Droits TV : la révolution depuis un bar ?

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avec AFP , modifié à
FOOT - La justice européenne vient de donner raison à la patronne très obstinée d'un bar anglais.

Quelle est l'origine de l'affaire ? En 2004, Karen Murphy rachète "The Red White & Blue", un pub à Portsmouth. Afin de faire des économies sur la retransmission du championnat anglais de football, elle décide d'arrêter son abonnement à BSkyB et d'opter pour le bouquet grec, Nova, qui retransmet également les matches. Avec Nova, "je payais 800 livres (soit 930 euros par an pour un abonnement) contre 700 livres par mois pour Sky", explique-t-elle. Sur une année, l'économie s'élève donc à 7.600 livres, soit 8.800 euros, pas vraiment une bagatelle. Se sentant lésée, l'English Premier League (EPL), qui détient les droits de diffusion de la compétition au Royaume-Uni, obtient la condamnation de Karen devant un tribunal anglais. Mais six ans après, la cour de justice européenne vient de rendre un jugement contraire, qui va dans le sens de la patronne de bar.

Karen Murphy, à Portsmouth (930x620)

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Que dit le jugement ? La cour a rejeté les arguments de l'EPL, jugeant les "accords d'exclusivité territoriale" pour les droits de retransmission contraires au droit de l'UE. En résumé : les matches de Premier League ne sont pas des "œuvres" à protéger et vont pouvoir être diffusés en Angleterre sur d'autres chaînes étrangères. Pour autant, le jugement indique que la diffusion dans un pub du logo ou de la musique de l'EPL pendant les matches requérait l'autorisation de cette dernière. Quid des incrustations avec le score et le symbole de la Premier League ? L'avis rendu n'entre pas dans les détails et c'est peut-être pour cette raison que l'EPL a évoqué un jugement "complexe" et qu'elle allait "prendre son temps pour digérer et comprendre toutes les implications". Pour l'EPL, il ne semble pas encore tout à fait trop tard pour trouver une faille juridique qui pourrait à nouveau redistribuer les cartes...

Quelles sont les suites juridiques ? L'affaire n'est pas encore totalement terminée. En effet, c'est la Haute Cour britannique qui va avoir le dernier mot. "Mais nous avons fait 90% du chemin", s'est pourtant réjouie Karen Murphy. En effet, c'est la Haute Cour qui avait sollicité la justice européenne dans ce dossier et, selon toute vraisemblance, elle devrait entériner le jugement prononcé mardi.

Quelles sont les conséquences possibles ? Pour BSkyB, il pourrait s'agir d'un coup dur. Alors que les places dans les stades sont de plus en plus chères, les bars représentent un marché important. Selon TVSportsMarkets, lettre d'information spécialisée dans le sport télévisé, l'opérateur britannique gagne ainsi 350 millions de livres (415 millions d'euros) par an grâce aux pubs et autres clubs, dont "au moins la moitié" provient des matches de la Premier League. Pour l'EPL, cette décision remet en cause sa stratégie de vendre les droits pays par pays, ce qui lui permet de multiplier les gains. Son dernier contrat triennal lui a ainsi rapporté 3,5 milliards de livres, soit 4,1 milliards d'euros, dont 1,4 en provenance de l'étranger (1,6 milliard d'euros). Mais il est parfaitement envisageable que l'EPL gonfle à l'avenir son prix de vente en prenant en compte cette possibilité d'extension de diffusion à toute l'Europe.

Et ailleurs ? Cette affaire pourrait, devrait même, avoir des conséquences par-delà la Manche. "Si ça se confirme, ce sera un bouleversement dans le paysage audiovisuel du football", a ainsi convenu Jean-Pierre Louvel, président du Havre AC et membre du comité de pilotage sur l'appel d'offres pour les droits télévisés de la Ligue 1. Canal+, qui détient cette saison les droits de la Ligue 1, pourrait faire face à une concurrence étrangère dans l'Hexagone mais pourrait également commercialiser ses images de football dans toute l'Europe. Une sorte d'arrêt Bosman des décodeurs, garantissant la libre circulation des images de foot à travers l'Europe, voilà à quoi pourrait s'apparenter, in fine, la décision rendue mardi par la cour européenne de justice.