1.000ème Grand Prix de l'histoire de la F1 : les dix plus grands souvenirs de Dominique Bressot

Ayrton Senna et Alain Prost en 1988 (1280x640) AFP
Ayrton Senna et Alain Prost : deux pilotes d'exception qui ont marqué Dominique Bressot. © AFP
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Dominique Bressot, qui a commenté la F1 sur notre antenne entre 1979 et 2016, revient sur quelques grands moments de sa carrière et de la discipline.

Le Grand Prix de Chine, qui a lieu dimanche à Shanghai (départ à 8h10), est le 1.000ème de l'histoire de la Formule 1. À cette occasion, Dominique Bressot, ancienne grande voix d'Europe 1, a accepté de plonger dans ses souvenirs et d'en retenir dix. Ce ne fut pas là chose facile, l'ancien reporter de la station ayant couvert la F1 pendant 38 saisons, entre 1979 et 2016, pour l'équivalent de 635 Grands Prix, soit près de deux tiers des épreuves…

Grand Prix d'Espagne 1951, GP n°15 : Juan Manuel Fangio, la légende

Malgré sa très longue expérience, notre ami Dominique n'a pas connu Juan Manuel Fangio sur la piste ! Mais il a eu la chance de voir la légende argentine, cinq fois championne du monde, au volant d'une monoplace, quarante ans tout pile après sa première couronne mondiale, en 1951. "J’avais été invité en 1991 par Mercedes (constructeur avec lequel Fangio fut champion du monde en 1954 et 55, ndlr) pour ses 80 ans ! Un dîner à Stuttgart suivi d’une séance de dédicaces puis le lendemain, sur le circuit d’Hockenheim, une démonstration de Fangio au volant de l’une des Flèches d’Argent. Et pour l’événement, ils avaient aussi invité Stirling Moss, le champion sans couronne (il a fini quatre fois deuxième du Championnat et trois fois troisième !), qui avait lui aussi repris le volant ! J’en ai pris plein les yeux ! Et j’avais fait les interviews de ces gladiateurs bien entendu !" 

Grand Prix de Belgique 1982, GP n°362 : Gilles Villeneuve, la tragédie de Ferrari

La saison 1982 commence de manière étonnante, avec une grève de certains pilotes au sujet de la super-licence, affaire de gros sous et de transferts. "Cette année 1982 a débuté avec cet épisode un peu cocasse et peu ordinaire de la grève de certains pilotes, mais l'année a été épouvantable. Lors du cinquième Grand Prix de la saison, en Belgique, à Zolder, lors des essais qualificatifs, le Canadien Gilles Villeneuve a trouvé la mort. Il venait de se brouiller avec son équipier Didier Pironi, qui venait de faire la pole provisoire. Gilles Villeneuve a voulu refaire une tentative pour l'en déloger. Et malheureusement, lors de son tour de décélération, il a trouvé sur sa trajectoire la voiture de Jochen Mass, et il est mort sur le coup, éjecté. Son corps gisait sur la piste…"

Quelques mois plus tard, Didier Pironi est à son tour victime d'un terrible accident lors des qualifications du Grand Prix d'Allemagne, où sa Ferrari heurte la Renault d'Alain Prost. Ses deux jambes sont brisées. "Ce jour-là, c'est miraculeux qu'il ne soit pas tombé sur la tête d'Alain Prost", se souvient Dominique Bressot. "Une saison 1982 extrêmement difficile."

Grand Prix d'Europe 1985, GP n°418 : quand Alain Prost "se prend pour Fangio"

Lors de l'anté-pénultième Grand Prix de la saison, Alain Prost scelle enfin à Brands Hatch, en Angleterre, son premier titre de champion, lui qui l'avait manqué de peu en 1982, 83 et 84. "Il le gagne à la Prost. Il ne gagne pas la course, mais se classe quatrième en gérant parfaitement. Juste après l'arrivée, on a la maman d'Alain Prost au téléphone. Elle nous raconte alors que lorsque son fils l'emmenait faire des courses entre Saint-Chamond et Lyon, où ils vivaient, elle trouvait qu'il roulait un peu vite et lui avait lancé 'Tu te prends pour Fangio'." Ce jour-là, Prost a rejoint Fangio dans les livres d'histoire de la Formule 1.

