1991, par Henri Leconte

  • Copié
Propos recueillis par AXEL CAPRON et MORGAN BESA , modifié à
Jusqu'à vendredi prochain, date des premiers simples de la finale de la Coupe Davis entre la Serbie et la France à Belgrade, la rédaction vous propose, à travers les souvenirs d'un grand témoin, de revivre les finales de la Coupe Davis de l'équipe de France depuis l'après-guerre, soit six finales de 1982 à 2002. Pour ce premier retour en arrière, l'historique victoire sur les Etats-Unis en 1991, par Henri Leconte.

Jusqu'à vendredi prochain, date des premiers simples de la finale de la Coupe Davis entre la Serbie et la France à Belgrade, la rédaction vous propose, à travers les souvenirs d'un grand témoin, de revivre les finales de la Coupe Davis de l'équipe de France depuis l'après-guerre, soit six finales de 1982 à 2002. Pour ce premier retour en arrière, l'historique victoire sur les Etats-Unis en 1991, par Henri Leconte. LA FINALE : France bat Etats-Unis 3-1 29 novembre-1er décembre 1991, Palais des Sports de Gerland à Lyon (moquette) Match 1: Andre Agassi (USA) bat Guy Forget (FRA) 6-7 (7), 6-2, 6-1, 6-2 Match 2: Henri Leconte (FRA) bat Pete Sampras (USA) 6-4, 7-5, 6-4 Match 3: Guy Forget/Henri Leconte (FRA) battent Ken Flach/Robert Seguso (USA) 6-1, 6-4, 4-6, 6-2 Match 4: Guy Forget (FRA) bat Pete Sampras (USA) 7-6 (6), 3-6, 6-3, 6-4 Match 5: Henri Leconte (FRA)-Andre Agassi (USA), non disputé 1982: "Un junior qui arrive en Coupe Davis" "Avant 1991, j'ai disputé une première finale de Coupe Davis en 1982 à Grenoble, encore face aux Etats-Unis. C'est mon premier vrai match de Coupe Davis en simple, j'ai joué avant le double contre la Tchécoslovaquie à Roland-Garros avec Yannick (Noah) en quarts de finale. Là, je me retrouve à jouer en simple à Grenoble, parce que j'avais fait une très bonne saison, j'avais gagné le tournoi de Stockholm, le circuit Dunlop. Même si j'ai perdu, ça reste un bon souvenir, car en face, il y avait quand même Gene Mayer, John McEnroe et la paire Fleming-McEnroe, ce qui se faisait de mieux en double. Le souvenir que j'en garde, c'est celle d'un junior qui arrive en Coupe Davis: on essaie de bien faire, mais on ne s'en rend pas trop compte de ce qu'on vit. C'est plus tard qu'on prend plus la mesure de l'importance de la Coupe Davis, quand on a beaucoup joué, qu'on se retrouve dans les cinq-dix premiers joueurs du monde, c'est là qu'on se dit qu'on est dans un sport individuel toute l'année et que pendant quatre semaines par an, on joue pour notre propre pays, c'est extraordinaire. Avec Yannick, à l'époque, ça s'était bien passé, c'est après qu'il y a eu une rivalité normale entre nous, du fait que chacun voulait être le numéro 1 français, on s'échangeait un peu la place, cette rivalité normale et sportive nous a permis de gravir des échelons tous les deux." La préparation de 1991: "Une opération-commando" "En demi-finale, on joue la Yougoslavie à Pau (victoire 5-0, sans Leconte, ndlr). Yannick me dit alors qu'il a besoin de moi pour jouer en double pour la finale de la Coupe Davis, c'était une opportunité qui s'ouvrait devant moi. Je sors d'une opération du dos et avec Patrick Chamagne (aujourd'hui conseiller de Gaël Monfils, ndlr), on part en opération-commando dans le centre de rééducation de Douarnenez, en Bretagne. On a bossé comme des fous: réapprendre à courir, à servir... On s'est retrouvés ensuite en stage de préparation à Neuchâtel, en Suisse, avec Jean-Claude Perrin et ses fameux footings-commandos ! Il nous mettait des barres sous lesquelles il fallait passer en plongeant dans des flaques d'eau, on l'a tous fait. Car c'est ça, la Coupe Davis, c'est être capable de faire abstraction de beaucoup de choses pour essayer de vaincre, unis. Au moment où je débarque au stage, j'ai déjà moins de doutes parce que j'avais joué en double avec Yannick à Bercy, ma préparation à Douarnenez avait été positive, je jouais de mieux en mieux, la preuve: pendant les dix jours