et dessinatrice de Odile et les crocodiles et de l’Insoumise, en a fait les frais au début des années 1970. "J’ai commencé par faire du dessin de presse politique, ce qui était unique. J’ai essuyé les plâtres", dit-t-elle, dans un milieu qu’elle décrit comme "extrêmement machiste et sexiste. "

La cooptation, qui règne dans un monde majoritairement occupé par des hommes, explique aussi que la BD ait tendance à rester entre des mains masculines. "Les dessinateurs sont eux-mêmes formatés par des sujets dits masculins" souligne Catel, l’auteur des célèbres Kiki de Montparnasse et d’Olympe de Gouges, ça explique la difficulté des dessinatrices à imposer des projets, ou des sujets, et cela depuis longtemps." Aujourd’hui, un peu plus de 12% des auteurs de BD sont des femmes, d'après une étude menée par l'ACBD, l'association des journalistes et critiques de bande dessinée.

BD

Le milieu, trusté par la BD de genre. La grande majorité des bandes dessinées ont longtemps été "de genre". Dans les catégories de la BD de polar, de celle de science fiction, ou encore dans la BD d’aventure, les hommes ont depuis longtemps le monopole. "De fait, les femmes ont assez peu de modèles, explique la dessinatrice Catel, aussi bien au niveau des héroïnes qu’au niveau des auteurs d’ailleurs". Et même dans les BD populaires, type Spirou ou Tintin, c’est surtout un public masculin qui est visé. Un exemple frappant, Astérix : "les femmes sont absentes du premier album. Il faut attendre Le Devin en 1972 pour qu’elles aient le droit de goûter à la potion magique, et Le Cadeau de César en 1974 pour qu’elles prennent place au banquet final", selon l’étude de Marie-Christine Lipani Vaissade, auteur de La révolte des personnages féminins de la bande dessinée francophone.

A la fin des années 60, en France, la plupart des femmes étaient encore cantonnées à la bande-dessinée pour enfants ou les livres de jeunesse. Faire autre chose ne passait pas.  Selon l’éditeur Serge Ewenczyk, "il a fallu l’arrivée d’une nouvelle génération d'auteurs femmes, au début des années 70, comme Claire Bretécher, ou Chantale Montellier, pour que les choses évoluent. Ces femmes s'adressent à un lectorat adulte, et ont pu trouver un espace d'expression dans la presse, notamment Pilote, puis dans les magazines pour adultes L'Echo des savanes, Fluide Glacial etc. "

Séance de dédicace avec la dessinatrice Claire Bretécher.

© PHOTOPQR/SUD OUEST

Séance de dédicace avec la dessinatrice Claire Brétécher. 

Depuis 2000, tout a bougé. C'est surtout au moment de la création d'une multitude d'éditeurs indépendants, à l’image de l'Association (éditeur, notamment, de Marjane Satrapi) dans les années 1990 que la profession d’auteur de bande dessinée se féminise enfin. "Ces éditeurs ont ouvert le champ éditorial au roman graphique, à la BD témoignage, la BD documentaire et de nombreux autres genres et étaient beaucoup plus ouvert à l'expérimentation que les éditeurs de bande dessinée franco-belge de l'époque" explique Serge Ewenczyk. "Depuis, de nombreux auteurs femmes sont arrivées sur la scène de la bande dessinée et connaissent un vrai succès, certaines étant publiées à la fois chez des petits éditeurs et par des grosses structures (Lisa Mandel, Marion Montaigne, Catherine Meurisse, Camille Jourdy, Chloé Cruchaudet etc.) Et avec l'arrivée des blogs, de la bd "girly" et le succès phénoménal de quelques auteurs femmes (Pénélope Bagieu, Margaux Motin...) les gros éditeurs sont désormais à  l'affût... "

"Ça ne fait que commencer pour les femmes." Forte de son expérience désenchantée dans le milieu, Chantale Montellier a co-créé le Prix Artemisia, qui récompense chaque année début janvier un livre de bande dessinée réalisé par une ou plusieurs femmes. "On arrive à extraire du panier une dizaine d’albums chaque année, explique-t-elle. Il y a de très bonnes choses parmi les productions féminines." Parmi les très bons crus du Prix Artemisia, il y a Catel justement. La dessinatrice est la gagnante cette année, pour sa biographie en dessin, ou "bio-graphique" comme elle l’appelle, Ainsi soit Benoîte Groult, aux éditions Grasset. Celle qui se décrit comme une exception, tant son parcours a été fluide, en est certaine : "Aujourd’hui, ça ne fait que commencer pour les femmes."

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