Mathis: "Pas besoin de la téléréalité"

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Anthony Lefort, à Paris , modifié à
C'est au Waou Club Med Gym Auteuil que nous avons rencontré Anne-Sophie Mathis, jeudi matin. La quadruple championne du monde y prenait un cours de Jump Fit avec les filles de l'équipe de France. Après avoir sué quelques gouttes, celle que l'on qualifie de meilleure boxeuse de la planète nous a accordé un long entretien dans lequel elle n'élude aucune question. La preuve...

C'est au Waou Club Med Gym Auteuil que nous avons rencontré Anne-Sophie Mathis, jeudi matin. La quadruple championne du monde y prenait un cours de Jump Fit avec les filles de l'équipe de France. Après avoir sué quelques gouttes, celle que l'on qualifie de meilleure boxeuse de la planète nous a accordé un long entretien dans lequel elle n'élude aucune question. La preuve... Anne-Sophie, êtes-vous redescendue de votre petit nuage depuis le 2 décembre dernier et votre victoire sur Holly Holm à Albuquerque ? J'ai été championne du monde en 2006 et je n'ai jamais perdu, donc j'ai toujours renouvelé ces titres. J'ai l'habitude. Maintenant, il est certain que ce combat-là a marqué l'histoire, puisque je gagne par KO (à la septième reprise). Mais je ne suis pas surprise, je savais que j'étais capable de gagner. La seule différence, c'est que je ne pensais pas gagner de cette manière. J'aurais pu gagner par KO, mais encore différemment. Là, c'était vraiment un KO exceptionnel. Manque de bol, à cause de l'arbitre: il n'a pas joué son rôle, il aurait dû l'arrêter avant. La plupart des Américains sont terrifiés par ce KO. Ça donne une mauvaise image de la boxe, malheureusement... Quand vous fermez les yeux, quelles images vous reviennent ? On était que deux à y aller: mon entraîneur (René Cordier) et moi. Sur place, il y avait quatre Français-Américains que l'on a connus par le biais d'un ami qui nous a logés. On se sentait seuls. Ce qui m'a marqué, c'est ce silence absolu quand j'ai mis Holly Holm KO. On aurait pu entendre les mouches voler. Tout le monde était debout. On se demandait ce qu'il se passait, si elle allait bien, parce qu'elle avait complètement les yeux retournés. C'était presque un film d'horreur pour eux. Il y a eu de l'inquiétude. Réalisez-vous ce que vous avez accompli ? On parle du plus grand exploit de la boxe féminine française... Pour tout le monde, c'est un exploit. J'ai toujours procédé de cette manière, sauf que là, je l'ai fait contre la number one et la plus médiatisée aux États-Unis. Oui, c'est un exploit médiatiquement, mais pas "pugilistiquement". En tous cas, c'est encore un combat qui restera dans l'histoire, puisque face à Myriam Lamare, c'était déjà un gros coup. Mais là, j'ai doublé la mise et j'espère que, médiatiquement, on sera mieux suivi. C'est un sport très, très dur et il faut arrêter d'avoir des clichés. J'ai commencé à l'âge de 14-15 ans, j'en ai aujourd'hui 34 et je ne suis pas du tout esquintée, je n'ai pas de blessure, je suis très féminine, toute simple. On me croise dans la rue, on ne me reconnaît même pas, donc il n'y a pas spécialement de problème dans le milieu de la boxe à haut niveau. À la rigueur, j'ai moins de blessures que lorsque je faisais de l'athlétisme ou du hand. Pour ce combat, vous aviez mis toutes les chances de votre côté en vous rendant sur place deux semaines à l'avance... En fait, on était à 1 800 mètres d'altitude, donc si on ne se prépare pas avant, on perd. J'ai ressenti sur place un manque d'oxygène. Au bout de deux semaines, ça allait beaucoup mieux. Sur le ring, je me suis sentie vraiment bien. Elle a démarré sur les chapeaux de roues, fatiguée au quatrième. Moi, quand je suis bien dans mes baskets, c'est là où j'accélère et, honnêtement, je n'étais pratiquement pas fatiguée, car super bien entraînée. Un tel combat doit demander énormément de sacrifices, non ? Ça demande beaucoup de sacrifices, oui, parce que je m'entraîne matin et soir. Là, je me suis entraînée tous les jours pendant deux mois. Le 1er octobre, j'ai eu un championnat du monde (contre l'Américaine Cindy Serrano) en Lorraine, chez moi à domicile, donc j'ai continué directement, je ne me suis pas arrêtée pour, justement, garder l'intensité. Et on est parti deux semaines avant au Nouveau-Mexique pour carrément être au-dessus de ce que j'étais capable de faire. "S'il faut rencontrer Myriam, ce ne sera que d'un point de vue financier" On dit que vous êtes la meilleure boxeuse du monde. Êtes-vous rassasiée ? Je ne le suis pas, parce qu'il reste encore une boxeuse intéressante et importante: l'Allemande d'origine norvégienne Cecilia Braekhus, que je n'ai jamais rencontrée. Cette fille-là est très médiatisée en Allemagne, elle est championne du monde dans quatre fédérations (WBA, WBC, WBO et WPBF), c'est celle qui est numéro deux. Les autres, je les ai déjà