de préparation, je n'avais pas perdu un set à l'entraînement ! Je commençais à prendre confiance, j'étais dans une espèce d'euphorie, parce que déjà, je n'avais plus mal au dos, ensuite parce que je retrouvais mon niveau de jeu. Je savais que j'allais jouer en double et lorsque Yannick est venu me voir le lundi soir dans ma chambre d'hôtel pour me dire: "Henri, je vais te mettre en simple, surtout reste bien calme", j'ai répondu: "Oui, pas de problème." Pour la première fois de ma vie, j'étais hyper calme, pas du tout euphorique à sauter dans tous les sens, serein. Après, est arrivé ce qui devait arriver..." La finale: "Trois jours de fou" "C'est toujours facile à dire, mais je savais qu'on allait faire 1-1 le premier jour. Quand Guy (Forget) est revenu dans les vestiaires, il était effondré sur la table de massage après sa défaite contre Agassi, je lui tape sur l'épaule et je lui dis: "Guy, t'inquiète pas, je vais lui mettre une branlée à l'autre." Il me regarde et il se dit: "Il est taré, l'autre. Sampras, je l'ai joué à Bercy (victoire en finale), je l'ai battu en cinq sets, il va être numéro 1 mondial et l'autre, il est 156e mondial et il va lui mettre une branlée ? Oui, oui, bien sûr." Et c'est ce qui est arrivé. Quand je suis revenu, après ma victoire, je lui ai dit: "Tu vois, je te l'avais dit." Un tel match, c'est comme dans un rêve, on sait exactement ce qui va se passer. Il y a quelques matches dans une carrière où on ressent ce genre de choses, mais comme ce match-là, jamais de la vie ! Tu dois toucher une ou deux fois dans ta vie cette euphorie, cette facilité, cette vision du match où tu sais exactement où va la balle, où tu n'as peur de rien. C'est très rare, une sensation très particulière. J'en avais discuté une fois avec une personne qui n'est malheureusement plus là, Ayrton Senna, qui disait que parfois, lorsqu'il conduisait, il était dans un état second, tout défilait devant lui d'une façon très lente, comme au ralenti. Le lendemain sur le double, avec Guy, on attaque le match par seize points de suite, ça met d'entrée d'équerre Flach-Seguso, avec lesquels il y avait un bon contentieux avec Yannick qui datait de la finale de l'US Open (1985). On a eu une sensation de rouleau-compresseur avec Guy, on était tellement soudés, on se connaissait tellement bien, il y avait une telle osmose. Et pour lui, c'était important de se remettre dans le bain pour son match du dimanche contre Pete Sampras. Ce double a été un match très très important, si on n'avait pas commencé comme ça en faisant 4-0, ça aurait pu être différent, mais moi, je suis resté dans la même euphorie que la veille, j'ai vécu trois jours de fou. Et le lendemain, je vis le match de Guy contre Sampras dans les vestiaires. A la balle de match, j'étais sur les marches, après, je suis rentré sur le court, c'était un truc de fou, on ne pourra plus jamais le vivre, c'est impossible !" Ce qu'il en reste: "Ma mère a fait un musée à la maison !" "Quand on revient à Lyon, comme en demi-finale cette année, on ressent encore quelque chose de vraiment magique qui est resté. Avec cette victoire de 1991, on est rentrés dans l'histoire, je pense aussi qu'on a marqué une nouvelle ère de joueurs français dans tous les sports. Par la suite, les Français ont commencé à gagner au basket, au handball, au football, alors qu'avant, ils étaient toujours les éternels seconds, ça a commencé à changer à partir de là. Cette victoire, c'est aussi celle d'une génération et de potes, parce que depuis ce moment-là, avec Yannick et Guy, on est soudés à la vie à la mort. J'ai conservé quelques reliques: mon fils a la Coupe Davis, ma mère a la raquette, les chaussures, la tenue, elle a fait un musée à la maison ! Quand on pratique un sport individuel, jouer pour la France, ça n'a rien à voir, c'est extraordinaire. Moi, si on me dit aujourd'hui de jouer à 47 ans en double, je m'entraîne come une bête pendant six mois et je joue, j'arrive à la nage !"