"Une médicalisation de la performance"

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Le Dr de Mondenard, spécialiste du dopage, souligne les dérives de la "médicalisation".

Football et dopage : le dernier ouvrage de Jean-Pierre de Mondenard, médecin spécialiste de la question, met les pieds dans le plat. Il s'en explique au micro d'Europe1.fr.

Le dopage organisé fait-il partie de la culture du football ? C'est la médicalisation de la performance qui est généralisée. Pour parler de dopage, il faudrait des contrôles positifs et que les substances consommées dans ce but figurent sur la liste des produits prohibés. Or, toutes les substances boostant le rendement athlétique ne sont pas référencées dans la nomenclature des interdictions de l’Agence mondiale antidopage. Mais à partir du moment où les contrôles sont négatifs, on peut jouer là-dessus pour dire qu'il n'y a pas de dopage. Or, il y a énormément de produits indécelables et de produits qu'on ne cherche pas. Et combien de médicaments pris pour "améliorer la performance"… Dans l'histoire du football, il y a plusieurs exemples de médicalisation collective, à commencer par l'équipe d'Allemagne championne du monde en 1954, qui marchait au Pervitin, une méthamphétamine. Quelques années plus tard, Gerardo Ottani, un ancien joueur devenu médecin, a révélé que 27% des footballeurs évoluant en Serie A en 1958 consommaient des amphétamines, que 62% prenaient des stimulants du cœur et de la respiration et que 68% absorbaient des stéroïdes anabolisants. En 1958, il y avait un match par semaine, deux entraînements hebdomadaires. Et aujourd'hui, alors que les joueurs sont à deux entraînements par jour et deux matches par semaine, ils seraient à l'eau de source ?

Pourquoi y a-t-il alors aussi peu de cas de dopage avéré dans le football ? Est-ce que vous connaissez un jury d'assises où c'est la famille qui juge le prévenu ? Est-ce que vous connaissez un PDG qui est délégué syndical ? Non, et bien, dans le football, ça se passe comme ça. Ce sont les fédérations qui doivent se tirer une balle dans le pied. Et donc elles tirent systématiquement à côté. Pour une fédération, légiférer ou sanctionner en matière de dopage, ce n'est pas possible. Elles ne devraient concentrer leur action que sur la prévention et laisser la répression à un organisme indépendant du milieu du football. Il faudrait conduire des contrôles inopinés, mener des enquêtes et effectuer des saisies. Cela doit se faire en mobilisant les forces de polices et les douanes. Actuellement, on ne se donne pas tous les moyens et certains produits considérés comme dopants ne sont même pas listés. Donc on ne trouve pas. Et Jiri Dvorak, le médecin chef de la FIFA, a beau jeu d'insister sur le fait que le monde du football doit dépenser en moyenne 2,5 millions d'euros pour trouver un seul tricheur. Ca coûte beaucoup d'argent et il y a si peu de cas, donc pourquoi insister et continuer sur ce mode de fonctionnement voué à l’échec..

Les enjeux financiers énormes sont-ils un frein à la lutte antidopage ? Ce sont les enjeux humains et personnels qui prédominent. Dans la hiérarchisation des éléments qui interviennent dans le dopage, c'est la compétition l'élément majeur, la compétition avec soi-même et contre les autres. C'est pourquoi le dopage est quasi inhérent à la compétition. Le deuxième élément qui entre en jeu, c'est la médiatisation. Le but, c'est d'être reconnu, aimé, applaudi, admiré, encensé. Bien loin derrière, apparaît l'argent. Dans d'autres sports où il n'y a pas d'argent, comme l'haltérophilie ou le cyclisme amateur, il y a du dopage. Mais il est vrai que la FIFA, qui "vend" le football comme opium du peuple, n'a aucun intérêt à ce qu'un scandale de grande ampleur éclate.

Est-ce qu'il vous arrive de vous dire, en la voyant jouer, que telle équipe est dopée ? Je ne regarde que les matches des grandes équipes et comme elles sont à peu près au même niveau... Mais ça fait longtemps que j'ai sorti cette idée de ma réflexion. Je regarde ça comme un spectacle, le Barça, le Real Madrid, c'est plaisant de voir la vitesse avec laquelle ils se passent la balle. C'est comme regarder un spectacle de cirque avec des acrobates… Il y a une fois où je me suis dit "les enfoirés, qu'est-ce qu'ils se sont mis !", c'est lors du Tour de France 2007, plus précisément le 22 juillet lorsque Michael Rasmussen et Alberto Contador enchaînaient les sprints dans l’ascension du Plateau de Beille, dans des pentes impossibles (15,9 km pour une pente moyenne de 7,8%). Mais mes illusions, je les ai perdues depuis longtemps..."