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Stéphane Bern
Suzanne Lenglen, icône du tennis féminin français des années 1920, a donné son nom au deuxième plus grand court de Roland-Garros. Au lendemain du coup d'envoi du tournoi dimanche, Stéphane Bern dresse son portrait lundi dans "Historiquement vôtre" sur Europe 1.

Suzanne Lenglen, championne iconique du tennis féminin, a donné son nom au deuxième plus grand court de Roland-Garros. Alors que le coup d'envoi du tournoi a été donné dimanche, Stéphane Bern dresse dans Historiquement vôtre sur Europe 1 le portrait de cette joueuse exceptionnelle, qui a marqué l'histoire du tennis. Véritable icône au lendemain de la Première Guerre mondiale et jusqu'à la fin de sa carrière en 1933, Suzanne Lenglen a fasciné le public du monde entier.

"On la surnommait "La divine". Et à voir Suzanne Lenglen jouer au tennis sur une vidéo tournée en 1924 par la firme Pathé, c’est bien le mot qui vient à l’esprit. Sur ces images, elle joue au tennis comme d’autres danseraient sur les planches de l’opéra, multipliant les sauts de ballerine, le geste ample, gracieux, léger. Ces images montrent d’ailleurs plus la championne de tennis que l’icône mondaine. Sur les courts, la Française gardait certes la grâce d’une danseuse. Mais elle était avant tout une joueuse à la puissance hors norme, aux variations de jeu brutales, à la technique agressive et à la précision extraordinaire. Un jeu aux antipodes de celui des joueuses de l’époque, qui a fait d’elle une championne de renommée mondiale, la première véritable star du tennis féminin au palmarès exceptionnel. 

Un talent hors du commun

Entre 1919 et 1926, année de son passage chez les professionnelles, Suzanne Lenglen n’a perdu qu’un seul match en simple, en 1921. Malade lors des Internationaux des Etats-Unis, elle préféra jeter l’éponge contre l’Américaine Molla Mallory. Dans l’intervalle de ces sept années, elle s’imposa donc six fois à Wimbledon, six fois aux Internationaux de France et fut sacrée championne olympique à Anvers en 1920, décrochant l’or en simple, double dames et double mixte.

Pour elle, tout commence avant la Première Guerre mondiale. Suzanne Lenglen est née à Paris en 1899 et passe son enfance en Picardie, dans la belle propriété familiale, à Marest-sur-Matz. Elle joue au golf, fait de l’équitation, de la natation, de la danse, de la gymnastique, mais c’est au tennis, version moderne du Jeu de Paume arrivée en France à la fin des années 1870 et vite devenue très populaire, qu’elle montre un talent hors du commun.

Le père de Suzanne, Charles Lenglen, sportif assidu, a très vite remarqué le goût et le talent de sa fille pour ce sport de raquette, qu’elle pratique sur le court en terre battue du domaine. Lui qui a perdu prématurément un fils, Philippe, ne vit que pour elle, dit-on. Il veut en faire une enfant prodige et lui fait suivre un entraînement rigoureux, qui va vite montrer des résultats impressionnants. 

Engouement médiatique

Quelques mois plus tard, voilà Suzanne déjà inscrite à son premier tournoi à Chantilly, en 1911. Elle n’a alors que 12 ans mais l'adolescente est déjà une concurrente redoutable et le prouve en parvenant jusqu’en finale. Après cette première compétition, tout s'enchaîne : une victoire aux championnats de Picardie, une finale contre la championne Marguerite Broquedis aux championnats de France, ancêtres de Roland Garros, puis une victoire sur terre battue à la coupe du monde en 1914. C’est un exploit, la première fois qu’une femme si jeune – elle a 15 ans seulement – remporte un tel trophée.

La Première Guerre mondiale met fin à cette ascension pendant un temps. Mais dès 1919, Suzanne Lenglen, qui n’a pas cessé son entraînement pendant les années de conflit – et notamment avec des partenaires masculins – fait son grand retour à Wimbledon. A l’époque, les Anglais règnent en maîtres incontestés du tennis, qu’ils ont inventé. Mais cette année-là, à tout juste 20 ans, la jeune française va tout bousculer. À l’issue d’une finale d’anthologie contre la tenante du titre, l’anglaise Lambert Chambers, et devant le roi George V et son épouse, Suzanne Lenglen remporte le tournoi de Wimbledon.

C’est le début de la gloire. Outre-Manche, tout le monde se l’arrache. La foule se presse pour espérer l’apercevoir et réclamer un autographe, la presse anglaise la suit. C’est la première fois qu’une sportive fait l’objet d’un tel engouement médiatique.

Dans l’Hexagone, cet emballement mettra plus longtemps à s’amorcer. Il faut attendre ses victoires aux tout premiers Internationaux de France de 1925 à Roland Garros - en simple, et 2 fois en double-dames - pour qu’elle atteigne ce même statut d’icône qu’au Royaume-Uni. Suzanne Lenglen est alors à l’apogée de son art, domine les courts et révolutionne le tennis féminin. 

Couleurs vives et bras nus

En plus d’être une virtuose de la raquette, elle est également très habile dans l’art de soigner son image. Elle s’affranchit non seulement des codes sportifs de sa discipline, mais aussi des codes vestimentaires. Sur les courts, elle ose les couleurs vives, dévoile ses chevilles et ses bras nus.

"La joueuse française vaut à elle seule le dérangement, comme on dit familièrement. Tous les jours, elle change de toilette de ville, qu’elle porte à ravir, et naturellement aussi de costume de sport", peut-on lire dans la presse quelque peu misogyne de l’époque. Suzanne Lenglen est l’archétype de la femme nouvelle, sportive et coquette à la fois, audacieuse et avant-gardiste.

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Suzanne Lenglen pose, raquette à la main, à la fin des années 1920. © AFP

Le tournoi de Cannes, en février 1926, est le point culminant de sa carrière. Le "match du siècle" l'oppose à l’autre grande championne du moment, l’américaine Helen Willis. Ce fut le dernier véritable succès de Suzanne Lenglen, qui semble alors vivre de plus en plus mal sa notoriété. Elle consulte de plus en plus souvent des médecins, prend des médicaments pour dormir. 

Lors du tournoi de Wimbledon des 1926, Suzanne Lenglen s’attire les foudres du public et des organisateurs en refusant de se présenter à l’un de ses matches à cause d’un rendez-vous médical qui l’a mise en retard. Cet abandon de dernière minute est d’autant plus mal vécu que la Reine Mary est présente dans les gradins, devant un court qui restera désespérément vide. La championne, elle, est en pleine crise de nerfs dans les vestiaires.

La même année, après avoir finalement gagné ce match joué deux jours plus tard, devant un public froid, sans Reine et sans aucun applaudissement, Suzanne Lenglen met un terme à sa carrière amateur. En effet en France, le tennis ne deviendra professionnel que 40 ans plus tard. Elle devient la vedette de ce qui est la première tournée de tennis professionnelle à travers les Etats-Unis, organisée par un promoteur. Une première pour une femme mais une dernière pour la star, qui voit sa carrière péricliter jusqu’à sa retraite définitive en 1933.

Suzanne Lenglen meurt en 1938, à l’âge de 39 ans, des suites d’une leucémie fulgurante. Son nom reste à jamais associée à Roland Garros qui, en 1997, a baptisé son deuxième court pour lui rendre hommage. Juste retour des choses pour celle qui fut la première à remporter le tournoi."