Le sport en Corée du Nord, ça représente quoi ?

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L'équipe de Corée du Nord, ici lors d'une rencontre à Tokyo en décembre 2017, est classée au-delà de la 120ème place mondiale. © TOSHIFUMI KITAMURA / AFP
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C'est officiel depuis mardi : la Corée du Nord emmènera une délégation aux Jeux d'hiver qui auront lieu le mois prochain chez son voisin du Sud.
ON DÉCRYPTE

À l'issue d'un exceptionnel face-à-face en zone démilitarisée, mardi, entre le ministre sud-coréen de l'Unification Cho Myoung-Gyon et le responsable de la délégation nord-coréenne Ri Son-Gwon, il a été convenu que la Corée du Nord disposerait d'une délégation lors des prochains Jeux olympiques d'hiver, qui auront lieu en Corée du Sud, à Pyeongchang, du 9 au 25 février prochains.

Séoul s'est dit prêt à lever certaines sanctions, concernant notamment l'accès à son territoire, pour faciliter cette visite et la reprise du dialogue. Plus que jamais, Pyongyang, sous le feu des critiques ces derniers mois en raison de la multiplication d'essais balistiques et nucléaires, utilise le sport pour calmer le jeu diplomatique. L'occasion de s'interroger sur ce que représente le sport dans ce pays, fermé sur lui-même, mais donc largement ouvert aux symboles…

Le sport, vitrine pour le pouvoir et ciment social. "Le sport et sa pratique sont extrêmement soutenus par le régime. Il fait partie intégrante de tous les curriculum vitae", souligne au micro d'Europe 1 Juliette Morillot, co-auteure de La Corée du Nord en 100 questions (Édition Tallandier). "En Corée du Nord, on sélectionne toujours extrêmement tôt les élèves qui sont doués." Le modèle chinois n'est pas loin. Symbole d'excellence, le sport sert aussi de ciment social. "Dans la plupart des usines que j'ai pu visiter en Corée du Nord, beaucoup ont un terrain de foot commun pour les ouvriers", relève la spécialiste. Les Nord-Coréens pratiquent, et regardent aussi. "Vous avez une chaîne de télévision, Cheyuk, qui est dédiée aux sports en Corée du Nord."

Quand la coupe est pleine… Lors du Mondial 2010, le match de la Corée du Nord face au Portugal avait été diffusé par la télévision d'État. Une exception, aucun programme étranger n'ayant logiquement droit de cité. Mais alors que la sélection locale était menée 4-0, la retransmission avait été brutalement interrompue. Le Portugal s'était finalement imposé 7-0…

Le patinage, pourvoyeur d'athlètes et… de médailles. L'épreuve de couple de patinage artistique risque d'être l'un des grands moments des prochains JO. C'est en effet dans cette seule discipline que l'on pourra voir des athlètes nord-coréens. Car quand Pyongyang annonce l'envoi d'une délégation, c'est avant tout une délégation d'officiels et de supporters et supportrices. Ils ne sont que deux athlètes à s'être qualifiés pour les JO, le couple Ryom Tae-ok et Kim Ju-sik, sixièmes en septembre dernier de l'épreuve de qualification olympique en Allemagne. Malgré son profil montagneux, la Corée du Nord n'a en effet pas beaucoup enfanté de champions du cirque blanc. "Ils ont construit une grande station de sports d'hiver, Masikryong, avec toutes les infrastructures qu'il faut", précise au micro d'Europe 1 Juliette Morillot, co-auteure de La Corée du Nord en 100 questions (Édition Tallandier). "Mais comme ce fut le cas dans l'ancienne Union soviétique, le patinage est valorisé, le ski beaucoup moins."

Regardez le programme long du couple nord-coréen qualifié pour les JO :

En 2010, lors de la dernière participation nord-coréenne aux JO d'hiver, à Vancouver, au Canada, ce sont déjà deux patineurs, l'un artistique, l'autre de vitesse, qui avaient porté les couleurs du pays. Le patinage a aussi apporté les deux seules médailles de l'histoire de la Corée du Nord aux JO d'hiver : Han Phil-hwa a été médaillée d'argent en patinage de vitesse aux JO d'Innsbruck 1964 et Hwang Yong-ski l'a été en bronze en short-track à Albertville, en 1992. Le couple Tae-ok/Ju-sik peut-il espérer être le premier en or ? Ce sera difficile car ils ne se sont classés que 15èmes des Mondiaux 2017.

Lutte, Boxe, haltérophilie, tennis de table… Une double influence. Si la Corée du Nord n'a remporté que deux médailles aux JO d'hiver, sa moisson est bien plus importante aux JO d'été, avec 54 médailles en tout, dont 16 titres olympiques. À l'instar du patinage, les performances en haltérophilie ou en lutte renvoient à l'influence soviétique, alors que le goût pour le judo ou le tennis de table est plus franchement asiatique. Les meilleurs JO de l'histoire de la Corée du Nord ? À Barcelone, en 1992. Après deux boycotts consécutifs, en 1984, à Los Angeles, et à Séoul, en 1988, le pays avait décroché neuf breloques, dont quatre en or. Depuis, la Corée du Nord est régulière avec entre cinq et sept médailles dans ses bagages retour. À Rio, elle avait particulièrement brillé en haltérophilie, avec quatre médailles. L'haltérophilie, un sport d'hommes forts qui sied assez bien à l'image que veut renvoyer le pays.

