Thuram, l'origine d'une conscience

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Europe1.fr analyse comment l’ex-international est devenu une voix incontournable de l’anti-racisme.

Pour les fans de foot, Lilian Thuram, c’est un doublé historique. Le 8 juillet 1998, il sauve les Bleus contre la Croatie et envoie son pays en finale de la Coupe du monde. Ça, c’était sa première vie, celle de footballeur. Mais depuis sa retraite sportive, le taulier de la défense tricolore s’est reconverti en porte-voix des luttes antiracistes. Après avoir lancé sa propre fondation, il a été nommé commissaire général de l’exposition "L’invention du sauvage", qui débute mardi au Quai Branly, à Paris. Mais comment est-il devenu l'une des voix symboliques de cette lutte ?  

"On m’appelait la noiraude à l’école"

L'une des clés pour mieux comprendre son engagement se trouve certainement dans son enfance. Le racisme, lui aussi en a été victime, même s’il n’aime pas trop le mettre en avant. "Je suis devenu noir à l’âge de 9 ans parce que avant j’habitais aux Antilles. Et fait incroyable, on m’a appelé la noiraude à l’école", confiait-il lundi matin au micro d’Europe 1. Cette référence à la "noiraude", il essaiera bien des années plus tard de lui tordre le cou, en s'adressant directement aux enfants via "La fondation Lilian Thuram, Education contre le racisme". Son discours, on peut le retrouver aussi inscrit dans les principes fondateurs de son asociation : "on ne naît pas raciste, on le devient". 

Thuram

Mais comment ce combat est-il devenu un leitmotiv pour un footballeur champion du monde ? Travailleur, il est vite repéré et faits ses débuts en Ligue 1 à l’âge de 19 ans. Entraîné par le professeur Arsène Wenger, il progresse très rapidement. La suite, on la connaît, un transfert à Parme, l’équipe de France et la Coupe du monde 1998. Mais pendant toutes ces années, Lilian Thuram n’a pas fait que taper dans un ballon. Stéphane Meunier, réalisateur du document Les yeux dans les Bleus, l’a suivi pendant le Mondial. "A cette époque, il avait parfaitement conscience d’avoir une belle vie de footballeur mais ça ne l’empêchait pas de se poser des questions pour se situer en tant qu’individu". A l’époque, Thuram n’a que 26 ans. "C’était déjà un jeune homme curieux et concerné", se souvient encore Stéphane Meunier pour Europe1.fr. 

Aimé Césaire, RFO Guadeloupe et France-Algérie

Le directeur de la rédaction d'Infosport, Laurent Jaoui, a bien connu Lilian Thuram, qui avait accepté de préfacer son livre Noirs en Bleu, le football est-il raciste ? "Il s’est beaucoup renseigné. En lisant des auteurs emblématiques comme Aimé Césaire et Edouard Glissant alors qu’il était encore joueur, Lilian Thuram a renforcé sa prise de conscience", raconte Laurent Jaoui, joint par Europe1.fr. Celui-ci glisse aussi qu’il n’a jamais vu une "bibliothèque de footballeur aussi remplie". Il aime lire et écrire. L'année dernière, il a décidé de publier un essai intitulé Mes étoiles noires. On est bien loin du stéréotype qu’on peut avoir du footballeur, casque vissé sur la tête, qui passe des heures à jouer à la console de jeux. 

En 2001, un événement marquera aussi profondément Lilian Thuram. La France reçoit l’Algérie au Stade de France dans un match placé sous le signe de la fraternité. La rencontre tourne au cauchemar. Après une Marseillaise copieusement sifflée, des dizaines de supporters algériens envahissent la pelouse. L’arbitre est contraint d’arrêter le match après 75 minutes de jeu. Sur un extrait du documentaire Les yeux dans les Bleus 2, on aperçoit le défenseur des Bleus extrêmement énervé par l’attitude des jeunes spectateurs. "Cet événement l’a vraiment marqué", confirme Laurent Jaoui. 

Lilian Thuram s'emporte après France-Algérie : 

Des paroles aux actes. Alors que Lilian Thuram était encore joueur au FC Barcelone, en 2007,  "il a financé une émission sur l’émergence des cultures noires sur la chaîne RFO Guadeloupe. Il a dépensé près de 300.000 euros pour produire l’émission", raconte encore Laurent Jaoui. 

Le clash avec les anciens de France 98

Sur la fin de sa carrière, tout s’accélère. En novembre 2005, lors de la crise des banlieues, il prend positions contre le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, et son fameux "karcher". "Avant de parler d'insécurité, il faut peut-être parler de justice sociale", avait déclaré Lilian Thuram. Suite logique en 2007 où "Tutu" décide de s’engager dans la campagne présidentielle aux côtés de Ségolène Royal. On le voit apparaître de plus en plus souvent à la télé pour défendre telle ou telle cause. Comme on tend un micro à Jamel Debbouze pour avoir une voix du cinéma sur des sujets polémiques, on demande toujours son avis à Thuram. Une omniprésence qui commence à agacer ses anciens partenaires de France 98. Cette année, la cassure se cristallise avec l’affaire des quotas. Thuram, choqué, n’hésite pas à parler de "scandale".

Cette sortie est celle de trop pour Christophe Dugarry. L’ancien attaquant des Bleus tacle Thuram : "un soir de 12 juillet 98, lors de la finale de la Coupe du Monde, on est dans les vestiaires. On a la coupe, on est en train de faire des photos entre nous. Moi j'ai souvenir de faire une photo avec Vincent Candela, avec Bixente Lizarazu, avec Zizou, ceux dont est un peu plus proche, on a envie d'avoir un souvenir commun avec la coupe au milieu. Et là j'entends Lilian Thuram, et je ne suis pas le seul, Franck Leboeuf aussi, dire "Allez les blacks on fait une photo tous ensemble". Avec cette anecdote, Christophe Dugarry sous-entend que Thuram n’est pas forcément la personne la plus légitime pour parler de lutte contre le racisme. 

"Thuram est moins légitime pour parler du Clasico"

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Une polémique inutile aux yeux de Laurent Jaoui. "Je comprends que Lilian Thuram puisse en agacer certains mais il est aujourd’hui plus légitime pour être commissaire d’une exposition au Quai Branly que pour commenter le Clasico entre l’OM et le PSG, c’est un fait". Une position que partage d’ailleurs le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, joint par Europe1.fr : "il s’est documenté sur le sujet et la lutte contre le racisme ne doit, en aucun cas, être confisquée par quiconque". 

C'est d'ailleurs pour présenter l'exposition Exhibitions au Quai Branly qu'il était l'invité de Jean-Pierre Elkabbach. Un ancien footeux plutôt intello reconverti dans la lutte contre le racisme, l’image est forcément idyllique. "Certains se servent certainement de lui comme une caution", avance Laurent Jaoui. "Mais il n’est pas dupe, il le sait très bien". Quand l’intervieweur d'Europe 1 lui demande s'il décidera de s'engager en 2012, Lilian Thuram répond, très laconique : "non". Comme ça, c'est clair.