combattues. Maintenant, ce sera place à ce grand combat. J'espère qu'on arrivera à négocier pour mars. C'est en route. Il n'y aura plus de combat face à Myriam Lamare ? Ce n'est pas qu'il n'y aura plus de combat. Myriam Lamare parle de revanche alors qu'il n'y a pas lieu. J'ai fait deux combats contre elle: l'un que je gagne par KO (en 2006, au POPB), l'autre aux points (en 2007, à Marseille). Je gagne deux fois, donc j'estime que j'ai fait ce qu'il fallait face à elle. Maintenant, j'ai envie de boxer des filles que je n'ai pas rencontrées et de donner une autre dimension à mon palmarès. S'il faut rencontrer Myriam, ce ne sera que d'un point de vue financier, elle est très médiatique. Je fais ce que j'ai à faire et, après, on verra. Je lui laisse la balle dans son camp. Êtes-vous jalouse du fait qu'elle soit plus médiatisée que vous ? Elle fait très bien son job, elle arrive à se médiatiser, à se mettre en avant. Ce qui m'ennuie, c'est qu'il faut passer dans une téléréalité pour être reconnue en tant que championne du monde. J'estime qu'avec le palmarès que j'ai, je n'ai pas à faire une téléréalité pour qu'on me connaisse. Je suis quand même onze fois championne du monde ! Il n'y a pas de suivi derrière, c'est dommage. Maintenant, s'il faut passer par là, je peux être capable de le faire ! Mais je suis mère de famille avec une enfant à charge que j'élève seule, donc c'est sûr que c'est plus difficile pour moi. "Il n'y a pas que les journalistes qui sont misogynes" Pourquoi, selon vous, la boxe féminine a-t-elle autant de mal à se faire une place ? Ce n'est pas évident. Il n'y a pas que les journalistes qui sont misogynes, il y en a aussi dans le monde de la boxe qui ont du mal à mettre en avant la boxe féminine. Moi, je suis reconnue par les plus grands, Myriam Lamare aussi, mais c'est vrai que les filles qui sont derrière ne sont pas reconnues à leur juste valeur. Il faut laisser une place à la boxe féminine - on fait trop la différence avec celle qui est masculine - changer les mentalités. Pour ça, il faut aussi, avant tout, que les filles viennent nous supporter, parce que ce sont quand même des hommes qui s'intéressent à nous. Et c'est avec des hommes que vous vous entraînez... À l'entraînement, je ne boxe que des hommes. Il y a une seule fille, mais elle n'est pas de mon niveau, donc je mets les gants quand même avec pour acquérir de la technique parce qu'elle est un peu plus petite. Mais, après, je suis obligée de mettre les gants avec des hommes. Il y a une grosse différence d'un point de vue physique, musculaire. Suivez-vous l'équipe de France, qui participera pour la première fois aux Jeux Olympiques cet été ? J'ai toujours suivi leurs parcours. J'en connais quelques-unes: Lucie Bertaud, Sarah Ourahmoune, qui a fait les championnats d'Europe il n'y a pas très longtemps. Les deux autres (Estelle Mossely et Lydia Boussadia), je les connais plus de vue, mais je n'en sais pas plus. En tous les cas, j'ai toujours un oeil, parce que ça fait partie aussi de la médiatisation de la boxe féminine, c'est important. Elles ont une boxe super intéressante mais qui n'est pas équivalente à la mienne, puisque l'amateurisme reste sur trois ou quatre rounds, c'est très intense. Alors que moi, je suis beaucoup plus posée. C'est sur dix rounds, donc il faut y aller progressivement. "Avec un homme à nos côtés, on est sûr de perdre !" Personnellement, comment avez-vous découvert la boxe ? C'est grâce à Greg Tony, qui est aussi en boxe anglaise et qui était champion de France. Il faisait du pieds-poings à l'époque, je l'accompagnais dans la salle et l'entraîneur m'a dit: "viens essayer plutôt que regarder !" Au début, ce n'était pas spécialement un sport qui me donnait envie. Pourquoi ? Parce qu'il y a des règles et j'avais un tempérament assez impulsif, une agressivité. Donc j'ai essayé, mais contre un sac. Là, il m'a laissé me défouler et j'ai ressenti un bien-être, j'ai extériorisé pas mal de problèmes internes grâce à ça. Après, j'ai eu envie de continuer. Avez-vous des modèles ? Je ne suis pas sur quelqu'un de bien précis. Laila Ali (la fille de Mohamed Ali) m'a donné envie, elle m'a beaucoup apporté. Lucia Rijker, qui est très connue, également. C'étaient vraiment des filles qui boxaient avec le punch. J'ai eu aussi Valérie Henin, qui est de Lorraine et qui était championne du monde plusieurs fois de pieds-poings. Chez les messieurs, Mike Tyson ! Je suis beaucoup sur les poids-lourds, parce que ça frappe. En parlant de poids-lourds, Jean-Marc Mormeck vous a fait de l'ombre... Malheureusement... Il est très médiatique, c'est un homme. Forcément, les médias étaient plus sur lui. Ils auraient pu me suivre, mais c'est tombé dans les mêmes dates. Il fait le 3 (mars), je fais le 2. Mais on essaye de reporter justement pour éviter que ça tombe dans le même mois. Avec un homme à nos côtés, on est sûr de perdre !