Le taekwondo, sport coréen. Dans le communiqué publié par les deux pays mercredi, on peut lire : "La partie nord-coréenne va envoyer une délégation du Comité olympique national, des athlètes, des pom-pom girls, un groupe d'artistes, une équipe de démonstration de taekwondo et un service de presse."

Deux choses interpellent : l'envoi de pom-pom girls, en fait des supportrices, mais aussi la référence au taekwondo, qui, on vous l'assure, n'est pas devenu un sport d'hiver. Mais le taekwondo est un sport éminemment symbolique en Corée. Il aurait été créé (les versions divergent) par un général sud-coréen né à Pyongyang, Choe Hong-hui, afin d'exalter la patriotisme coréen après l'occupation japonaise au début du 20ème siècle. Créateur de la Fédération internationale de taekwondo en 1955, Choe est ensuite venu en Corée du Nord dans les années 1960 pour y favoriser l'essor de ce sport. Séoul n'avait pas apprécié et avait alors créé une fédération internationale concurrente, la WTF, aux règles différentes, moins axées sur la self-défense. Aujourd'hui, le taekwondo redevient une passerelle entre les deux Corées.

Le football, là aussi un sport majeur… surtout chez les filles. Le sport universel par excellence, le football, est aussi en Corée du Nord un sport majeur, largement pratiqué par les jeunes. En 2010, la sélection nationale s'était invitée au Mondial en Afrique du Sud et, avant de sombrer face au Portugal (0-7), elle avait très bien résisté au Brésil, seulement vainqueur 2-1 lors de la phase de groupes. Depuis, les Chollimas, comme on les surnomme, ont un peu perdu de leur vitalité, échouant à se qualifier pour la Coupe d'Asie 2019 et retombant en 126ème rang au classement Fifa. Mais c'est surtout chez les femmes que la Corée du Nord brille. L'équipe féminine est en effet 11ème du classement mondial, devant l'Espagne ou l'Italie ! Et la relève semble assurée puisqu'en décembre 2016, les moins de 20 ans sud-coréennes avaient battu leurs homologues françaises en finale du Mondial de leur catégorie d'âge…

Les héros de 1966. Une histoire sportive ne serait pas une histoire sans ses héros. Et si la France a sa génération 1998, la Corée du Nord a elle sa génération 1966. Lors de cette Coupe du monde organisée en Angleterre, la Corée du Nord a réussi l'exploit de devenir la première équipe asiatique à se qualifier pour les quarts de finale de la compétition au prix d'un authentique exploit : une victoire 1-0 sur l'Italie lors de la phase de groupes. En quarts de finale (il n'y avait pas à cette époque de huitièmes de finale), la Corée du Nord avait même mené… 3-0 face au Portugal avant de subir la loi d'Eusebio et ses partenaires, finalement vainqueurs 5-3. Mais la légende de Pak Seung-zin et consorts étaient en marche. En 2002, la BBC a produit un documentaire sur l'aventure nord-coréenne au Mondial 1966 intitulé Le Match de leurs vies.

Le basket, la passion de Kim Jong-un, ami de Rodman. Ces dernières années, quand on parlait de sport et de Corée du Nord, un visage revenait souvent : Dennis Rodman, quintuple champion NBA. Début 2013, l'ancienne star des Detroit Pistons et des Chicago Bulls s'était rendue à Pyongyang avec des membres des Harlem Globetrotters, célèbre équipe qui allie basket et spectacle. À défaut d'avoir rapproché les États-Unis de la Corée du Nord, Rodman s'est au lié d'amitié avec le leader Kim Jong-un.

"C'est un passionné de basket, et Dennis Rodman était une idole pour lui. Cela remonte à son éducation en Suisse", rappelle Juliette Morillot. "Kim Jong-un a voulu voir son idole en arrivant au pouvoir. Je pense qu'il y a une véritable amitié qui s'est créée entre eux deux. Même si Dennis Rodman était débriefé par les services américains à son retour…" Clin d'œil amusant, "The worm" (le ver de terre, le surnom de Rodman quand il officiait au rebond sous les paniers) a apporté son soutien à Donald Trump lors de la dernière élection présidentielle américaine. L'ami de mon ennemi n'est donc pas forcément mon ennemi…

Le marathon de Pyongyang, la vitrine. Vous aussi lecteur, vous êtes peut-être tombé un jour sur un article : "J'ai fait le marathon de Pyongyang". Et pour cause, l'épreuve, disputée au mois d'avril, est ouverte aux athlètes étrangers depuis 2000 et aux amateurs depuis 2014. "Le marathon, c'est un coup de com' pour les occidentaux", insiste Juliette Morillot. Depuis 2014, toutes les éditions ont été remportées par des Nord-Coréens, chez les hommes comme chez les femmes. Ce qui n'était pas forcément le cas avant…