Grand Prix d'Afrique du Sud 1985, GP n°419 : Niki Lauda, la politique à la pause pipi

On est à l'époque de l'Apartheid et de nombreux gouvernements réclament alors l'annulation de l'épreuve. À la veille du Grand Prix, le régime décide d'exécuter Benjamin Moloïse, poète noir accusé du meurtre d'un policier. La polémique enfle, s'invite dans le paddock, y compris dans les endroits les plus insolites… "On va au circuit et on fait un certain nombre de témoignages, dont celui de Niki Lauda, qui a un discours très intéressant, qui ne cautionne pas ce qui vient de se produire. Son interview, faite devant l'entrée des toilettes, est remarquable. Après les qualifs, je repasse aux toilettes et à mes côtés, Niki Lauda dit 'good talking this morning' ('bonne discussion ce matin'). Cet échange sur un sujet politique (ce qui n'arriverait plus aujourd'hui) avec un tel champion, dans un endroit insolite, reste mémorable."

Grand Prix de Grande-Bretagne 1986, GP n°429 : les tristes adieux à la F1 de Jacques Laffite

Jacques Laffite, 42 ans, participe à Brands Hatch à son 176ème Grand Prix et rejoint ainsi dans l'histoire Graham Hill. Mais son record va tourner au drame. "Il s'était très mal qualifié, et malheureusement, comme il part de très loin, il est pris dans un carambolage et sa voiture est propulsé du côté droit, sur la bande gazonnée. Sa voiture fuse et va s'encastrer dans le rail de sécurité." Victime de multiples fractures aux jambes et au bassin, Jacques Laffite est contraint de mettre un terme à sa carrière. "Guy Ligier lui avait fait refaire un essai en 1987, mais ça s'arrêtera là… Il faut rappeler que Jacques Laffite a lancé tout l'intérêt pour la F1 en France, avec l'épopée des Bleus et Ligier en 1979, etc. Il avait débuté tard en F1, à 33 ans, il était populaire, sympa. Il dégageait une bonne image et a compté beaucoup pour la F1 française. Et ça a été une grande tristesse de le voir terminer sa carrière dans cet état-là…"

Grand Prix d'Australie 1986, GP n°436 : Alain Prost sacré, contre toute attente

À l'approche du dernier Grand Prix de la saison, trois hommes peuvent encore être sacrés champions du monde : les Williams-Honda de Nigel Mansell et Nelson Piquet ainsi qu'Alain Prost, sur McLaren-Tag-Porsche. Le pilote français est alors le moins bien classé des trois. "Mais l'invraisemblable se produit. Mansell, qui était le grand favori, éclate un pneu. Piquet, qui était champion provisoire, doit rentrer aux stands pour éviter la crevaison, et Prost prend la tête du Grand Prix. C'était inattendu, inespéré, et c'était tellement un événement en France que la matinale d'Europe 1 s'est terminée à l'époque par une demi-heure de course en intégrale ! En plus, nous étions sur place dans une grande cabane où les gens viennent d'habitude faire les paris hippiques, sur un champ de course. Nous avions suivi la course sur des écrans de télé. C'était formidable !"

Grand Prix du Japon 1988, GP n°467 : le titre pour Senna et les "madeleines de Prost"

Arrivé de chez Lotus l'hiver précédent, Ayrton Senna décroche son premier titre de champion du monde en 1988 après sa victoire au Japon devant Alain Prost, son grand rival. "Cette année-là, on ne retenait que les onze meilleurs résultats, et Prost est battu alors qu'il avait terminé la saison avec plus de points que Senna. L'un de ces règlements à la con que seule la Formule 1 est capable d'inventer !" À l'époque, "il y avait une sympathie très marquée de Honda pour Senna". C'est aussi ce que laisse entendre Alain Prost, avec lequel Dominique Bressot établit alors un petit rituel, autour de pains au chocolat, de croissants et de madeleines… "Jusqu'à la fin de sa carrière, en 1993, on a pris l'habitude de se retrouver au lendemain du Grand Prix du Japon pour faire le bilan de sa saison. C'est ce que j'appelle les madeleines de Prost."

Grand Prix de Saint-Marin 1994, GP n°551 : Ayrton Senna, la mort d'une icône

L'accident de Rubens Barrichello lors des essais libres le vendredi, la mort de Roland Ratzenberger le samedi en qualifications, et enfin celle d'Ayrton Senna le dimanche, après une rupture de la colonne de direction de sa Williams-Renault.

