Chabal: "Plus qu'une claque"

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Propos recueillis par LAURENT DUYCK , modifié à
Il a pris son temps avant de sortir des vestiaires. Il est minuit passé quand Sébastien Chabal, le seul joueur français à avoir surnagé lors du naufrage contre l'Australie (16-59), se présente face à la presse. Marqué mais disponible, le charismatique n°8 du XV de France tente de mettre des mots là où ses coéquipiers n'ont pas su, ou pas voulu, en mettre. Un discours cru et lucide. Celui d'un leader d'une équipe à la dérive.

Il a pris son temps avant de sortir des vestiaires. Il est minuit passé quand Sébastien Chabal, le seul joueur français à avoir surnagé lors du naufrage contre l'Australie (16-59), se présente face à la presse. Marqué mais disponible, le charismatique n°8 du XV de France tente de mettre des mots là où ses coéquipiers n'ont pas su, ou pas voulu, en mettre. Un discours cru et lucide. Celui d'un leader d'une équipe à la dérive. Quel est votre sentiment à la sortie de ce match ? L'incompréhension. Vraiment, je ne ressens rien d'autre que de l'incompréhension. Ces 30 dernières minutes, ce n'est pas vraiment explicable à chaud... même si le match est terminé depuis un moment (Chabal s'est présenté en zone mixte un peu après minuit, ndlr). Je ne sais pas si je dois m'écrouler ou non, vraiment je ne comprends pas. On s'est bien entraîné, il me semblait que l'on montait en puissance depuis le début du rassemblement. Avez-vous lâché mentalement après les deux essais encaissés autour de la 50e minute ? Oui. On sait qu'ils ont l'habitude de très bien commencer la première comme la seconde période. On a peut-être pensé les tenir au début de la seconde mi-temps parce que j'ai l'impression qu'on fait cinq ou dix minutes intéressantes à ce moment-là. Et là, ils nous marquent ces deux essais en trois minutes et on se désunit totalement, on arrête de monter en défense et contre une équipe avec tellement d'automatismes et de qualités derrière, ça fait ce que ça a donné ce soir. Avez-vous deviné à la mi-temps ce qui allait se passer ? Non. Franchement à la mi-temps, on est rentré confiants au vestiaire. Même si, c'est vrai, ils nous ont imposé de grosses séquences de jeu, on était bien en place, on les a pris chez eux, on les a fait reculer en fin de première période. Je pensais vraiment que ce match allait se jouer sur pas grand-chose. La tête a lâché et le corps a suivi derrière. On n'a plus eu aucun ballon et on leur a couru après, enfin surtout derrière plutôt qu'après... Les Australiens ont déroulé et plus rien n'allait pour nous. "On peut en tirer beaucoup d'enseignements" Avez-vous aussi sombré physiquement ? Je ne sais pas... Jusqu'à ma sortie, il me semble qu'on est encore bien parce qu'il n'y a pas eu trop de combat et que c'est souvent dans le combat qu'on perd des plumes. Bien sûr, ils nous ont amené à gauche, à droite, au milieu, devant, derrière, partout sur le terrain. Mais on était là. Après, les 20 dernières minutes sont horribles. On ne touche plus un ballon, on leur court après. Physiquement, ça a dû être chaud. Mais on ne peut pas se cacher derrière cette excuse car on était prêts pour jouer des matches de ce niveau. Est-ce une grosse claque ? C'est plus qu'une claque. Des claques, j'en ai pris plus d'une dans ma carrière. Là, c'est une grosse branlée. Et il n'y en a aucune qui ressemble à celle-là. Mais, comme toujours, il va falloir regarder devant, se dire les choses parce qu'on a beaucoup de choses à se dire. C'est une vraie défaite collective. On pourrait parler de démission mais je vais m'arrêter à défaite collective. Il va falloir se dire les choses, voir où on veut aller collectivement et comment on veut y aller. Cette remise en question touche-t-elle tout le monde, les joueurs et le staff ? Tout le monde. On est un groupe, c'est notre force, et on est tous sur le même bateau, que ce soit le staff et les joueurs. Tous, il va falloir qu'on s'asseye autour d'une table et qu'on se pose les bonnes questions et qu'on trouve les bonnes solutions pour contrer ces équipes qui jouent bien au ballon, qui sont capables de relancer depuis leur en-but. C'est plus qu'un accident de parcours. Ça va remettre des choses en question, peut-être le jeu qu'on veut développer, peut-être la manière pour y arriver. Il faut revoir les images parce que je pense qu'on peut en tirer beaucoup d'enseignements. Il faut qu'on travaille, qu'on travaille, qu'on travaille. "On pourrait se trouver plein d'excuses mais on n'a pas envie de ça" A un an de la Coupe du monde, n'est-il pas trop tard pour remettre tout en question ? On va tout faire pour rattraper notre retard. Par le passé, on a déjà encaissé des défaites cuisantes pas très loin d'une Coupe du monde et l'équipe de France a toujours su rebondir. Ce qui est con, bête, dommage, c'est d'en passer par là, d'avoir toujours à puiser quelque part et de ne pas pouvoir travailler dans la continuité. Même si on ne va pas tout révolutionner. Je crois qu'on a un groupe de talent. Tout bouleverser ne nous fera pas avancer non plus. Il faut échanger, discuter, communiquer pour remettre les choses à l'endroit. Est-ce qu'un jour vous vous direz que cette défaite était un mal pour un bien ? On n'en est pas encore là. Pour le moment, ça fait mal. Le déficit de préparation par rapport aux équipes du Sud, mais aussi par rapport à l'Angleterre, est-il une raison valable ? Oui, on peut revenir là-dessus, on peut revenir sur notre calendrier, on peut dire que c'est l'échec du rugby français. Mais ça n'expliquera pas les 60 points qu'on a pris ce soir. On ne peut pas se cacher derrière ça. Parce qu'on a baissé la tête, on les a laissé jouer, on s'est désuni et on n'y a plus cru à partir de ces deux essais. Après, on pourrait se trouver plein d'excuses mais on n'a pas envie de ça. Donc cette défaite reste celle des joueurs ? Oui parce que nous, joueurs, qui sommes sur le terrain. On avait les clés, les solutions. On savait où ils allaient essayer de nous prendre mais on les a laissé faire. Ils n'ont pas pratiqué un jeu différent que ce qu'ils font depuis deux ou trois ans. Ils ont joué leur rugby et on s'est fait prendre. C'est nous qui étions en tenue ce soir donc c'est notre défaite. Personne n'a su trouver les mots sur le terrain pour stopper l'hémorragie ? Je crois qu'il n'y a pas eu de communication sur le terrain. Et depuis que vous êtes rentré au vestiaire ? Pas beaucoup. Pas encore. Parce que, je me répète, je pense que personne ne comprend. Je pense qu'on va en parler demain matin (dimanche). Il va y avoir un gros débriefing parce qu'on ne peut pas se quitter comme ça. Il faut qu'on en parle, que chacun donne son ressenti pour pouvoir avancer.