Plutôt que de refaire une nouvelle fois le film de ce week-end d'horreur, Dominique Bressot préfère garder en mémoire un souvenir de "Magic Senna", quelques semaines auparavant. Le 7 novembre 1993, en Australie, lors du dernier Grand Prix du Brésilien chez McLaren, il convie l'ensemble des journalistes français suiveurs de la F1.

"On était proches d'Alain Prost et Senna le savait très bien. À mon sujet, il s'en était même ouvert lors d'un dîner chez Jean-Luc Lagardère. Il avait dit : 'Le grand, à lunettes et à moustache, il ne m'aime pas' !", se souvient notre ancien reporter. "Il avait convié les dix journalistes et avait expliqué : 'Bon, on a eu des rapports compliqués, c'était normal. Je veux repartir sur des bases saines avec vous parce que je vais travailler avec les gens de Renault, j'en suis très fier et je veux qu'on ait de bonnes relations professionnelles. On a fait des questions-réponses et on a dit : 'Le mec, il est balèze, il avait fait de lui-même la démarche de nous rassembler'. Et quand arrive ce qui se passe au troisième Grand Prix en 1994, tu ressens une énorme émotion… Et tu te dis : 'Je n'ai pas connu ce gars-là suffisamment."

Grand Prix d'Europe 1997, GP n°614 : Michael Schumacher, à qui tente perd

Michael Schumacher (Ferrari), alors double champion du monde, se présente lors du dernier Grand Prix de la saison avec un point d'avance sur Jacques Villeneuve, fils du regretté Gilles Villeneuve (Williams-Renault). "Lors du Grand Prix précédent, au Japon, les instances de la Fédération internationale avaient trouvé un artifice pour relancer le suspense en condamnant Jacques Villeneuve à ne pas disputer la course pour une sombre histoire de drapeaux jaunes", se souvient notre ancien journaliste.

"Schumacher a mené une grande partie de la course mais Villeneuve a fini par le dépasser et là, ce gredin de Schumacher a refait le coup qu'il avait fait à Damon Hill en 1994, en Australie, en braquant sur lui. Avec Hill, ça avait marché, et là, ça n'a pas marché… Il a dû abandonner. Villeneuve lui aussi avait été touché dans la manœuvre, et on ne savait pas s'il allait tenir jusqu'au bout de la course." Il avait tenu, terminant troisième du Grand Prix, et fut sacré champion. "Mais il y avait eu durant ce week-end une tension énorme, car Ferrari et Jean Todt avaient mis la pression sur l'équipier de Schumacher, Eddie Irvine, mais aussi sur les Sauber, équipés de moteurs Ferrari, pour embêter, disons, Jacques Villeneuve…"

Grand Prix d'Italie 2000, n°660 : la machine "Schumi", côté humain

C'est l'année du premier titre avec Ferrari pour Michael Schumacher. Le 10 septembre, il s'impose à Monza, dans le temple de Ferrari, à l'issue d'une course marquée par la mort d'un pompier après un accident au départ. À l'arrivée, "Schumi", qui a passé tout l'été sans gagner, craque totalement. "C'est sa 41ème victoire en F1, ce qui lui permet d'égaler le chiffre de Senna. Et, dans les toutes premières interviews qu'il accorde, dans ce qu'on appelle les unilatérales, une question lui est posée sur Senna. Là, il craque.

Aucun des trois pilotes du podium - Schumacher est accompagné de Mika Hakkinen et de son frère, Ralf - ne sait qu'il y a eu un mort pendant la course. Et là, Schumacher craque, éclate en sanglots, sans prononcer la moindre parole pendant plusieurs minutes. C'est la première fois qu'il a une réaction aussi forte à la mort de Senna, la première fois qu'on le voit craquer et même qu'on le voit humain. On a gardé l'image d'un mec au port altier, qui a le regard un peu supérieur, qui a fait des saloperies sur la piste, qui a gagné un titre en envoyant Hill dans les balustrades, qui a essayé de refaire la même chose en 1997, qui a des équipiers à son service, de gré ou de force, qui a une machine qui n'était peut-être même pas conforme selon les confidences que j'avais pu obtenir… On ne le voyait pas très humain, sauf en ce 10 septembre 2000 à Monza."